Il fallait qu'il se concentre et mette au point un plan de bataille. Il consulta donc sa nouvelle montre de luxe et remarqua qu'il ne lui restait plus que deux heures. Oui, c'était bien trop court pour élaborer un plan colossal avec les parades appropriées. Il ne pouvait pas, non plus, appeler les rares amis qu'il avait. De toute façon, ils n'auraient certainement pas cru à son histoire, même s'il passait pour être totalement digne de foi. Il se dépêcha finalement de rejoindre son appartement.
Au premier étage, il déverrouilla sa porte et entra prestement. Une fois la porte refermée sur lui, il se retrouva dans son environnement familier et se sentit de nouveau à l'abri et en sécurité. La sécurité, c'était sa devise personnelle. Mais dans quelle aventure imprévisible se trouvait-il tout à coup ?
Se doucher et se raser, coiffer ses cheveux et choisir à la hâte la chemise, la cravate et le costume assortis pour l'occasion. Pur stress !
Le téléphone se mit à sonner et il sortit de la salle de bains pour courir au téléphone. « Mère, je suis vraiment désolé, je n'ai pas le temps. Non, mère, tout va bien ! Mais oui, je te l'assure. Oui, vraiment. J'ai seulement rendez-vous avec une femme. Comment ? Non, non, je ne me marie pas. Mais d'où te vient cette idée ? Bien sûr, je te la présenterai dans ce cas ! Je te raconterai demain. À bientôt alors. »
Mon dieu, sa chère mère pensait déjà au mariage. Mais il n'avait vraiment pas le temps de s'en préoccuper maintenant.
Il se dit à lui-même : « Vite ! Le temps presse ! » Mais que pouvait bien arriver à faire un homme en une heure ? Ah ! les chaussettes, mais où sont-elles ? Oui, bien sûr, dans la commode ! Une ? Mais elles sont toujours par deux ! Un foulard assorti au costume, les deux assortis à la cravate. La chaussette ! Où est cette foutue chaussette ? Une noire et une grise. Ça, ça ne se faisait pas chez lui. Tout était toujours en ordre. Chaque chose avait sa place. Mais que se passait-il ? Ce jour-là, tout devenait désordre. L'appartement semblait être l'incarnation même du chaos. Les chaussures ! Oui, là ! Magnifique. Maintenant, les enfiler. Bien sûr les deux mêmes, une paire donc. Oui, une paire, c'est mieux. Halte ! Les chaussettes d'abord. Mais c'était toujours les mêmes chaussettes dépareillées. Seul un cognac pouvait aider. Il se rappela à l'ordre. « Mais enfin Karl, un cognac au milieu de l'après-midi ? Non, ce n'est pas possible, ce n'est vraiment pas possible ! » La bouteille retourna à sa place.
Karl pensa : « Je ne vais jamais y arriver de cette façon. Il faut simplement que je m'en tienne à un plan – comme d'habitude. Les sous-vêtements, puis les chaussettes et la chemise et pour finir, nouer la cravate. »
Encore trente minutes. Une entreprise apparemment irréalisable en si peu de temps. Mais soudain, la deuxième chaussette, de la même couleur en plus, comme il se doit, deux chaussures allant ensemble, une paire. Magnifique !
À vrai dire, Karl était prêt pour les Jeux Olympiques. Bon allez, au miroir. La cravate s'enroula impeccablement autour de son cou dans le col prévu à cet effet. Parfait ! On continue ! Le pantalon ! L'homme a aussi besoin d'une ceinture pour son pantalon. La veste. Terminé !
Du jamais vu, le tout en un temps record de cinquante minutes. Une voix intérieure lui rappela les fleurs juste à temps. Comment ? Ça encore ? Oui, les fleurs. Mais d'abord, mettre les boutons de manchettes. Et où prendre les fleurs ? On attendait des fleurs d'un gentleman, du moins lors de la première rencontre.
Il l'avait déjà compris, toute sa vie sera désormais sous le signe du chaos. Il n'empêche que le lendemain, comme d'habitude, il devait accomplir son travail à la banque. Le mieux serait qu'il se rende demain chez un médecin et qu'il présente un certificat médical. Désemparé comme il l'était, il n'était vraiment pas capable de faire un travail impeccable. Jusqu'à ce jour, il n'avait jamais manqué une seule heure de travail de toute sa carrière.
Il lui restait encore un quart d'heure. Son univers allait bientôt s'écrouler. Il se dit que seul un raz-de-marée pourrait le sauver. Mais apparemment, il ne pourrait plus avoir lieu avant 20 heures en Allemagne. Cela ne servait plus à rien de se lamenter. Il descendit les escaliers en courant. Un fleuriste, sauvé ! Il lui sembla qu'une multitude de gens se ruait sur les rares fleurs qui restaient dans le magasin. Il n'avait jamais rien vu de tel. Toutefois, il réalisa qu'il n'avait pas dû rentrer une seule fois chez un fleuriste ces vingt dernières années. Il offrait toujours des chocolats à mère, ceux fourrés à la liqueur.
Au bout d'un certain temps, c'était fait. La vendeuse lui composa le plus beau bouquet qu'il n'ait jamais vu. Le prix dépassait, à ses yeux, le total des dépenses pour la réunification allemande. Ah oui ! Payer, sa bourse était chez lui. Il n'avait jamais vu la vendeuse de sa vie, pourtant elle lui dit : « Ce n'est pas un problème. Passez payer demain, je vous connais. »
Il retourna à toute allure à son appartement. Tout était comme il faut, plus rien ne pouvait mal tourner. Déjà, on sonnait à sa porte. Il fut d'un bond à la fenêtre. Dans la rue, il vit une limousine blanche, une Rolls-Royce. « C'est ma voiture ce soir ? Karl de la classe moyenne dans une Rolls-Royce ? », pensait-il, dubitatif, et il espérait que personne dans le quartier ne le verrait monter dans cette voiture voyante. Si cela devait arriver, tout le monde penserait qu'il avait gagné au loto.
Il descendit donc les escaliers comme un voleur, ouvrit et ferma les portes sans bruits.
« Monsieur Karl Grosser ? », entendit-il le chauffeur en costume gris demander en même temps qu'il ouvrait la portière arrière de la voiture. Karl vérifia autour de lui si quelqu'un dans le voisinage avait entendu quelque chose et monta rapidement dans la voiture.
Des sièges en cuir blanc. Les portes de la voiture se refermèrent avec le même bruit que les portes de sécurité blindées de sa banque. Était-ce le bruit du moteur de la limousine, ce léger ronronnement ? C'était digne d'un prince de rouler aussi silencieusement. Dans la ville de Karl, on ne voyait pas très souvent de tels carrosses de luxe. Une chance que les vitres soient teintées. Il n'osait imaginer ce qui se passerait si ses collègues avaient pu le voir dans cette limousine. Le cas échéant, la banque l'aurait traîné devant la commission anti-corruption et suspendu d'office de ses fonctions. Si seulement il n'était pas allé se promener en cette horrible journée ou s'il était passé devant le banc sans s'arrêter. Toute cette excitation lui aurait alors été épargnée. En même temps, il tenait à être à la hauteur de sa nouvelle position sociale.
Marian était déjà depuis un certain temps dans le salon privé du restaurant et se rappelait avec quelle minutie elle avait, avec son père, préparé sa rencontre avec Karl au cours des dernières semaines. En réalité, elle connaissait Karl mieux que personne.
Le parrain s'inquiétait de l'avenir de sa fille
Avec son père, la fille avait étudié chacune des habitudes de Karl. Quelles chaussures mettait-il quel jour, quels étaient ses mets préférés et ainsi de suite. Marian était même au courant de la prostituée chez qui il se rendait de temps en temps en grand secret. Néanmoins, à long terme, elle devait faire l'innocente. C'est de cela uniquement que dépendait le succès de l'opération mise au point pendant des semaines.
À l'approche du vingt-quatrième anniversaire de Marian, son père, Don Sergio Rosso, commença à se préoccuper d'un futur mari pour sa fille. Certes, depuis sa prime jeunesse, la séduisante Marian recevait d'innombrables avances d'hommes très attirants, mais à l'exception de quelques liaisons brèves et insignifiantes, elles étaient restées sans succès.
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