La parole empêchée
Peter Kuon
Narr Francke Attempto Verlag Tübingen
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E-Book-Produktion: pagina GmbH, Tübingen
ePub-ISBN 978-3-8233-0077-9
Cet ouvrage est le fruit d’une action de coopération entre les universités Bordeaux Montaigne et Paris Lodron de Salzburg, « La parole empêchée », qui s’est accompagnée d’un projet AMADEUS d’une durée de deux ans, dans le cadre d’un partenariat franco-autrichien Hubert Curien. Rassemblant un choix de textes issus de deux colloques internationaux tenus à Bordeaux, à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, du 5 au 7 mars 2014, et à Salzburg, du 11 au 13 juin 2015, le présent volume a pu être réalisé grâce au soutien financier des unités de recherche EA 4593 CLARE de l’université Bordeaux Montaigne et EA 3002 ITEM de l’université de Pau et des Pays de l’Adour ainsi que du groupe de recherche KZ-memoria scripta , de l’Institut d’Études romanes et de la Stiftungs-und Förderungsgesellschaft de l’université de Salzburg. Rainer Zaiser a bien voulu l’accueillir dans sa collection Études littéraires françaises .
À tous, nous adressons nos sincères remerciements !
Danièle James-Raoul, Sabine Forero Mendoza,
Peter Kuon et Élisabeth Magne
La parole empêchée est une parole qui n’advient pas comme elle le devrait. Fondamentalement contrariée, captive de défenses qui l’entravent diversement, que celles-ci la raturent purement et simplement, la restreignent ou la voilentvoiler, la parole empêchée est contrainte de trouver d’autres voix – celles du regard ou des gestesgeste, notamment – et d’emprunter d’autres voies, de la simple maladresse au discours vicié, vain ou inutile, du propos délivré à contrecœur ou à contretemps jusqu’au secretsecret. Mais quels sont les obstacles, externes ou internes, physiologiques ou mentaux, tacites ou explicites, culturels ou intimes, conscients ou inconscients, qui enrayent la parole, la bloquent ou l’étouffent ? S’interroger sur les causes et les formes d’une telle défaillance, sur le fait de se taire, de ne pas pouvoir dire, de ne pas vouloir dire, de trop dire ou de dire trop peu, de dire autrement, de façon indirecte, détournée ou retardée, c’est nécessairement réfléchir sur les usages du langage et les conditions de la communication, mais aussi analyser les échanges qui se produisent entre silence et expression et dont l’écriture comme l’art portent l’empreinte.
Tout empêchement de la langue ne coïncide pas exactement avec le silence : de l’élocution embarrassée à l’exclusion volontaire ou infligée, en passant par l’écholalie et la logorrhée ou encore le jeu des feintes et dissimulations, la part de silence varie. À l’inverse, tout silence n’est pas le résultat d’un empêchement de parler, car il est des silences voulus, consentis ou calculés. Le silence n’est pas non plus le strict opposé de la parole, mais il forme avec elle une dyade, l’un prenant le pas sur l’autre, pour mieux céder sa place à l’autre : deux aspirations essentielles, antagonistes mais complémentaires, qui forment un couple (au sens mécanique du terme), dont le moment agissant, celui de la communication, peut prendre l’aspect de suppléances figuratives ou de figures rhétoriquesrhétorique telles que l’euphémismeeuphémisme, la litotelitote, la réticenceréticence, l’ellipellipsese, l’imageimage. Autant de stratégies qui proposent des substituts à la parole, mais aussi des formes d’éloquence particulières.
Si la langue trébuche, si la parole contournecontournement ou dissimule, parce qu’elle ne peut ou ne veut pas tout dire, si, enfin, elle est biffée ou se perd, sa déficiencedéficience et son retrait ne signalent-ils pas la présence latente d’une véritévérité trop intimeintime, trop sublime ou trop terribleterreur, qui fait violenceviolence au sujet mais qui exige, irrépressible, de se manifester d’une manière ou d’une autre ?
Face à d’autres concepts, tels l’indicibleindicible, l’ineffableineffable ou l’innommableinnommable, qui attribuent l’impossibilitéimpossibilité de la parole à ses manquementsmanque propres, la notion de parole empêchée renvoie à l’existence de freins qui s’opposent à sa réalisation : elle invite à réfléchir sur les voies obliques et les détours qu’une véritévérité, à la limite du dicibledicible ou de l’exprimable, est susceptible de prendre pour se faire reconnaître, que ce soit dans la vie, dans la littérature ou dans les arts.
Les auteurs qui contribuent au présent volume, issus de divers champs disciplinaires, approfondissent ces considérations brièvement esquissées, en proposant des études variées sur des sujets qui s’échelonnent du Moyen Âge à nos jours, et ils examinent les multiples stratégies par lesquelles la parole dialogue avec le silence et se libère, au mieux, de ses entraves. L’ensemble s’articule en cinq grandes parties.
La première section, « Perspectives d’ensemble : les choses et les mots », rassemble des contributions de portée générale qui approfondissent la notion de parole empêchée et envisagent les phénomènes que celle-ci recouvre sous différents angles de vue, linguistique et médical, philosophique et littéraire. Dans son texte, Danièle James-Raoul revient sur la thèse publiée sous le titre La parole empêchée dans la littérature arthurienne (Champion, 1997) qui a introduit l’expression dans les études littéraires. La rhétoriquerhétorique du silence qu’elle relève dans les romans arthuriens répond aux préoccupations d’une époque fortement marquée par le récit biblique de la perte de la parole originelle (la ChuteChute, BabelBabel), mais aussi de sa restitution possible (le Christ, la Pentecôte). Si la difficulté, voire l’impossibilitéimpossibilité de communiquer qui caractérise l’univers arthurien, renvoie à la condition coupableculpabilité de l’homme, le silence des protagonistes porte, lui, l’espoirespoir d’une parole pleine, susceptible de s’épanouir au terme d’un long effort d’ascèseascèse. Le temps du silence devient alors espace de création : d’un côté, il permet au héros de se construire et de tisser son rapport au monde et aux autres par le biais de l’imageimage et de la vision, de l’autre, il invite le lecteur à remplir les blancs du texte pour participer à la création de l’œuvre. On retrouvera ces deux directions tout au long du volume. À la contribution de Danièle James-Raoul fait écho celle de Hans Höller, qui présente une autre littérature, spécifiquement moderne, également hantée par la parole empêchée, mais sans espoir de rédemption par le Verbe. La littérature autrichienne, en amont et en aval de la Modernité viennoise, met en œuvre une critique du langage quotidien, stéréotypéstéréotype et abîmé, qui fait écran entre le sujet et le monde. Cette critique, de plus en plus acerbe, se nourrit des analyses de FreudFreud (Siegmund) et de WittgensteinWittgenstein (Ludwig).
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