« Vous êtes trop bonne, ma chère Lizzy, j’en suis sûre, pour vous glorifier d’avoir été plus perspicace que moi quand je vous confesserai que je m’étais complètement abusée sur les sentiments de miss Bingley à mon égard. Mais, ma chère sœur, bien que les faits vous donnent raison, ne m’accusez pas d’obstination si j’affirme qu’étant données ses démonstrations passées, ma confiance était aussi naturelle que vos soupçons. Je ne comprends pas du tout pourquoi Caroline a désiré se lier avec moi ; et si les mêmes circonstances se représentaient, il serait possible que je m’y laisse prendre de nouveau. C’est hier seulement qu’elle m’a rendu ma visite, et jusque-là elle ne m’avait pas donné le moindre signe de vie. Il était visible qu’elle faisait cette démarche sans plaisir : elle s’est vaguement excusée de n’être pas venue plus tôt, n’a pas dit une parole qui témoignât du désir de me revoir et m’a paru en tout point tellement changée que lorsqu’elle est partie j’étais parfaitement résolue à laisser tomber nos relations. Je ne puis m’empêcher de la blâmer et de la plaindre à la fois. Elle a eu tort de me témoigner tant d’amitié, – car je puis certifier que toutes les avances sont venues d’elle. Mais je la plains, cependant, parce qu’elle doit sentir qu’elle a mal agi et que sa sollicitude pour son frère en est la cause. Je n’ai pas besoin de m’expliquer davantage. Je suis étonnée seulement que ses craintes subsistent encore à l’heure qu’il est ; car si son frère avait pour moi la moindre inclination, il y a longtemps qu’il aurait tâché de me revoir. Il sait certainement que je suis à Londres ; une phrase de Caroline me l’a laissé à entendre.
« Je n’y comprends rien. J’aurais presque envie de dire qu’il y a dans tout cela quelque chose de louche, si je ne craignais de faire un jugement téméraire. Mais je vais essayer de chasser ces pensées pénibles pour me souvenir seulement de ce qui peut me rendre heureuse : votre affection, par exemple, et l’inépuisable bonté de mon oncle et de ma tante. Écrivez-moi bientôt. Miss Bingley m’a fait comprendre que son frère ne retournerait pas à Netherfield et résilierait son bail, mais sans rien dire de précis. N’en parlons pas, cela vaut mieux.
« Je suis très heureuse que vous ayez de bonnes nouvelles de vos amis de Hunsford. Il faut que vous alliez les voir avec sir William et Maria. Vous ferez là-bas, j’en suis sûre, un agréable séjour. À vous affectueusement. »
Cette lettre causa quelque peine à Elizabeth, mais elle se réconforta bientôt par la pensée que Jane avait cessé d’être dupe de miss Bingley. Du frère, il n’y avait plus rien à espérer ; un retour à ses premiers sentiments ne semblait même plus souhaitable à Elizabeth, tant il avait baissé dans son estime. Son châtiment serait d’épouser bientôt miss Darcy qui, sans doute, si Wickham avait dit la vérité, lui ferait regretter amèrement ce qu’il avait dédaigné.
À peu près vers cette époque, Mrs. Gardiner rappela à sa nièce ce qu’elle lui avait promis au sujet de Wickham et réclama d’être tenue au courant. La réponse que fit Elizabeth était de nature à satisfaire sa tante plutôt qu’elle-même. La prédilection que semblait lui témoigner Wickham avait disparu ; son empressement avait cessé ; ses soins avaient changé d’objet. Elizabeth s’en rendait compte mais pouvait constater ce changement sans en éprouver un vrai chagrin. Son cœur n’avait été que légèrement touché, et la conviction que seule la question de fortune l’avait empêchée d’être choisie suffisait à satisfaire son amour-propre. Un héritage inattendu de dix mille livres était le principal attrait de la jeune fille à qui, maintenant, s’adressaient ses hommages, mais Elizabeth, moins clairvoyante ici, semblait-il, que, dans le cas de Charlotte, n’en voulait point à Wickham de la prudence de ses calculs. Au contraire, elle ne trouvait rien de plus naturel, et, tout en supposant qu’il avait dû lui en coûter un peu de renoncer à son premier rêve, elle était prête à approuver la sagesse de sa conduite et souhaitait sincèrement qu’il fût heureux.
Elizabeth disait en terminant sa lettre à Mrs. Gardiner :
« Je suis convaincue maintenant, ma chère tante, que mes sentiments pour lui n’ont jamais été bien profonds, autrement son nom seul me ferait horreur et je lui souhaiterais toutes sortes de maux ; or, non seulement je me sens pour lui pleine de bienveillance, mais encore je n’en veux pas le moins du monde à miss King et ne demande qu’à lui reconnaître beaucoup de qualités. Tout ceci ne peut vraiment pas être de l’amour ; ma vigilance a produit son effet. Certes, je serais plus intéressante si j’étais folle de chagrin, mais je préfère, somme toute, la médiocrité de mes sentiments. Kitty et Lydia prennent plus à cœur que moi la défection de Mr. Wickham. Elles sont jeunes, et l’expérience ne leur a pas encore appris que les jeunes gens les plus aimables ont besoin d’argent pour vivre, tout aussi bien que les autres. »
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Table des matières
Sans autre événement plus notable que des promenades à Meryton, tantôt par la boue et tantôt par la gelée, janvier et février s’écoulèrent.
Mars devait amener le départ d’Elizabeth pour Hunsford. Tout d’abord, elle n’avait pas songé sérieusement à s’y rendre, mais bientôt, s’étant rendu compte que Charlotte comptait véritablement sur sa visite, elle en vint à envisager elle-même ce voyage avec un certain plaisir. L’absence avait excité chez elle le désir de revoir son amie et atténué en même temps son antipathie pour Mr. Collins. Ce séjour mettrait un peu de variété dans son existence, et, comme avec sa mère et ses sœurs d’humeur si différente, la maison n’était pas toujours un paradis, un peu de changement serait, après tout, le bienvenu. Elle aurait de plus l’occasion de voir Jane au passage. Bref, à mesure que le jour du départ approchait, elle eût été bien fâchée que le voyage fût remis.
Tout s’arrangea le mieux du monde, et selon les premiers plans de Charlotte. Elizabeth devait partir avec sir William et sa seconde fille ; son plaisir fut complet lorsqu’elle apprit qu’on s’arrêterait une nuit à Londres.
Les adieux qu’elle échangea avec Mr. Wickham furent pleins de cordialité, du côté de Mr. Wickham tout particulièrement. Ses projets actuels ne pouvaient lui faire oublier qu’Elizabeth avait été la première à attirer son attention, la première à écouter ses confidences avec sympathie, la première à mériter son admiration. Aussi, dans la façon dont il lui souhaita un heureux séjour, en lui rappelant quel genre de personne elle allait trouver en lady Catherine de Bourgh, et en exprimant l’espoir que là comme ailleurs leurs opinions s’accorderaient toujours, il y avait un intérêt, une sollicitude à laquelle Elizabeth fut extrêmement sensible, et, en le quittant, elle garda la conviction que, marié ou célibataire, il resterait toujours à ses yeux le modèle de l’homme aimable.
La distance jusqu’à Londres n’était que de vingt-quatre milles et, partis dès le matin, les voyageurs purent être chez les Gardiner à Gracechurch street vers midi. Jane qui les guettait à une fenêtre du salon s’élança pour les accueillir dans le vestibule. Le premier regard d’Elizabeth fut pour scruter anxieusement le visage de sa sœur et elle fut heureuse de constater qu’elle avait bonne mine et qu’elle était aussi fraîche et jolie qu’à l’ordinaire. Sur l’escalier se pressait toute une bande de petits garçons et de petites filles impatientes de voir leur cousine ; l’atmosphère était joyeuse et accueillante, et la journée se passa très agréablement, l’après-midi dans les magasins et la soirée au théâtre.
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