— J’ai des nouvelles pour vous, dit Corcoran quand il se rendit compte que Jessie n’allait pas poser de questions.
— OK.
— J’ai parlé avec votre capitaine, dit-il en sortant un morceau de papier et en lisant ce qui était marqué dessus. Il veut vous dire que le commissariat tout entier vous envoie ses meilleurs vœux. Il dit qu’ils suivent toutes les pistes possibles et il espère que vous ne serez pas obligée de rester enfermée trop longtemps.
Au ton de voix sceptique de Corcoran et à ses sourcils légèrement levés, Jessie voyait qu’il ne partageait pas l’opinion du capitaine Decker sur la situation.
— Il semblerait que vous soyez moins optimiste que lui, si j’ai bien compris ?
— C’est la nouvelle suivante, dit-il sans vraiment répondre à sa question. Nous n’avons pas réussi à retrouver M. Crutchfield. Bien que deux évadés aient été capturés, comme vous le savez, deux autres sont encore dans la nature, sans parler de M. Cortez.
— Depuis les dernières nouvelles que vous m’avez communiquées, est-ce que les hommes capturés ont fourni des informations utiles ?
— Malheureusement, non, concéda-t-il. Ces deux hommes disent encore la même chose : qu’ils se sont séparés quelques minutes après leur évasion. Aucun de ces hommes n’a su ce qui se passait avant d’être libéré de sa cellule.
— Donc, ce seraient seulement Crutchfield et Cortez qui auraient planifié l’évasion ?
— C’est ce que nous pensons, dit Corcoran. Néanmoins, nous avons lancé une chasse à l’homme massive pour retrouver tous les évadés. En plus de la Police de Los Angeles, le Sheriff’s Department, la California Highway Patrol, le CBI et le FBI sont tous impliqués, tout comme, bien sûr, le Marshals Service.
— J’ai remarqué que vous avez précisé que vous recherchiez les évadés, dit-elle. Et Xander Thurman ?
— Que voulez-vous dire ?
— Eh bien, il est tueur en série, lui aussi. Il a essayé de me tuer et de tuer deux inspecteurs de la Police de Los Angeles et il est en cavale. Combien de gens avez-vous lancé après lui ?
Corcoran la regarda comme s’il était étonné d’avoir à répondre à cette question.
— Selon votre description de ses blessures, nous considérons qu’il représente une menace moins immédiate. Quant à votre statut dans le cadre du WITSEC, il fait que nous nous inquiétons moins à son sujet, dans l’ensemble. De plus, pour l’instant, notre priorité est de retrouver les évadés d’un établissement de psychiatrie criminelle, pas un homme qui pourrait, jusqu’à preuve du contraire, être déjà mort.
— Vous voulez dire que vos recherches sont prévues pour plaire aux médias et au monde politique, fit ostensiblement remarquer Jessie.
— Cette description de la situation n’est pas fausse.
Jessie apprécia son honnêteté. De plus, pour une personne dans sa situation, elle ne pouvait pas vraiment affirmer que c’était là une utilisation déraisonnable des ressources. Elle décida de changer de sujet pour l’instant.
— Avez-vous des pistes potentielles ? demanda Jessie sans grand espoir.
— Nous pensons que nos plus grands espoirs concernent M. Cortez. Nous pensons qu’il a préparé les plans pour l’après-évasion. Nous surveillons ses comptes bancaires, ses achats par carte de crédit et les données du GPS de son téléphone pour les semaines qui ont précédé l’évasion. Jusque-là, nous n’avons rien trouvé d’utile, comme le seraient des billets d’avion.
— Vous n’en trouverez pas, marmonna Jessie.
— Pourquoi dites-vous ça ?
— Cortez restera avec Crutchfield et je vous garantis que Bolton Crutchfield n’ira nulle part.
— Comment pouvez-vous en être aussi sûre ? demanda Corcoran.
— Parce qu’il n’en a pas encore fini avec moi.
*
Cette nuit, Jessie ne trouva pas le sommeil. Quand elle se fut retournée pendant ce qui lui sembla être des heures, elle sortit du lit et alla à la cuisine pour remplir son verre à eau, qui était vide.
Quand elle marcha dans le couloir couvert de moquette qui partait de la chambre, elle sentit immédiatement que quelque chose n’allait pas. Le marshal qui était habituellement stationné sur une chaise placée là où le couloir donnait sur le salon était introuvable. Jessie envisagea de retourner dans sa chambre pour aller y chercher une arme puis se souvint qu’elle n’en avait aucune. Le Marshals Service l’avait prise jusqu’à nouvel ordre.
Donc, elle appuya le dos contre le mur du couloir sans tenir compte de son cœur qui battait la chamade et se dirigea vers la chaise vide sur la pointe des pieds. Quand elle se rapprocha, grâce au clair de lune qui entrait par les fenêtres, elle vit une tache sombre et humide sur la moquette couleur crème. La grande étendue sur laquelle le liquide avait giclé indiquait que ce n’était pas du vin que l’on aurait laissé tomber là par accident. Elle remarqua aussi que le liquide formait une ligne non négligeable qui s’étendait à perte de vue.
Jessie passa la tête autour du coin et vit que le marshal était allongé sur le dos contre l’autre mur, où on l’avait apparemment entraîné. Il avait la gorge tranchée d’un côté à l’autre. À côté de lui, par terre, il y avait son arme de service.
Jessie ressentit une poussée d’adrénaline pleine d’anxiété qui fit picoter ses doigts. En se souvenant de rester concentrée, elle s’agenouilla et inspecta la pièce en attendant d’être plus calme. Cela lui prit moins longtemps qu’elle ne l’aurait cru.
Comme elle ne voyait personne, elle jaillit de sa cachette et saisit l’arme. Quand elle baissa les yeux, elle vit une traînée d’empreintes de pas sanglantes qui s’éloignaient du corps du marshal pour aller vers la salle à manger attenante. Restant accroupie derrière le sofa, elle avança rapidement jusqu’à ce qu’elle puisse voir clairement ce qui se passait dans la pièce.
Un autre marshal y gisait par terre. Celui-là était face contre terre et baignait dans une mare de sang qui s’étendait rapidement de son cou en coulant et en formant une mare autour de son visage et de son torse.
En se forçant à ne pas s’attarder sur cette image, Jessie suivit les empreintes de pas sanglantes de cette pièce jusque dans la véranda, qui menait à la piscine dans la cour de derrière. La porte coulissante était ouverte et une brise légère poussait les rideaux vers l’intérieur en les faisant gonfler comme des nuages de basse altitude.
Jessie inspecta la pièce. Comme elle était vide, elle alla jusqu’à la porte coulissante pour jeter un coup d’œil à l’extérieur. On y voyait un corps en costume, qui flottait sur le ventre dans l’eau, laquelle prenait rapidement une teinte rouge-rosâtre. Ce fut à ce moment qu’elle entendit quelqu’un se racler la gorge derrière elle.
Elle virevolta tout en armant le pistolet. En face d’elle, à l’autre bout de la pièce, il y avait Bolton Crutchfield et son père, Xander Thurman, qui avait l’air étonnamment en bonne santé, alors que, seulement quelques semaines auparavant, il avait été touché au ventre et à l’épaule, avait probablement eu une fracture au crâne et avait sauté par une fenêtre du quatrième étage. Les deux hommes tenaient de longs couteaux de chasse.
Son père sourit tout en articulant silencieusement « Petite chérie », le nom affectueux qu’il avait donné à Jessie quand elle avait été petite. Jessie souleva l’arme et se prépara à tirer. Quand son doigt commença à appuyer sur la détente, Crutchfield parla.
— J’avais promis que je reviendrais vous voir, Mlle Jessie, dit-il aussi tranquillement que lorsqu’il lui avait parlé au travers de l’épaisse vitre de sa cellule.
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