1 ...8 9 10 12 13 14 ...17 — C’était amusant, dit Anderson avec légèreté.
— J’en suis sûre, répondit Keri. Vous devez vous douter que j’attends des informations de premier ordre pour vous avoir apporté un divertissement d’une telle qualité.
— Détective Locke, dit Anderson d’un ton faussement indigné, vous avez offensé ma délicate sensibilité. Cela fait des mois que nous ne nous sommes pas vus et pourtant, votre premier réflexe en me voyant est de demander des informations ? Pas de bonjour ? Pas de comment allez-vous ?
— Bonjour, dit Keri. Je vous demanderais bien comment vous allez, mais il est clair que vous n’allez pas fort. Vous avez perdu du poids. Vos cheveux sont grisonnants. La peau près de vos yeux s’est affaissée. Êtes-vous malade ? Ou quelque chose pèse-t-il sur votre conscience ?
— Les deux, en fait, admit-il. Voyez-vous, les garçons ici m’ont traité un peu plus brusquement dernièrement. Je ne fais désormais plus partie des populaires. Alors, je me fais parfois « emprunter » mon dîner. Je reçois de temps en temps un massage des côtes que je n’ai pas commandé. Et il se trouve que j’ai aussi une touche de cancer.
— Je ne savais pas, dit doucement Keri, sincèrement décontenancée. Tous les signes physiques d’affaiblissement semblaient maintenant logiques.
— Comment auriez-vous pu ? demanda-t-il. Je n’en ai pas fait la publicité. J’aurais pu vous le dire à mon audience de libération conditionnelle en novembre, mais vous n’y étiez pas. Je n’ai pas compris, d’ailleurs. Mais ce n’était pas votre faute. Votre lettre était adorable, merci beaucoup.
Keri avait écrit une lettre en faveur d’Anderson après qu’il l’ait aidée auparavant. Elle n’avait pas plaidé sa libération mais elle avait été généreuse dans la description de l’aide qu’il avait apportée aux forces de l’ordre.
— Vous n’étiez pas surpris de ne pas y être autorisé, je présume ?
— Non, dit-il. Mais il est difficile de ne pas espérer. C’était ma dernière chance réelle de sortir d’ici avant que la maladie ne m’emporte. Je rêvais de me promener sur une plage à Zihuatanejo. Hélas, cela n’arrivera pas. Mais assez bavardé, détective. Passons à la vraie raison de votre venue ici. Et souvenez-vous, les murs ont des oreilles.
— Ok, commença-t-elle avant de se pencher et de murmurer. Êtes-vous au courant pour demain soir ?
Anderson hocha la tête. Keri sentit une vague d’espoir lui soulever la poitrine.
— Savez-vous où ça se passe ?
Il secoua la tête.
— Je ne peux pas vous aider avec le où, lui répondit-il en murmurant. Mais je vais peut-être vous aider avec le pourquoi.
— À quoi cela me servirait ? demanda-t-elle amèrement.
— Savoir pourquoi pourrait vous aider à trouver le où.
— Laissez-moi vous demander un autre pourquoi, dit-elle tandis qu’elle réalisait que la colère l’emportait et qu’elle était incapable de la contenir.
— Très bien.
— Pourquoi m’aidez-vous tout court ? M’avez-vous guidée tout du long depuis que je vous ai rencontré la première fois ?
— Voilà ce que je peux vous dire, détective. Vous savez ce que je faisais pour vivre, de quelle façon j’organisais le vol d’enfants dans leurs familles pour les donner à d’autres familles, souvent pour un prix aberrant. C’était un commerce très juteux. J’ai pu le mener à distance en utilisant un faux nom et vivre une vie heureuse, sans complication.
— En tant que John Johnson ?
— Non, ma vie heureuse a été sous le nom de Thomas Anderson, bibliothécaire. John Johnson était mon alter égo, facilitateur de kidnapping. Quand je me suis fait arrêté, je me suis tourné vers quelqu’un que nous connaissons tous les deux pour m’assurer que John Johnson serait exonéré et que Thomas Anderson ne serait jamais relié à lui. C’était presque dix ans auparavant. Notre ami n’a pas voulu le faire. Il a dit qu’il représentait seulement ceux maltraités par le système, et que j’étais, et c’est amusant d’y repenser maintenant, un cancer dans ce système.
— C’est amusant, lui accorda Keri sans rire.
— Mais comme vous le savez, je peux être convaincant. Je l’ai persuadé que je prenais des enfants à des familles aisées et qui ne les méritaient pas et les donnait à des familles aimantes n’ayant pas les mêmes ressources. Puis je lui ai offert un énorme paquet d’argent pour qu’il me fasse acquitter. Je pense qu’il savait que je mentais. Après tout, comment ces familles aux faibles revenus pouvaient se permettre de me payer ? Et les parents qui perdaient leurs enfants était-ils tous si terribles ? Notre ami est très intelligent. Il devait savoir. Mais ça lui apportait quelque chose à quoi se raccrocher, quelque chose pour se rassurer quand il a accepté un montant à six chiffres de ma part.
— Six chiffres ? répéta Keri qui n’en croyait pas ses oreilles.
— Comme je le disais, c’était un commerce très lucratif. Et ce paiement n’était que le premier. Pendant la durée du procès, je lui ai versé environ un demi-million de dollars. Et avec ça, il était engagé. Après avoir été acquitté et après avoir repris le travail sous mon propre nom, il a même commencé à m’aider à faciliter les enlèvements pour ces familles « plus méritantes ». Tant qu’il trouvait un moyen de justifier les transactions, il était à l’aise avec elles, enthousiaste, même.
— Alors, vous lui avez fait mordre dans cette première bouchée du fruit défendu ?
— En effet. Et il s’est avéré qu’il en aimait le goût. En fait, il a découvert qu’il prenait goût à un grand nombre de choses qu’il ne pensait pas pouvoir aimer.
— Que voulez-vous dire exactement ? demanda Keri.
— Disons simplement que quelque part en chemin, il a perdu le besoin de justifier les transactions. Vous savez, cet événement demain soir ?
— Oui ?
— C’était son invention, dit Anderson. Attention, il ne participe pas. Mais il a réalisé qu’il y avait un marché pour ce genre de choses et pour toutes les festivités plus petites similaires tout au long de l’année. Il a comblé cette niche. Il contrôle essentiellement la version haut de gamme de ce… marché dans la région de Los Angeles. Et dire qu’avant moi, il travaillait dans un bureau d’une pièce à côté d'un magasin de beignets, représentant des immigrants illégaux accusés au hasard de crimes sexuels par des policiers qui cherchaient à établir des quotas.
— Alors, vous avez développé une conscience ? demanda Keri à travers ses dents serrées. Elle était dégoutée, mais elle voulait des réponses et craignait que montrer un dégoût trop manifeste amènerait Anderson à se refermer. Il sembla détecter ce qu’elle ressentait mais continua tout de même.
— Pas encore. Ce n’est pas ce que j’ai fait. C’est arrivé bien plus tard. J’ai vu cette histoire aux infos il y a environ un an et demi à propos d’une détective et son partenaire qui avaient sauvé cette petite fille qui avait été enlevée par le copain de la baby-sitter, un vrai monstre.
— Carlo Junta, dit Keri par automatisme.
— Exact. Enfin bref, dans l’histoire, ils ont mentionné que cette détective était la même femme qui avait rejoint l’école de police quelques années plus tôt. Et ils ont montré un bout d’une vidéo prise juste après sa remise de diplôme. Elle disait avoir rejoint les forces de l’ordre parce que sa fille avait été enlevée. Elle disait que même si elle n’avait pas pu sauver sa propre fille, peut-être qu’en étant dans la police, elle pourrait aider à sauver les filles d’autres familles. Cela vous semble familier ?
— Oui, dit Keri d’une voix basse.
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