Christine Lynch n’aura pas la chance de vivre un mariage ou d’avoir un époux, pensa Mackenzie. Cette idée provoqua une vague de tristesse en elle – une tristesse qui s’approfondit lorsqu’elle réalisa qu’il y avait aussi un autre rite de la féminité que Christine ne connaîtrait jamais.
Submergée par le chagrin, Mackenzie posa une main sur son ventre qui s’arrondissait à peine, comme pour protéger ce qu’il renfermait.
***
Après avoir passé un appel au bureau, Mackenzie et Ellington découvrirent que le compagnon de Christine était aussi un étudiant de Queen Nash, âgé de vingt-deux ans. Il travaillait à mi-temps dans un service de santé publique pour acquérir de l’expérience et préparer la carrière qui suivrait l’obtention de son diplôme de santé publique. Ils ne le trouvèrent pas au travail mais chez lui, apparemment bien plus affecté par la mort de Christine que la moyenne des petits amis.
Lorsqu’ils arrivèrent dans son appartement, Clark Manners était occupé à nettoyer machinalement ce qui était déjà un logement rutilant de propreté. Il était évident qu’il n’avait pas bien dormi récemment : ses yeux étaient vitreux, il marchait comme si une force inconnue le propulsait. Pourtant, il sembla enthousiaste lorsqu’il les invita à entrer et impatient d’en savoir plus.
- Écoutez, je ne suis pas stupide, commença-t-il lorsqu’ils s’assirent dans son salon immaculé. L’homme qui l’a tuée… qui qu’il soit… allait la violer, n’est-ce pas ? C’est la raison pour laquelle elle ne portait pas son T-shirt, n’est-ce pas ?
Mackenzie s’était posé la question, mais les photographies de la scène de crime racontaient une tout autre histoire. Lorsque Christine s’était effondrée sur le sol, elle avait atterri sur le T-shirt. Cela semblait indiquer qu’il avait été enlevé très naturellement, avant d’être abandonné par terre. Si Mackenzie prenait les paris, elle dirait que Christine l’avait retiré de son propre chef, sûrement pour la personne qu’elle avait invitée à entrer… et qui avait fini par la tuer. D’ailleurs… Mackenzie n’était pas convaincue que le tueur ait eu l’intention de violer Christine. S’il en avait eu envie, il aurait pu. Non… Mackenzie estimait qu’il était venu la tuer, et rien d’autre.
Mais ce pauvre diable n’avait pas besoin de le savoir.
- Il est trop tôt pour le dire, répondit Mackenzie. Plusieurs scénarios ont pu avoir lieu. Et nous espérions que vous pourriez peut-être nous apporter des informations pour nous aider à mieux comprendre la situation.
- Bien sûr, bien sûr, répondit Clark, qui avait clairement besoin d’une longue sieste et de moins de café. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.
- Pouvez-vous décrire la nature de votre relation avec Christine ? demanda Ellington.
- Nous sortons ensemble depuis environ sept mois. C’est la première vraie relation de ma vie – la première qui dure plus de deux ou trois mois. Je l’aimais… je l’ai su après le premier mois.
- Votre relation était-elle physique ? demanda Mackenzie.
Clark hocha la tête, le regard perdu dans le vague.
- Ouais. Nous avons franchi cette étape assez rapidement.
- La nuit où elle a été tuée, renchérit Mackenzie. D’après ce que je comprends, elle venait de sortir d’ici. Dormait-elle souvent chez vous ?
- Ouais, une ou deux fois par semaine. Je dormais aussi parfois chez elle. Elle m’avait donné une clef pour faciliter les choses il y a quelques semaines. C’est comme ça que j’ai pu entrer chez elle… et la trouver…
- Pourquoi n’est-elle pas restée avec vous ce soir-là ? l’interrogea Ellington. Elle est partie tard. Vous êtes-vous disputés ?
- Non. Seigneur, on ne se disputait presque jamais. Non… nous avions tous bu mais j’avais un peu exagéré sur l’alcool. Je l’ai embrassée pour lui dire au revoir alors qu’elle était toujours avec mes amis. Je suis allé me coucher et je me suis endormi comme une masse, en me sentant un peu barbouillé. J’étais persuadé qu’elle finirait par me rejoindre mais quand je me suis réveillé le lendemain, il n’y avait aucune trace d’elle.
- Pensez-vous que l’un de vos amis l’ait raccompagnée ? demanda Mackenzie.
- Je leur ai tous posé la question et ils m’ont affirmé que non. Même s’ils le lui avaient proposé, Christine aurait refusé. Nous habitons seulement à trois pâtés de maison de distance et elle aime l’hiver… elle aime marcher dans le froid. Elle est originaire de Californie, donc la neige est quelque chose de magique, vous savez ? Je me souviens même… cette nuit, elle était surexcitée parce que la météo avait annoncé de la neige. Elle plaisantait en disant qu’elle voulait se promener sous la neige.
- Combien d’amis étaient avec vous ce soir-là ?
- En comptant Christine, nous étions six en tout. D’après ce que je sais, ils sont tous partis peu après elle.
- Pouvons-nous obtenir leurs noms et leurs coordonnées ? demanda Ellington.
- Bien sûr, répondit-il en sortant son téléphone et en commençant à faire défiler ses contacts.
- Est-il habituel pour vous d’inviter autant de personnes un soir de semaine ? demanda Mackenzie.
- Non. Nous nous sommes retrouvés pour une dernière soirée avant la fin des vacances d’hiver. Les cours reprennent la semaine prochaine, vous savez ? Et entre les horaires de travail, les visites à la famille, c’était le seul moment où nous étions tous libres.
- Christine avait-elle des amis en dehors de votre groupe ?
- Quelques uns. Mais elle était plutôt introvertie. Il y avait moi, deux de mes amis avec qui elle passait du temps, et c’était tout. Elle était très proche de sa mère, aussi. Je crois que sa mère avait prévu de venir avant la fin du semestre – genre, pour s’installer ici pour de bon.
- Avez-vous parlé à sa mère depuis les derniers événements ?
- Oui. Et c’était très bizarre parce que c’était la première fois que je parlais à cette dame. Je l’ai aidée avec…
Il marqua une pause, les larmes envahirent ses yeux fatigués pour la première fois.
- …les arrangements funéraires. La crémation aura lieu ici, je crois. Elle a pris l’avion hier soir et s’est installée dans un hôtel dans le coin.
- Est-elle accompagnée par des proches ? demanda Mackenzie.
- Je ne sais pas.
Il se pencha en avant et fixa le sol. Il était à la fois épuisé et triste, un mélange qui semblait avoir terminé de le dévaster.
- Nous allons vous laisser tranquille pour le moment, répondit Mackenzie. Si cela ne vous dérange pas, pourriez-vous nous donner l’adresse de l’hôtel de Mme Lynch ?
- Pas de problème, dit-il en ressortant lentement son téléphone de sa poche. Attendez.
Tandis qu’il cherchait ses coordonnées, Mackenzie jeta un coup d’œil à Ellington. Comme toujours, il était attentif au moindre détail. Ses yeux parcouraient la pièce pour s’assurer qu’ils ne négligeaient rien. Elle remarqua aussi, incidemment, qu’il triturait son alliance tout en examinant l’appartement. Il la tournait lentement autour de son doigt, sans s’arrêter.
Alors, elle jeta un autre coup d’œil à Clark Manners. Elle était à peu près sûre qu’ils l’interrogeraient à nouveau – et probablement sous peu. Le fait qu’il nettoie obsessionnellement son appartement après la mort de sa petite amie avait du sens d’un point de vue psychologique mais pouvait aussi être perçu comme une tentative de se débarrasser de preuves.
Mais elle avait vu des personnes brisées par le chagrin auparavant et son instinct lui disait que Clark était innocent. Personne ne pouvait simuler cette douleur et cette incapacité à trouver le repos. Mais ils devraient tout de même probablement parler à certains de ses amis à un moment donné.
Читать дальше