Le flanc de la colline redevint silencieux, à l’exception des cris des oiseaux charognards, et des bruissements qui promettaient de plus grands prédateurs un peu plus loin. Il y avait peut-être même des prédateurs humains qui les observaient, Raymond avait en effet entendu dire que les hommes civilisés ne voyaient pas les Pictis dans leurs territoires sauvages quand ils ne voulaient pas être vus. Le simple fait de ne pas savoir rendait toute chose plus cruelle.
— Le duc dit que vous allez mourir, dit le charretier, mais il n’a pas dit comment, alors on va jouer le jeu auquel les traîtres ont le droit jouer. Vous irez dans les cages, et peut-être que vous vivrez ou peut-être que vous mourrez. Puis, dans un jour ou deux, si on y pense, on reviendra, et on choisira l’un de vous pour la pierre.
Il regarda Raymond droit dans les yeux.
— Ce sera peut-être toi. Peut-être que tu pourras regarder pendant que tes frères meurent, et pendant que les animaux viennent te bouffer, et que les Pictis viennent te couper. Ils détestent les gens du royaume. Ils ne peuvent pas attaquer la ville, mais vous… vous seriez des proies faciles.
Il se mit à rire et les gardes firent descendre Raymond, détachant ses chaînes d’un crochet dans le chariot avant de l’en extirper. Pendant un moment, ils se dirigèrent vers la pierre et Raymond fut sur le point de les supplier de ne pas le mettre dessus pensant qu’ils avaient peut-être changé d’avis et décidé de l’y mettre immédiatement. Au lieu de cela, ils l’emmenèrent à l’une des cages suspendues et le poussèrent à l’intérieur avant de fermer la porte derrière lui et de la verrouiller avec une serrure qui semblait pouvoir résister à toute tentative d’évasion.
La cage n’offrait que peu d’espace, Raymond ne pouvait s’y asseoir confortablement ni même envisager de s’y allonger. La cage grinçait et se déplaçait à chaque mouvement du vent, assez fort pour donner l’impression d’être une torture en soi. Tout ce que Raymond pouvait faire, c’était rester assis là pendant que les hommes traînaient ses frères dans d’autres cages, incapable de leur venir en aide.
Garet se débattit comme il le faisait toujours. Cela lui valut un coup au ventre avant qu’ils ne le soulèvent et ne l’enferment dans une autre cage, de la même façon qu’un fermier aurait pu pousser un mouton non coopératif dans un enclos. Ils soulevèrent Lofen tout aussi facilement, le jetant dans une autre prison suspendue, et ils se retrouvèrent tous suspendus enveloppés dans la puanteur de la mort émanant des corps abandonnés sur le flanc de la montagne.
— Comment avez-vous pu croire que vous pourriez vous battre contre le duc ? demanda le charretier. Le duc Altfor a dit que vous paierez pour ce que votre frère a fait, et vous le ferez. Attendez, pensez à ça, et souffrez. On reviendra.
Sans un mot de plus, il tourna la charrette et commença à s’éloigner, laissant Raymond et ses frères se balançant doucement.
— Si je peux…, dit Garet, essayant manifestement d’atteindre la serrure de sa cage.
— Tu ne sais pas ouvrir une serrure, dit Lofen.
— Je peux essayer, non ? riposta Garet. Nous devons essayer quelque chose. Nous devons…
— Il n’y a rien à essayer, répondit Lofen. Peut-être qu’on peut tuer les gardes quand ils reviendront, mais on ne pourra pas contourner ces serrures.
Raymond secoua la tête.
— Assez, dit-il. Ce n’est pas le moment de se disputer. Il n’y a nulle part où aller, et rien à faire, alors le moins que l’on puisse faire, c’est de ne pas se battre entre nous.
Il savait ce que signifiait un tel endroit et qu’il n’y avait aucune chance réelle de s’échapper.
— Bientôt, dit-il, des animaux viendront, ou pire encore. Peut-être que je ne pourrai plus parler après. Peut-être que je… peut-être qu’on sera tous morts.
— Non, dit Garet en secouant la tête. Non, non, non.
— Si, répliqua Raymond. On ne peut pas contrôler ça, mais on peut affronter nos morts avec courage. Nous pouvons leur montrer que les gens honnêtes affrontent la mort avec dignité. Nous pouvons refuser de leur donner la peur qu’ils veulent.
Il vit Garet blêmirent avant de hocher la tête
— D’accord, dit son frère. D’accord, je peux le faire.
— Je sais que tu peux, dit Raymond. Vous pouvez tout faire, tous les deux. Je veux dire…
Comment pouvait-il formuler ce qu’il avait sur le cœur ?
— Je vous aime tous les deux, et je suis si reconnaissant d’avoir eu la chance d’être votre frère. Si je dois mourir, je suis content d’avoir au moins l’occasion de le faire avec les meilleures personnes que je connaisse au monde.
— « Si », dit Lofen. Ce n’est pas encore fait.
— « Si », approuva Raymond, mais au cas où ça arriverait, je voulais que vous le sachiez.
— Oui, dit Lofen. Je ressens la même chose.
— Moi aussi, dit Garet.
Raymond resta immobile, essayant d’avoir l’air courageux pour ses frères, et pour tous ceux qui le regardaient, parce qu’il était sûr qu’il devait y avoir quelque chose ou quelqu’un qui regardait depuis les ruines de la tour. Tout ce temps, il essaya de ne pas penser à la vérité :
Il n’y avait pas de « si » à cela. Déjà, Raymond pouvait voir les premiers frémissements de charognards se rassembler dans les arbres. Ils allaient mourir. Les seules incertitudes concernaient le temps que cela prendrait et les souffrances que cela engendrerait.
Royce s’agenouilla parmi les cendres de la maison de ses parents, des fragments de bois carbonisés tombant tout autour de lui de la même manière que des larmes roulaient le long de ses joues. Elles tracèrent des sillons à travers la suie et la saleté qui recouvraient maintenant son visage, le laissant strié et l’air étrange, mais Royce ne s’en préoccupait guère.
Tout ce qui lui importait à cet instant, c’était que ses parents soient morts.
Royce fut envahi par le chagrin en regardant les corps de ses parents, allongés par terre dans une apparence paisible surprenante, malgré les flammes qui continuaient à danser. Il avait l’impression de vouloir déchirer le monde à mains nues de la même façon que ses doigts s’enfonçaient dans ses cheveux emmêlés de plus en plus couverts de cendres. Il voulait trouver un moyen d’arranger les choses, mais rien ni personne ne pouvait arranger cela, alors Royce hurla sa colère et son chagrin vers le ciel.
Il avait vu l’homme qui leur avait fait cela. Royce l’avait vu sur la route, revenant du village aussi calmement que si rien ne s’était passé. L’homme l’avait même averti, sans le savoir, que les soldats allaient descendre sur le village. Quel genre de meurtrier agissait ainsi ? Quel genre de meurtrier plaçait ensuite ses victimes comme s’ils les préparaient pour les derniers sacrements ?
Mais cette cabane en ruine n’était pas une sépulture, alors Royce alla au fond de la ferme, trouvant une herminette et une pelle, travaillant la terre là-bas, ne voulant pas laisser la chair de ses parents pour les premiers charognards venus. Une partie du sol était tassée et carbonisée, si bien que ses muscles devenaient douloureux, mais à ce moment-là, Royce avait l’impression qu’il méritait cette douleur. La vieille Lori avait eu raison… tout cela, c’était sa faute.
Il creusa la tombe aussi profondément qu’il le put et y déposa ensuite les corps carbonisés de ses parents. Il resta au bord, essayant de trouver les mots justes, mais il n’arrivait pas à trouver quoi que ce soit qui ait un sens pour les envoyer au ciel correctement. Il n’était pas un prêtre familier avec les voies des dieux. Il n’était pas non plus une sorte de troubadour, avec tous les bons mots pour toutes occasions, d’un grand festin à un décès.
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