1 ...6 7 8 10 11 12 ...21 Il lut l’heure sur l’écran. Il était plus de dix heures du soir. Il ne pouvait y avoir qu’un nombre réduit de raisons à cet appel. Soit un vieux copain de l’armée l’appelait ivre, soit c’était une erreur, soit … Il laissa le téléphone sonner jusqu’à ce qu’il s’arrête et que sa lumière s’éteigne.
Un moment plus tard, le téléphone recommença à sonner.
Luke soupira et jeta un coup d’œil au numéro. C’était le travail, bien sûr.
Il prit le téléphone.
— Allô ?
Il le dit de la voix Je dors et pourquoi m’embêtez-vous la plus douce possible.
Il entendit une voix féminine. Trudy Wellington. Il se la représenta. Elle était jeune, belle, intelligente et elle avait des cheveux marron qui lui tombaient en cascade sur les épaules.
— Luke ?
— Oui.
Elle était en mode pragmatique. Ce qui avait failli arriver entre eux, et dont ils n’avaient jamais parlé, semblait disparaître dans le rétroviseur. C’était probablement mieux comme ça.
— Luke, il y a un problème. Don rassemble toute l’équipe. J’y suis déjà. Swann, Murphy et Ed Newsam sont en chemin.
— Maintenant ? demanda-t-il alors qu’il connaissait la réponse.
— Oui. Maintenant.
— Est-ce que ça peut attendre ? dit Luke.
— Pas vraiment.
— Mmm.
— Au fait, Luke, amène un sac d’évacuation.
Il leva les yeux au ciel. Son travail et sa vie de famille avaient du mal à coexister. Pour la énième fois, il se demanda si son gagne-pain était compatible avec le foyer heureux qu’il essayait de fonder avec Becca.
— Où allons-nous ? dit-il.
— C’est top-secret. Tu l’apprendras au briefing.
Il hocha la tête.
— OK.
Il raccrocha et inspira profondément.
Il souleva le bébé et le prit dans ses bras, se leva et prit le couloir pour se rendre à la chambre principale. Il faisait noir, mais il y voyait assez bien. Becca somnolait dans le lit king-size. Il se baissa et plaça le bébé à côté d’elle en lui effleurant la peau. Dans son demi-sommeil, elle produisit un petit son de plaisir. Elle posa doucement une main sur le bébé.
Il les contempla un petit moment. Maman et bébé. Une vague d’amour si intense qu’il n’aurait pas pu la décrire le submergea. Comme il la comprenait à peine, il n’aurait jamais pu l’expliquer à quelqu’un d’autre. C’était au-delà des mots.
Ils étaient toute sa vie.
Mais il fallait aussi qu’il parte en mission.
23 h 05, Heure de l’Est
Quartier général de l’Équipe d’Intervention Spéciale
McLean, Virginie
— Que faisons-nous ici ? demanda Kevin Murphy.
Il portait une tenue d’affaires décontractée, comme s’il sortait juste d’une soirée de jeunes cadres.
Mark Swann, dont la tenue n’avait rien absolument en commun avec celle d’un cadre, sourit. Il portait un tee-shirt Ramones noir et un jean troué. Il avait les cheveux en queue de cheval.
— D’un point de vue existentiel ? dit-il.
Murphy secoua la tête.
— Non. Je veux juste savoir pourquoi nous sommes tous ensemble dans cette salle au milieu de la nuit.
La salle de conférence, que Don Morris appelait parfois non sans optimisme le centre de commandement, contenait une longue table rectangulaire avec un téléphone mains libres installé au centre. Tous les mètres, il y avait des ports de données où les gens pouvaient brancher leurs ordinateurs portables. Il y avait deux grands moniteurs vidéo au mur.
La salle n’était pas très grande, mais Luke y avait participé à des réunions où jusqu’à vingt personnes avaient été présentes. Vingt personnes dans cette pièce, cela donnait l’impression de prendre le métro de Tokyo à l’heure de pointe.
— OK, les gars, dit Don Morris.
Don portait une chemise élégante moulante, les manches roulées au milieu des avant-bras. Devant lui, il avait une tasse de café dans un gobelet en carton épais. Ses cheveux blancs étaient coupés au ras du crâne, comme s’il était allé chez le coiffeur cet après-midi. Son langage corporel était détendu, mais ses yeux avaient la dureté de l’acier.
— Merci d’être venus si vite. Bon, laissons tomber les salamalecs, si vous voulez bien.
Partout dans la pièce, les gens approuvèrent d’un murmure. Mis à part Don Morris, Swann, Murphy et Luke, il y avait Ed Newsam. Avachi sur sa chaise, il portait un tee-shirt noir à manches longues qui moulait son torse musclé, un jean et des bottes de travail jaunes Timberland délacées. On aurait dit que cette réunion l’avait tiré d’un sommeil profond.
Enfin, il y avait Trudy Wellington. Elle portait un chemisier et un pantalon élégant, comme si elle n’était jamais rentrée chez elle après le travail. Ses lunettes rouges étaient poussées contre son visage. Elle paraissait être en forme, buvait du café elle aussi et avait déjà commencé à saisir des informations sur l’ordinateur portable qui se trouvait devant elle. Quoi qu’il se passe, elle avait été mise au courant en premier.
À l’autre bout de la table, près des écrans vidéo, il y avait un général quatre étoiles grand et mince en uniforme de cérémonie impeccable. Ses cheveux gris étaient coupés au ras du crâne. Son visage était imberbe, comme s’il s’était rasé juste avant d’entrer ici. Même s’il était tard, cet homme avait l’air frais et prêt à fonctionner vingt-quatre ou quarante-huit heures de plus, ou plus longtemps si nécessaire.
Luke l’avait déjà rencontré une fois mais, même s’il ne l’avait jamais vu, il aurait quand même connu cet homme à fond. À chaque matin au réveil, il faisait son lit avant tout autre chose ; c’était sa première tâche de la journée et elle annonçait les autres. Avant que le soleil ne fasse son apparition dans le ciel, cet homme avait probablement déjà couru seize kilomètres et englouti du gruau froid et du café fort. On reconnaissait l’homme ambitieux de West Point à un kilomètre.
Assis à la table près de lui, il y avait un colonel avec un ordinateur portable et une pile de feuilles. Le colonel n’avait pas encore levé les yeux de l’ordinateur.
— Messieurs, dit Don Morris, j’aimerais vous présenter le Général Richard Stark du Comité des Chefs d’États-Majors Interarmées et son aide de camp, le Colonel Pat Wiggins.
Don regarda le général.
— Dick, le groupe d’experts de l’Équipe d’Intervention Spéciale est à ta disposition.
— Dans la limite de ses capacités, dit Mark Swann.
Don Morris fit la tête à Swann, comme pour faire taire un fils adolescent grande gueule, mais il ne dit rien.
— Messieurs et madame, dit Stark en baissant la tête à l’intention de Trudy, j’irai droit au but. Une crise avec prise d’otages est en cours dans la zone arctique de l’Alaska et le Président des États-Unis a autorisé un sauvetage. Il a précisé que le sauvetage devrait s’effectuer sous la supervision et avec la participation d’une agence civile, d’où votre intervention.
— Pendant que je parlais au Président, je me suis dit que vous pourriez nous donner ce que ces deux mondes avaient de mieux. En effet, l’Équipe d’Intervention Spéciale est un organisme d’application de la loi civil, mais il regorge d’agents spéciaux de l’armée. Le directeur du FBI a approuvé votre participation et Don a eu la délicatesse d’organiser cette réunion au dernier moment.
Il regarda le groupe.
— Vous me suivez jusque-là ?
Il y eut un murmure approbateur général.
Le colonel contrôlait l’écran vidéo à partir de son ordinateur portable. Une carte du nord de l’Alaska y apparut avec une bande de l’Océan Arctique. Dans la mer, un petit point était cerclé de rouge.
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