« Sherry Luntz ? » demanda Chloé.
La femme fragile et épuisée hocha la tête, mais sans faire un mouvement de plus. Sa sœur resta devant elle, comme pour la protéger.
« Je suis l’agent Fine. Je pense que le détective Anderson vous a appelée pour vous prévenir de ma visite, n’est-ce pas ? »
« Oui, en effet, » dit Tamara. « J’espère que vous ne le prendrez pas mal, mais je resterai avec vous dans la pièce pendant que vous parlez à Sherry. »
« Oui, bien sûr, je comprends, » dit Chloé. Elle commençait à se demander si Sherry allait parler tout court. Elle avait l’air dans un état second – à la limite du coma.
Tamara se retourna et rentra dans la maison sans vraiment inviter Chloé à la suivre. Mais elle le fit tout de même, en refermant la porte derrière elle. Tamara la guida jusque dans un salon joliment décoré. Une odeur agréable venait d’ailleurs dans la maison – une odeur de thé, se dit Chloé.
« Je comprends combien c’est dur pour vous, madame Luntz, » dit Chloé. « Alors j’essaierai de faire vite. »
« Non, ne vous tracassez pas, » dit Sherry. Au son de sa voix, on aurait dit qu’elle venait de se réveiller d’un sommeil de douze heures, après une soirée bien arrosée. « Je veux savoir ce qui s’est passé. Alors n’arrondissez pas les angles pour moi. »
Chloé jeta un coup d’œil en direction de Tamara, comme pour lui demander son approbation. La sœur haussa les épaules d’un air las.
« Madame Luntz, j’ai déjà été informée des détails de cette journée, alors nous ne sommes pas obligées d’en reparler. Ce que j’aurais aimé savoir, c’est s’il y avait certaines choses dans la vie de votre mari dont nous n’aurions pas connaissance. Est-ce qu’il avait des ennemis ou est-ce qu’il y avait des gens qui ne l’appréciaient pas ? »
« J’y ai également beaucoup réfléchi, en essayant de trouver quelqu’un qui aurait pu lui vouloir du mal, » dit-elle. « La seule personne qui m’est venue à l’esprit, c’est un ancien concurrent en affaires, mais il vit maintenant en Californie. Ça peut paraître un peu exagéré, mais vraiment, tout le monde appréciait Bo. »
« Est-ce qu’il vous a récemment parlé de difficultés dans son boulot ? »
« Non. Rien de tout cela. J’ai même demandé à Tamara d’appeler son patron pour savoir s’il m’avait caché quelque chose, mais il n’y avait rien. »
« Vous avez un enfant ensemble, c’est bien ça ? » demanda Chloé.
« Oui, un fils. Luke. Il a commencé l’université cette année. Il est aussi ici, chez Tamara. Il est occupé à dormir dans la chambre d’amis. Il a du mal à… accepter ce qui vient de se passer. »
« Est-ce que vous lui avez posé la question ? Est-ce qu’il a une idée de qui aurait bien pu vouloir faire du mal à son père ? » demanda Chloé.
« Pas de manière aussi directe, mais oui. On s’est demandé qui pourrait bien avoir fait ça. Ça pourrait être un cambriolage, mais… rien n’a été volé. Il ne manque rien. »
« J’ai appelé la banque de Sherry hier, » dit Tamara. « Toutes leurs cartes de crédit étaient encore dans le portefeuille de Bo, mais je me suis dit qu’il pourrait y avoir eu une sorte de fraude numérique ou quelque chose dans le genre. Mais tout est en ordre. Si c’est l’œuvre d’un sociopathe, c’était juste pour le plaisir quitter la vie à quelqu’un. »
« On a encore été vérifier hier soir, Luke et moi, » dit Sherry. « Mais rien ne manquait dans la maison. Tout était là. »
Chloé savait ce qu’elle voulait lui demander ensuite, mais ça allait être une question difficile à poser. Elle était de plus en plus certaine que Sherry n’avait rien à voir avec la mort de son mari. Il était possible de faire semblant de pleurer, et même de s’effondrer de chagrin. Mais perdre connaissance en présence de la police et manquer de sommeil au point d’avoir l’air d’un véritable zombie… c’était bien plus compliqué.
« Est-ce que vous avez remarqué s’il y avait quoi que ce soit qui n’était pas à sa place dans la maison, ou même dans le jardin ou sur le porche arrière ? Même si ça n’avait été déplacé que de quelques centimètres ? » demanda-t-elle. C’était sa manière de demander s’ils avaient éventuellement trouvé l’objet utilisé pour attaquer Bo.
« Nous n’avons rien remarqué. »
« Est-ce que quelqu’un avait le double de la clé de votre maison ? »
« Personne. Nous n’avons jamais eu besoin de donner un double de notre clé. On n’a jamais eu de femme de ménage, ni de membres de la famille qui logeaient chez nous. »
« Et est-ce que vous aviez un système de sécurité ? Je n’en ai pas vu quand je suis allé inspecter votre maison avec ma coéquipière. »
« Non. On n’arrêtait pas de dire qu’il faudrait qu’on en installe un, mais le quartier est tellement tranquille… c’était quelque chose qu’on remettait continuellement à plus tard. »
« Encore une chose, madame Luntz… et je suis désolée mais ça pourrait être une question difficile pour vous. »
« Allez-y, je suis prête. »
« Un détail vraiment étrange sur le corps de votre mari, c’était… »
« La chaussette dans sa bouche, » dit-elle. Elle le dit sur un ton résigné, comme si elle s’attendait à cette question.
« Oui. Vous avez une idée de ce que ça pourrait signifier ? »
« Absolument aucune idée, » dit Sherry, la voix tremblante. « Quand je l’ai trouvé, j’ai vu qu’il y avait quelque chose dans sa bouche, mais je ne savais pas ce que c’était. Je ne l’ai su que des heures plus tard, quand je m’en suis rappelée et que j’ai posé la question à la police. Le détective Anderson m’a dit que c’était une chaussette. En entendant ça, j’ai d’abord cru que j’étais à nouveau dans le gaz et que j’entendais des voix mais… non. C’était bien ça… une chaussette. Il m’en a même montré une photo hier soir, après que… après que le médecin légiste… »
« Si vous voulez, on peut arrêter là, madame Luntz, » dit Chloé.
« Je ne sais pas si ça peut vous aider, » dit Sherry, « mais ce n’était pas une de ses chaussettes. Il détestait les chaussettes épaisses, même en hiver. Ses pieds avaient tendance à transpirer et des chaussettes épaisses, c’était vraiment inconfortables pour lui. » L’ombre d’un sourire se dessina sur ses lèvres quand elle se rappela ce détail concernant son mari.
Chloé sortit une carte de visite de la poche de sa veste et la tendit à Tamara. « S’il vous plaît… si vous vous rappelez quoi que ce soit, même un détail, n’hésitez pas à m’appeler. »
« Bien entendu, » dit Tamara. Mais elle regarda à peine Chloé. Toute son attention était concentrée sur sa sœur. Après un silence gênant, Tamara se leva de son siège pour raccompagner Chloé jusqu’à la porte d’entrée.
Tamara sortit avec elle sur le porche et referma la porte derrière elles. Elle croisa les bras sur sa poitrine et regarda Chloé d’un air désolé.
« Elle n’exagère pas du tout, » dit Tamara. « Bo était vraiment un type bien, vous savez ? Humble, honnête, il aimait sa femme et son fils. Je n’ai jamais entendu qui que ce soit dire quelque chose de mal à son sujet – pas même notre mère, et ce n’est pas peu dire. »
« Vous n’êtes pas la seule à me le dire. Mais il y a une question que j’aimerais vous poser… et ce n’est que par pure formalité. »
« Si je pense que Sherry pourrait l’avoir tué ? »
Chloé fronça les sourcils et hocha la tête. « Je suis convaincue que ce n’est pas elle, mais j’ai besoin de l’entendre de quelqu’un qui la connait bien. »
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