If we truly wish to acquaint American learners of FFL [French as a Foreign Language] with the linguistic particularisms of non-Hexagonal francophones, especially those of neighboring communities, we must begin early on, even in beginning secondary school courses. (Auger/Valdman 1999 : 408)
3 L’influence du profil des juges sur la perception
Nous profiterons, dans ce chapitre, des résultats d’études s’intéressant à la perception d’accents non-natifs pour en déduire des variables potentiellement pertinentes pour la perception d’accents natifs.
Il va de soi que la perception du degré d’accent (tout comme la perception du degré de compréhensibilité et l’intelligibilité1) dépend du locuteur ou de la locutrice et de sa qualité de voix. En outre, le profil des juges – auditeurs et auditrices ( listener effects ) – a également un impact considérable sur les évaluations, ce qui renvoie au constat que la communication ne peut fonctionner que si les deux côtés font un effort ( cf. Rubin 1992). Nous pouvons constater que les résultats sont souvent mixtes : ainsi, dans Hsieh (2011), Saito, Trofimovich, Isaas et Webb (2017) et Thompson (1991), les experts tendaient à donner des jugements plus indulgents que les participant.e.s sans expérience en FLE/linguistique alors que Lappin-Fortin (2018) et Isaacs et Thomson (2013) n’ont pas observé une différence nette entre ces deux groupes de juges.
Même bilan quant à l’effet de familiarité avec un accent : les uns constatent une corrélation positive avec le jugement d’accent, de compréhensibilité et/ou d’acceptabilité (Baese-Berk/Bradlow/Wright 2013, Ballard/Winke 2017, Gass/Varonis 1984), d’autres non (Fuse/Navichkova/Alloggio 2018, Munro/Derwing/Morton 2006) et d’autres encore obtiennent des résultats plus nuancés. D’après Kennedy et Trofimovich (2008), le fait d’être familier/familière avec un accent facilite la compréhension, mais n’influe pas sur les jugements d’accent et de compréhensibilité.
En outre, Rubin (1992) et Kang et Rubin (2009) ont révélé un effet de reverse linguistic stereotyping , suggérant que le fait d’assimiler une personne à un certain groupe (ethnique) influence la perception des traits linguistiques de ce même locuteur ou de cette même locutrice : lorsque les participant.e.s voient une photo d’un locuteur natif ou d’une locutrice native appartenant à une minorité visible, ils/elles croient percevoir un accent non-natif.
La majorité des études s’appuient sur la façon qu’ont des juges natifs/natives de percevoir les stimuli natifs et non-natifs ; parmi celles qui placent des apprenant.e.s dans le rôle de juges, la plupart compare simplement un groupe natif à un autre groupe non-natif, mais sans résultats univalents jusque-là : si Fayer et Krasinski (1987), Gordon (2018) et Kang, Rubin et Kermad (2019) démontrent que les apprenant.e.s sont plus stricts que les juges natifs/natives, d’autres n’ont pas noté cet écart (Kim 2009, Xi/Mollaun 2011, Zhang/Elder 2011). Par contre, le niveau de maîtrise de la langue étrangère ( cf. Schoonmaker-Gates 2012, Wilkerson 2010) et le temps passé dans un pays cible ( cf. Flege 1988, Schoonmaker-Gates 2012) semblent avoir un effet incontestable sur la capacité de discriminer la prononciation native et non-native et d’évaluer le degré d’accent.
4 Méthodes
4.1 Enregistrements
Suivant les résultats d’une étude pilote, menée auprès de 12 apprenant.e.s (ayant le niveau A2 et étant âgés de 12 à 15 ans), les réalisations de corpus préexistants tels que PFC ( cf. Durand/Laks/Lyche 2002) contiennent, au niveau lexical et syntaxique, beaucoup de difficultés pour des apprenant.e.s peu avancé.e.s. Les stimuli utilisés pour la présente étude ont donc été tirés d’un corpus de données orales composé aux fins de cette enquête. 50 locuteurs et locutrices (francophones et apprenant.e.s1), qui ont été recruté.e.s grâce à nos contacts personnels et professionnels ainsi qu’une plateforme de réseau social, ont fait, sous leur propre responsabilité et majoritairement avec leur portable, plusieurs enregistrements sonores et ont ensuite répondu à un questionnaire socio-démographique au sujet de leur environnement linguistique.
Tout en sachant que la lecture d’un texte peut manquer d’authenticité, la tâche de lecture a été choisie au détriment de la parole spontanée pour des raisons de comparabilité et de contrôlabilité des données obtenues2. Il s’agissait d’un petit texte contenant des difficultés phonétiques, mais avec un vocabulaire et une syntaxe de base. Le voici :
Je vous présente ma sœur. Elle s’appelle Camille Dumont. Camille vient de Toulouse. Elle est gentille et très sportive. Comme son voisin Antoine, elle aime beaucoup voyager, alors, l’été dernier, elle est partie à Genève avec lui. Ils ont adoré la Suisse ! Cette année, le 18 juillet, les deux amis vont partir pour faire le tour du monde ensemble.
Les enregistrements ont été retenus en intégralité, sous la forme de documents audio d’une durée de 15 à 30 secondes, avec la majorité durant entre 20 et 25 secondes3.
Seulement les productions de 22 personnes ont été choisies comme stimuli pour l’étude de perception (plus deux qui servaient d’exemples d’essai). Tout en essayant de respecter le continuum entre un accent fort et un accent faible, plusieurs critères ont été considérés pour la sélection : la qualité des enregistrements sonores, la qualité de voix (les locuteurs et locutrices susceptibles d’engendrer des évaluations négatives à cause de leur voix ont été omis.e.s), un niveau de scolarité comparable, et la répartition des groupes : trois locuteurs et locutrices de chacune des variétés natives utilisées (France1, Belgique, Québec, Maghreb, Afrique subsaharienne) et sept apprenant.e.s de différentes L1 ; au moins un homme et au moins une femme par groupe. Les tableaux suivants montrent les caractéristiques les plus importantes des francophones (tableau 1) et des apprenant.e.s (tableau 2).
Code |
Variété |
Age |
Sexe |
Origine (vécu le plus de temps à) |
Formation |
ce161211 |
Belgique |
27 |
f |
Belgique, Brabant-Wallon |
université |
ce1907521 |
Belgique |
21 |
m |
Belgique, Namur |
université |
me07074 |
Belgique |
23 |
f |
Belgique, Bruxelles (Brabant Wallon) |
université |
aa291017 |
France |
61 |
f |
France, Dordogne |
université |
ce290305 |
France |
28 |
f |
France, Centre-Val-de-Loire |
université |
mm15077 |
France |
27 |
m |
France, Lorraine |
université |
be050590 |
Maghreb |
30 |
f |
Maroc |
université |
ka05025 |
Maghreb |
30 |
m |
Maroc, Laayoune |
université |
ra200542 |
Maghreb |
64 |
f |
Algérie, Bibans (Algérie, Algérois) |
université |
aa311005 |
Afrique subsaharienne |
30 |
m |
Madagascar, Tananarive |
université |
ma160502 |
Afrique subsaharienne |
34 |
m |
Mali, Mopti |
université |
me2308107 |
Afrique subsaharienne |
22 |
f |
Cameroun, Douala (Belgique, Namur) |
bac |
ge210316 |
Québec |
40 |
f |
Canada, Québec |
université |
he1505327 |
Québec |
23 |
m |
Canada, Québec |
université |
mn22081640 |
Québec |
23 |
m |
Canada, Québec (Sherbrooke) |
collège |
Tab. 1 :
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