“Ça fait une minute,” dit Rais d’une voix distincte de l’autre côté.
“J’ai presque fini,” se dépêcha-t-elle de répondre. Elle retint son souffle en soulevant le couvercle du réservoir de la chasse des WC, espérant que le bruyant ventilateur de la salle de bains étouffe tout autre son éventuel. Ensuite, elle passa le mot enroulé dans la chaîne du mécanisme de la chasse, assez haut pour qu’il ne touche pas l’eau.
“Je t’ai dit une minute. Je vais ouvrir la porte.”
“Donnez-moi juste quelques secondes, s’il vous plaît !” implora Maya en replaçant rapidement le couvercle. Pour finir, elle s’arracha quelques cheveux et les laissa tomber sur le réservoir refermé des toilettes. Avec un peu de chance, ou plutôt beaucoup de chance, quelqu’un suivant leur trace comprendrait qu’il s’agissait d’un indice.
Il ne lui restait qu’à espérer.
La poignée de porte de la salle de bains se mit à tourner. Maya tira la chasse des toilettes et s’accroupit dans une position suggérant qu’elle était en train de remonter son pantalon de pyjama.
Rais passa la tête par la porte ouverte en regardant au sol. Lentement, il leva les yeux vers les deux filles, les inspectant tour à tour du regard.
Maya retint son souffle. Sara saisit la main enchaînée de sa sœur et leurs doigts s’entremêlèrent.
“Tu as fini ?” demanda-t-il lentement.
Elle acquiesça.
Il regarda à droite et à gauche d’un air dégoûté. “Lave-toi les mains. Cette pièce est dégueulasse.”
Maya s’exécuta, se lavant les mains avec le savon orange bon marché, tandis que le poignet de Sara pendait mollement à côté du sien. Elle s’essuya les mains sur la serviette marron et l’assassin approuva d’un signe de tête.
“Retournez au lit. Allez.”
Elle guida Sara dans la chambre et elle se remirent au lit. Rais traîna un moment, regardant partout dans la petite salle de bains. Puis il éteignit le ventilateur, la lumière et retourna dans son fauteuil.
Maya passa son bras autour de Sara elle la serra contre elle.
Papa va le trouver, pensa-t-elle avec un fol espoir. Il va le trouver. Je le sais.
Reid se dirigeait vers le sud sur l’autoroute, faisant de son mieux pour respecter les limitations de vitesse, tout en voulant arriver aussi vite que possible à l’aire de repos où le pick-up de Thompson avait été retrouvé. Même s’il s’inquiétait de trouver une piste ou un indice, il commençait à se sentir optimiste en prenant la route. Son chagrin était toujours présent, bien installé dans sa gorge comme s’il avait avalé une balle de bowling mais, à présent, il était enveloppé dans une coquille de résolution et de ténacité.
Il avait déjà la sensation familière que son côté Kent Steele avait pris les rênes en roulant sur l’autoroute dans la Trans Am noire, le coffre bourré de flingues et de gadgets à sa disposition. Il y avait des moments où il fallait être Reid Lawson, mais pas maintenant. Kent était aussi leur père, que les filles le sachent ou non. Kent avait été le mari de Kate. Et Kent était un homme d’action. Il n’attendrait pas que la police trouve une piste ou qu’un autre agent fasse son boulot.
Il allait les trouver. Il fallait juste qu’il découvre où Rais les emmenait.
L’autoroute qui traversait la Virginie vers le sud était quasiment tout droit, à deux voies, entouré des deux côtés par d’épais arbres et totalement monotone. À mesure que les minutes s’écoulaient, la frustration de Reid croissait de ne pas pouvoir arriver plus vite.
Pourquoi au sud ? pensa-t-il. Où est-ce que Rais les emmenait ?
Je ferais quoi si j’étais lui ? J’irais où ?
“C’est ça,” se dit-il à haute voix alors qu’une idée venait de faire irruption dans sa tête. Rais voulait être retrouvé, mais pas par la police, le FBI ou un autre agent de la CIA. Il voulait que seul Kent Steele puisse le retrouver.
Je ne dois pas réfléchir à ce qu’il pourrait faire. Je dois songer à ce que je ferais, moi, dans ce cas.
Je ferais quoi ?
Les autorités avaient déduit que Rais emmenait les filles plus au sud, étant donné que le pick-up avait été retrouvé au sud d’Alexandria. “Ce qui veut dire que j’irais…”
Ses pensées furent interrompues par la forte sonnerie du téléphone sur la console centrale.
“Au nord,” dit immédiatement Watson.
“Qu’est-ce que tu as trouvé ?”
“Rien d’intéressant à l’aire de repos. Fais demi-tour et, ensuite, on pourra parler.”
Reid ne se fit pas prier deux fois. Il posa le téléphone sur la console, rétrograda en troisième, puis fit tourner le volant à gauche. Il n’y avait pas beaucoup de voitures sur l’autoroute à cette heure-ci un dimanche. La Trans Am traversa la voie vide et dérapa dans l’herbe sur le terre-plein central. Ses roues ne crissèrent pas contre le goudron et ne perdirent pas d’adhérence en rencontrant le sol mou. Mitch avait dû installer des pneus radiaux haute-performance. La Trans Am fit une queue de poisson sur la voie du milieu, l’avant ne patinant que légèrement, en projetant une cacade de poussière derrière elle.
Reid redressa la voiture en traversant l’étroite bande entre les deux côtés de l’autoroute. Quand la voiture fut de nouveau sur l’asphalte, il appuya sur l’embrayage, passa une vitesse, et enfonça la pédale d’accélération. La Trans Am bondit en avant comme un éclair sur la voie opposée.
Reid refoula la soudaine excitation qui montait en lui. Son cerveau réagissait vivement à tout ce que l’adrénaline produisait : il aimait le frisson, la possibilité éventuelle de perdre le contrôle et le plaisir galvanisant de le reprendre.
“Je me dirige vers le nord,” dit Reid en reprenant le téléphone. “Tu as trouvé quoi ?”
“J’ai un technicien qui surveille les fréquences de la police. Aucune inquiétude, j’ai toute confiance en lui. Une berline bleue a été signalée abandonnée sur le parking d’un concessionnaire de véhicules d’occasion ce matin. Dedans, ils ont trouvé un porte-monnaie avec une pièce d’identité et des cartes qui correspondent à la femme qui a été tuée à l’aire de repos.”
Reid fronça les sourcils. Rais avait volé la voiture et s’en était rapidement débarrassé. “Où ?”
“C’est ça le truc. C’est dans le Maryland, à environ deux heures au nord de là où tu te trouves.”
Il râla de frustration. “Deux heures ? Je n’ai pas ce genre de temps à perdre. Il a déjà une belle avance sur nous.”
“J’y travaille,” répondit froidement Watson. “Autre chose : le concessionnaire a dit qu’il manquait une voiture sur son parking : un SUV blanc d’un modèle qui a huit ans. Nous ne pouvons rien faire de plus pour le pister qu’attendre qu’il soit repéré. Examiner les images satellite serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin…”
“Non,” dit Reid. “Ce n’est pas la peine. Le SUV mènera certainement de nouveau à une impasse. Il se joue de nous à changer de direction en essayant de nous perdre pour qu’on ne sache pas où il les emmène vraiment.”
“Comment tu le sais ?”
“Parce que c’est ce que je ferais à sa place.” Il réfléchit un moment. Rais avait déjà de l’avance sur eux. Il fallait qu’ils anticipent son coup suivant, ou au moins qu’ils agissent de pair avec lui. “Demande à ton technicien de chercher les voitures déclarées volées dans les douze dernières heures à peu près, entre ici et New York.”
“On risque avoir énormément de résultats,” fit remarquer Watson.
Il avait raison… Reid savait qu’une voiture était volée toutes les quarante-cinq secondes aux USA, donc ça faisait des centaines de milliers chaque année. “Très bien, alors il faut exclure les dix modèles les plus fréquemment volés,” dit-il. Même si ça l’ennuyait de l’admettre, Rais était intelligent. Il saurait certainement quelles voitures éviter et lesquelles choisir. “Écarte aussi tout ce qui est trop cher ou trop voyant, les couleurs vives, les signes particuliers, tout ce que les flics pourraient facilement trouver. Et, bien sûr, tout ce qui est assez récent pour être équipé d’un GPS. Qu’il se concentre sur les lieux où il y a peu de monde aux alentours : parkings vides, entreprises fermées, parcs industriels, ce genre de trucs.”
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