Le regard glacial de Renault était stoïque, aussi détaché que tout virologue doit l’être. “Docteur,” dit-il doucement, “vous hyperventilez. Retirez votre respirateur avant de perdre connaissance.”
La respiration de Cicero devenait haletante et rapide, dépassant la capacité du respirateur. Ses yeux allaient et venaient entre l’arme dans la main de Renault, au bout de son bras qu’il laissait pendre tranquillement le long de son corps, et le trou dans lequel le Dr. Scott gisait mort à présent. “Je… je ne peux pas,” bafouilla Cicero. Retirer son respirateur signifiait se soumettre potentiellement lui-même à la maladie. “Renault, je vous en supplie…”
“Je ne m’appelle pas Renault,” dit le jeune homme. “Je m’appelle Cheval, Adrien Cheval. Il y a bien eu un Renault, un étudiant d’université qui a été pris pour cet internat. Il est mort maintenant. C’est sa transcription et sa thèse que vous avez lues.”
Les yeux injectés de sang de Cicero s’élargirent encore. Les bords de sa vision devenaient sombres et brumeux, alors qu’il menaçait de perdre connaissance. “Je ne… je ne comprends pas… pourquoi ?”
“Dr. Cicero, s’il vous plaît. Retirez le respirateur. Si vous devez mourir, ne préférez-vous pas le faire avec un peu de dignité ? En regardant le soleil, plutôt que derrière un masque ? Si vous perdez connaissance, je vous assure que vous ne vous réveillerez jamais.”
Avec des doigts tremblants, Cicero leva lentement le bras et retira la capuche jaune serrée sur ses cheveux blancs. Puis, il attrapa le respirateur et le masque pour les retirer. La sueur qui avait perlé sur son front se figea instantanément et gela.
“Je veux que vous sachiez,” dit le français, Cheval, “que je vous respecte vraiment, ainsi que votre travail, Cicero. Je ne prends aucun plaisir à faire ça.”
“Renault, ou Cheval, qui que vous soyez, écoutez la voix de la raison.” Une fois le respirateur enlevé, Cicero regagna assez de ses facultés pour pouvoir faire son plaidoyer. Il ne pouvait y avoir qu’une seule motivation chez le jeune homme face à lui pour commettre une telle atrocité. “Peu importe ce que vous prévoyez de faire avec ça, je vous prie de bien réfléchir. C’est extrêmement dangereux…”
Cheval soupira. “J’en suis conscient, Docteur. Vous savez, j’étais moi-même étudiant à l’Université de Stockholm et j’étais réellement en doctorat. Cependant, j’ai commis une erreur l’an dernier. J’ai imité des signatures de professeurs sur un formulaire de demande afin d’obtenir les échantillons d’un entérovirus rare. Ils l’ont découvert et j’ai été renvoyé.”
“Alors… alors laissez-moi vous aider,” implora Cicero. “Je-je peux signer une telle demande. Je peux vous aider dans vos recherches. N’importe quoi, mais ça…”
“Recherches,” se moqua tranquillement Cheval. “Non, Docteur. Il ne s’agit pas de recherches. Les miens attendent et ce ne sont pas des hommes patients.”
Les yeux de Cicero lançaient des éclairs. “Rien de bon ne découlera de tout ça. Vous le savez bien.”
“Vous avez tort,” rétorqua le jeune homme. “Beaucoup mourront, c’est vrai. Mais ils mourront noblement, pour tracer la voie d’un avenir meilleur.” Cheval détourna le regard. Il n’avait pas envie de tirer sur ce gentil vieux docteur. “Vous aviez raison à propos d’une chose, toutefois. Ma Claudette : elle existe. Et l’absence rend effectivement mon cœur plus tendre. Maintenant, je dois y aller, Cicero, et vous aussi par conséquent. Mais je vous respecte et je souhaite vous accorder un dernier vœu. Y a-t-il quoi que ce soit que vous aimeriez dire à votre Phoebe ? Vous avez ma parole que je lui transmettrai le message.”
Cicero secoua lentement la tête. “Je n’ai rien d’assez important à lui dire qui justifierait de mettre un monstre comme vous sur son chemin.”
“Très bien. Au revoir, Docteur.” Cheval leva le PA-15 et tira un seul coup dans le front de Cicero. La blessure gela, le temps que le docteur titube et s’effondre sur le sol de la toundra.
Dans le silence étrange qui suivit, Cheval prit un moment pour s’agenouiller et murmurer une courte prière. Ensuite, il se mit à l’œuvre.
Il nettoya ses empreintes et la poudre sur l’arme, puis la balança dans les flots de la rivière glaciale Kolyma. Ensuite, il fit rouler les quatre corps dans le trou pour qu’ils rejoignent le Dr. Scott. À l’aide d’une pelle et d’une pioche, il passa quatre-vingt-dix minutes à les recouvrir, ainsi que le bras décomposé mis à jour, avec de la terre partiellement gelée. Il démantela le site de fouilles, retirant les poteaux et arrachant le ruban jaune du périmètre. Il prit son temps, travaillant méticuleusement : personne ne tenterait de contacter l’équipe de recherche dans les huit à douze heures qui viendraient, et il faudrait au moins vingt-quatre bonnes heures avant que l’OMS n’envoie quelqu’un sur le site. Il y aurait certainement une enquête et les corps enterrés seraient découverts, mais Cheval n’avait pas envie de leur faciliter la tâche.
Pour finir, il s’empara des flacons en verre qui contenaient les échantillons du bras en décomposition et les fit soigneusement glisser, un à un, dans les tubes sécurisés en mousse de la boîte en acier inoxydable, pleinement conscient à chaque instant qu’un seul d’entre eux avait le pouvoir d’être extrêmement mortel. Puis, il referma les quatre crochets de la boite et rapporta les échantillons au campement.
Dans la salle blanche improvisée, Cheval entra dans la douche de décontamination portable. Six buses le pulvérisèrent sous tous les angle avec de l’eau bouillante et un émulsifiant intégré. Quand ce fut fini, il retira méthodiquement et soigneusement l’équipement de protection jaune, l’abandonnant au sol de la tente. Il était possible que des cheveux ou de la salive, permettant de l’identifier, soient restés dans la combinaison, mais il avait une dernière tâche à accomplir.
À l’arrière de la jeep tout-terrain de Cicero, se trouvaient deux jerricanes d’essence rouges et rectangulaires. Il ne lui en faudrait qu’un seul pour rejoindre la civilisation à nouveau. Il déversa entièrement l’autre sur la salle blanche, sur les quatre tentes en néoprène et sur l’auvent de toile.
Ensuite, il alluma le feu. L’incendie prit tout de suite et monta rapidement, envoyant rouler une fumée noire et huileuse vers le ciel. Cheval grimpa à bord de la jeep avec la boîte d’échantillons en acier et s’éloigna des lieux. Il ne se pressa pas et ne regarda pas dans le rétroviseur pour voir le site brûler. Il prit son temps.
L’Imam Khalil allait attendre. Mais le jeune français avait encore beaucoup à faire avant que le virus ne soit prêt.
Reid Lawson regarda par la fenêtre du bureau de chez lui pour la dixième fois en moins de deux minutes. Il commençait à se sentir nerveux : le bus aurait déjà dû arriver.
Son bureau se trouvait à l’étage, dans la plus petite des trois chambres de leur nouvelle maison de Spruce Street à Alexandria, en Virginie. C’était un changement bienvenu par rapport à la petite pièce exiguë qui lui servait de bureau quand ils vivaient dans le Bronx. Il avait déballé la moitié de ses affaires, le reste étant encore dans des cartons posés au sol, un peu partout dans la pièce. Il avait monté ses étagères, mais ses livres restaient pour l’heure empilés au sol, par ordre alphabétique. Les seules choses qu’il avait pris soin de monter et d’organiser totalement étaient son meuble de bureau et son ordinateur.
Reid s’était dit qu’il allait finalement s’en occuper aujourd’hui, près d’un mois après avoir emménagé, et finir de ranger son bureau.
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