« Ça va aller ? Tu es prête ? » demanda Rhodes.
Chloé ravala la réponse acerbe qu’elle avait sur le bout de la langue. Si Rhodes commençait à prendre des pincettes avec elle à cause de Danielle, elle n’était pas sûre d’être capable de terminer cette enquête, finalement.
« Je suis prête, » fut tout ce qu’elle dit, en sortant de la voiture sous une pluie fine.
***
Le détective qui menait l’enquête était un homme dégingandé du nom d’Anderson. Il était assis à la table de la cuisine quand Chloé et Rhodes entrèrent dans la maison. Il leva les yeux de son iPad et le mit de côté d’un air désolé, en se levant de sa chaise. Chloé jeta un coup d’œil à l’écran et vit qu’il regardait des photos de la scène de crime, prises dans cette maison.
« Ben Anderson, » dit-il, en tendant la main.
« Agents Fine et Rhodes, » dit Chloé, en lui serrant la main. « Ça fait longtemps que vous attendez ? »
« Ça fait à peine dix minutes. Mais je suis venu trois ou quatre fois au cours des seize dernières heures, pour essayer de m’imprégner de l’endroit. »
« Vous êtes venu sur la scène dès que le corps a été découvert ? » demanda Chloé.
« Oui. J’étais le deuxième à arriver sur les lieux. »
« Où se trouvait le corps ? » demanda Rhodes.
Anderson fit un geste en direction de l’arrière de la maison. Il prit son iPad et traversa la cuisine, avant d’ouvrir une porte qui menait vers l’extérieur. « Ici, sur le porche arrière… mais il n’y a pas grand-chose à voir. »
Ils sortirent sur le porche arrière. Chloé ne remarqua rien de spécial au premier coup d’œil. C’était un joli porche, qui donnait sur un demi-hectare de jardin. Un barbecue se trouvait au fond, protégé par une housse décorée du logo des Ravens de Baltimore. Les quelques meubles qui se trouvaient sur la terrasse étaient assez jolis, mais plutôt ordinaires – ils avaient probablement été achetés chez Costco. Il pleuvait toujours et il y avait de légères traces de gouttes de pluie sur le sol en bois. Chloé remarqua une tache de sang de forme circulaire sur le plancher – dont la forme correspondait au pourtour d’une tête.
« La victime s’appelle Bo Luntz, » dit Anderson. « Sa femme, Sherry, a découvert son corps quand elle est rentrée du boulot. C’était leur anniversaire de mariage. Elle l’a trouvé ici, sur le porche arrière, couché sur le sol. Ça lui a fait un choc. Elle n’a même pas remarqué qu’une chaussette noire lui avait été enfoncée dans la bouche, jusque dans la gorge. Elle dit qu’elle se rappelle vaguement l’avoir vue quand elle a découvert le corps, mais… elle était complètement anéantie, comme vous pouvez l’imaginer. »
« Le sang, » dit Chloé, en s’agenouillant. « Ça semble indiquer qu’il n’a pas seulement été étouffé. Est-ce qu’il y avait des signes de lutte ? »
« Non. Il n’y avait rien en désordre, rien qui sorte de l’ordinaire. Le sang vient d’un coup qu’il a reçu au crâne, le long du front. »
Sur ces mots, il tendit à Chloé l’iPad qu’il tenait en main. Une photo du corps était affichée à l’écran. Chloé zooma sur le front de Bo Luntz. Elle y vit une marque bien nette et le début d’un hématome. D’après la forme de la marque, le coup avait dû être porté par quelque chose ayant une extrémité plate, d’environ treize à quinze centimètres de large.
« L’hématome a l’air récent, » dit Rhodes, en regardant par-dessus l’épaule de Chloé. « Cette photo a été prise combien de temps après que le corps ait été découvert ? »
« Environ une heure après. Et d’après madame Luntz, le sang était encore humide quand elle a découvert le corps. Alors nous pensons qu’il a été tué une heure ou deux avant qu’elle rentre chez elle. »
« Aucune empreinte sur la chaussette qu’il avait dans la gorge ? » demanda Chloé.
« Aucune. Aucune empreinte à l’intérieur non plus. Aucun signe d’entrée par effraction… rien. »
Rhodes se mit à consulter les dossiers qu’elles avaient reçus de Johnson, en protégeant les papiers de la pluie en se penchant en avant. « Bo Luntz, cinquante-deux ans, un enfant, employé par Mutual Telecom. Pas de casier judiciaire. Est-ce que vous avez d’autres informations à son sujet, détective Anderson ? »
« D’après ce que nous ont dit ses voisins et ses amis, c’était un type très apprécié. Il faisait du bénévolat chez les pompiers et il participait toujours aux œuvres de charité. Il était assistant entraîneur pour une petite équipe de football. J’ai interrogé cinq personnes moi-même et on a la déposition d’une dizaine d’autres personnes. Ce type n’avait rien à se reprocher. »
Chloé hocha la tête mais elle avait déjà entendu ce genre de commentaires dans le passé. C’était facile d’avoir l’air irréprochable en surface, mais quand on se mettait un peu à gratter, on trouvait souvent des failles et des secrets inavoués.
« Est-ce que vous savez pourquoi une chaussette lui a été enfoncée dans la gorge ? » demanda Chloé.
« Aucune idée. Nous avons fouillé ses tiroirs à l’étage, pour voir si on y trouverait la deuxième chaussette, mais sans résultat. »
« Détective, est-ce que vous pourriez nous donner le nom et les coordonnées du médecin légiste qui s’occupe du corps ? »
« Bien sûr, » dit-il, en sortant son téléphone et en faisant défiler ses contacts afin d’y trouver l’information.
« Et qu’en est-il de la première victime ? » demanda Chloé.
« La première victime s’appelle Richard Wells. Il vivait à une vingtaine de kilomètres d’ici, dans la petite ville de Eastbrook. Un quartier assez similaire à celui-ci. La police d’Eastbrook s’occupe de l’enquête mais j’ai quelques informations à son sujet, si vous voulez. »
« Oui, s’il vous plaît. »
« C’est plus ou moins pareil à ce qui s’est passé ici. Wells a été retrouvé mort dans sa chambre à coucher, avec un coup à la tête et une chaussette noire enfoncée dans la gorge. Mais en ce qui concerne leur personnalité, les deux victimes étaient assez différentes. Wells avait divorcé l’année dernière. Des rumeurs circulaient sur le fait qu’il avait un problème avec l’alcool. Il travaillait comme entrepreneur et ses quelques employés sont les seules personnes qui ont pu nous fournir des informations à son sujet. Son ex-femme est à nouveau fiancée et elle vit à Rhode Island. Ses deux parents sont morts et il n’avait aucun frère ni sœur… personne à qui nous aurions pu poser des questions un peu plus personnelles. »
« Alors il n’y a pas vraiment de pistes, c’est bien ça ? » demanda Rhodes.
« C’est bien ça, » dit Anderson.
Chloé baissa les yeux vers les planches en bois du porche. Elle observa la tache de sang et elle repensa au sang qu’elle avait vu sur la bouilloire de son père. Un frisson lui traversa le corps et elle sut qu’elle ne parviendrait pas à en faire abstraction. La disparition de Danielle allait la hanter jusqu’à ce qu’elle sache où elle se trouvait, enquête ou pas enquête.
Le pire de tout, c’était qu’elle commençait à en vouloir à Danielle, en se demandant si elle n’avait pas recommencé à faire n’importe quoi sans réfléchir, comme elle avait l’habitude de le faire dans le passé.
Si je la retrouve, peut-être que je pourrai éviter qu’elle fasse des bêtises, pensa Chloé.
Elle avait envie d’y croire. Mais en regardant la tache de sang de Bo Luntz, elle se dit que, en ce qui concernait sa sœur, c’était probablement déjà trop tard, comme c’était le cas pour Luntz.
***
Pour Chloé, il y avait deux types de médecins légistes : ceux qui étaient plutôt discrets et presque moroses dans leur travail, et ceux qui étaient du genre nerveux et un peu trop passionnés par ce qu’ils faisaient. La femme médecin légiste qui s’occupait du corps de Bo Luntz était du deuxième type. Elle s’appelait Gerda Holloway et elle avait l’air tout droit sortie d’une émission télé pour célibataires. On n’aurait jamais pu deviner qu’elle travaillait sur des cadavres. Elle vint les retrouver dans le vestibule du cabinet. Elle était vraiment très belle, avec ses cheveux attachés en queue de cheval et ses lunettes de bibliothécaire.
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