Elizabeth s’arrangea pour se placer à côté de sa tante. Elles commencèrent naturellement par s’entretenir de Jane, et Elizabeth apprit avec plus de peine que de surprise que sa sœur, malgré ses efforts pour se dominer, avait encore des moments d’abattement. Mrs. Gardiner donna aussi quelques détails sur la visite de miss Bingley et rapporta plusieurs conversations qu’elle avait eues avec Jane, qui prouvaient que la jeune fille avait renoncé à cette relation d’une façon définitive.
Mrs. Gardiner plaisanta ensuite sa nièce sur l’infidélité de Wickham et la félicita de prendre les choses d’une âme si tranquille.
– Mais comment est donc cette miss King ? Il me serait pénible de penser que notre ami ait l’âme vénale.
– Pourriez-vous me dire, ma chère tante, quelle est la différence entre la vénalité et la prudence ? Où finit l’une et où commence l’autre ? À Noël, vous aviez peur qu’il ne m’épousât ; vous regardiez ce mariage comme une imprudence, et maintenant qu’il cherche à épouser une jeune fille pourvue d’une modeste dot de dix mille livres, vous voilà prête à le taxer de vénalité !
– Dites-moi seulement comment est miss King, je saurai ensuite ce que je dois penser.
– C’est, je crois, une très bonne fille. Je n’ai jamais entendu rien dire contre elle.
– Mais Mr. Wickham ne s’était jamais occupé d’elle jusqu’au jour où elle a hérité cette fortune de son grand-père ?
– Non ; pourquoi l’aurait-il fait ? S’il ne lui était point permis de penser à moi parce que je n’avais pas d’argent, comment aurait-il pu être tenté de faire la cour à une jeune fille qui n’en avait pas davantage et qui par surcroît lui était indifférente ?
– Il semble peu délicat de s’empresser auprès d’elle sitôt après son changement de fortune.
– Un homme pressé par le besoin d’argent n’a pas le temps de s’arrêter à des convenances que d’autres ont le loisir d’observer. Si miss King n’y trouve rien à redire, pourquoi serions-nous choquées ?
– L’indulgence de miss King ne le justifie point. Cela prouve seulement que quelque chose lui manque aussi, bon sens ou délicatesse.
– Eh bien ! s’écria Elizabeth, qu’il en soit comme vous le voulez, et admettons une fois pour toutes qu’elle est sotte, et qu’il est, lui, un coureur de dot.
– Non, Lizzy, ce n’est pas du tout ce que je veux. Il m’est pénible de porter ce jugement sévère sur un jeune homme originaire du Derbyshire.
– Oh ! quant à cela, j’ai une assez pauvre opinion des jeunes gens du Derbyshire ; et leurs intimes amis du Hertfordshire ne valent pas beaucoup mieux. Je suis excédée des uns et des autres, Dieu merci ! Je vais voir demain un homme totalement dépourvu de sens, d’intelligence et d’éducation, et je finis par croire que ces gens-là seuls sont agréables à fréquenter !
– Prenez garde, Lizzy, voilà un discours qui sent fort le désappointement.
Avant la fin de la représentation, Elizabeth eut le plaisir très inattendu de se voir inviter par son oncle et sa tante à les accompagner dans le voyage d’agrément qu’ils projetaient pour l’été suivant.
– Nous n’avons pas encore décidé où nous irons. Peut-être dans la région des Lacs.
Nul projet ne pouvait être plus attrayant pour Elizabeth et l’invitation fut acceptée avec empressement et reconnaissance.
– Ô ma chère tante, s’écria-t-elle ravie, vous me transportez de joie ! Quelles heures exquises nous passerons ensemble ! Adieu, tristesses et déceptions ! Nous oublierons les hommes en contemplant les montagnes !
English
Table des matières
Dans le voyage du lendemain, tout parut nouveau et intéressant à Elizabeth. Rassurée sur la santé de Jane par sa belle mine et ravie par la perspective de son voyage dans le Nord, elle se sentait pleine d’entrain et de gaieté.
Quand on quitta la grand-route pour prendre le chemin de Hunsford, tous cherchèrent des yeux le presbytère, s’attendant à le voir surgir à chaque tournant. Leur route longeait d’un côté la grille de Rosings Park. Elizabeth sourit en se souvenant de tout ce qu’elle avait entendu au sujet de sa propriétaire.
Enfin, le presbytère apparut. Le jardin descendant jusqu’à la route, les palissades vertes, la haie de lauriers, tout annonçait qu’on était au terme du voyage. Mr. Collins et Charlotte se montrèrent à la porte, et la voiture s’arrêta devant la barrière, séparée de la maison par une courte avenue de lauriers.
Mrs. Collins reçut son amie avec une joie si vive qu’Elizabeth, devant cet accueil affectueux, se félicita encore davantage d’être venue. Elle vit tout de suite que le mariage n’avait pas changé son cousin et que sa politesse était toujours aussi cérémonieuse. Il la retint plusieurs minutes à la porte pour s’informer de toute sa famille, puis après avoir, en passant, fait remarquer le bel aspect de l’entrée, il introduisit ses hôtes sans plus de délai dans la maison.
Au salon, il leur souhaita une seconde fois la bienvenue dans son modeste presbytère et répéta ponctuellement les offres de rafraîchissements que sa femme faisait aux voyageurs.
Elizabeth s’attendait à le voir briller de tout son éclat, et, pendant qu’il faisait admirer les belles proportions du salon, l’idée lui vint qu’il s’adressait particulièrement à elle comme s’il souhaitait de lui faire sentir tout ce qu’elle avait perdu en refusant de l’épouser. Il lui eût été difficile pourtant d’éprouver le moindre regret, et elle s’étonnait plutôt que son amie, vivant avec un tel compagnon, pût avoir l’air aussi joyeux. Toutes les fois que Mr. Collins proférait quelque sottise, – et la chose n’était pas rare, – les yeux d’Elizabeth se tournaient involontairement vers sa femme. Une ou deux fois, elle crut surprendre sur son visage une faible rougeur, mais la plupart du temps, Charlotte, très sagement, avait l’air de ne pas entendre.
Après avoir tenu ses visiteurs assez longtemps pour leur faire admirer en détail le mobilier, depuis le bahut jusqu’au garde-feu, et entendre le récit de leur voyage, Mr. Collins les emmena faire le tour du jardin qui était vaste, bien dessiné, et qu’il cultivait lui-même. Travailler dans son jardin était un de ses plus grands plaisirs. Elizabeth admira le sérieux avec lequel Charlotte vantait la salubrité de cet exercice et reconnaissait qu’elle encourageait son mari à s’y livrer le plus possible. Mr. Collins les conduisit dans toutes les allées et leur montra tous les points de vue avec une minutie qui en faisait oublier le pittoresque. Mais de toutes les vues que son jardin, la contrée et même le royaume pouvaient offrir, aucune n’était comparable à celle du manoir de Rosings qu’une trouée dans les arbres du parc permettait d’apercevoir presque en face du presbytère. C’était un bel édifice de construction moderne, fort bien situé sur une éminence.
Après le jardin, Mr. Collins voulut leur faire faire le tour de ses deux prairies, mais les dames, qui n’étaient point chaussées pour affronter les restes d’une gelée blanche, se récusèrent, et tandis qu’il continuait sa promenade avec sir William, Charlotte ramena sa sœur et son amie à la maison, heureuse sans doute de pouvoir la leur faire visiter sans l’aide de son mari. Petite, mais bien construite, elle était commodément agencée et tout y était organisé avec un ordre et une intelligence dont Elizabeth attribua tout l’honneur à Charlotte. Cette demeure, évidemment, était fort plaisante à condition d’en oublier le maître, et en voyant à quel point Charlotte se montrait satisfaite, Elizabeth conclut qu’elle l’oubliait souvent.
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