Robert Stevenson - L'Ile au trésor

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Le jeune Jim Hawkins est le fils du gérant de l'auberge " L'Amiral-Benbow ". Un jour, un vieux loup de mer chargé d'un coffre, et nommé Billy Bones, débarque à l'auberge et s'y installe. Jim est tout à la fois fasciné et terrifié par ce marin colérique, violent et ivrogne, d'autant qu'une obscure menace semble planer sur ce dernier. La menace se précise lorsque Pew, un pirate aveugle, arrive à l'auberge et donne à Billy Bones " la tache noire ", annonciatrice de mort dans le monde des pirates. Alors que les heures de Billy Bones sont comptées, il meurt, foudroyé par une crise d'apoplexie, tandis qu'au même moment, le père de Jim meurt d'une grave maladie. Ce dernier était soigné par le docteur Livesey. Ils partent dans le village voisin pour ramener du monde, pour les aider contre la bande de Flint, un groupe de pirates, qui n'allait pas tarder… Mais personne ne vient.
En France, L'Île au trésor (titre original : Treasure Island) paraît pour la première fois en 1885.

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– Mène-moi directement à lui, et dès que je serai en sa présence, crie : « Bill ! voici un ami pour vous. » Si tu ne fais pas ça, moi je te ferai ceci…

Et il m’infligea une saccade dont je pensai m’évanouir. Dans cette alternative, mon absolue terreur du mendiant aveugle me fit oublier ma peur du capitaine ; j’ouvris la porte de la salle et criai d’une voix tremblante la phrase qui m’était dictée.

Le pauvre capitaine leva les yeux. En un clin d’œil son ivresse disparut, et il resta béant, dégrisé. Son visage exprimait, plus que l’effroi, un horrible dégoût. Il alla pour se lever, mais je crois qu’il n’en aurait plus eu la force.

– Non, Bill, dit le mendiant, reste assis là. Je n’y vois point, mais j’entends remuer un doigt. Les affaires sont les affaires. Tends-moi ta main gauche. Petit, prends sa main gauche par le poignet et approche-la de ma droite.

Nous lui obéîmes tous deux exactement, et je le vis faire passer quelque chose du creux de la main qui tenait son bâton, entre les doigts du capitaine, qui se refermèrent dessus instantanément.

– Voilà qui est fait, dit l’aveugle.

À ces mots, il me lâcha soudain et, avec une dextérité et une prestesse incroyables, il déguerpit de la salle et gagna la route. Figé sur place, j’entendis décroître au loin le tapotement de son bâton.

Il nous fallut plusieurs minutes, au capitaine et à moi, pour recouvrer nos esprits. À la fin, et presque simultanément, je laissai aller son poignet que je tenais toujours et il retira la main pour jeter un bref coup d’œil dans sa paume.

– À dix heures ! s’écria-t-il. Cela me donne six heures. Nous pouvons encore les flibuster.

Il se leva d’un bond. Mais au même instant, pris de vertige, il porta la main à sa gorge, vacilla une minute, puis, avec un râle étrange, s’abattit de son haut, la face contre terre.

Je courus à lui, tout en appelant ma mère. Mais notre empressement fut vain. Frappé d’apoplexie foudroyante, le capitaine avait succombé. Chose singulière à dire, bien que sur la fin il éveillât ma pitié, jamais certes je ne l’avais aimé ; pourtant, dès que je le vis mort, j’éclatai en sanglots. C’était le second décès que je voyais, et le chagrin dû au premier était encore tout frais dans mon cœur.

Chapitre IV

Le coffre de mer

Sans perdre un instant, je racontai alors à ma mère tout ce que je savais, comme j’aurais peut-être dû le faire depuis longtemps. Nous vîmes d’emblée le péril et la difficulté de notre situation. L’argent du capitaine (s’il en avait) nous était bien dû en partie ; mais quelle apparence y avait-il que les complices de notre homme, et surtout les deux échantillons que j’en connaissais, Chien-Noir et le mendiant aveugle, fussent disposés à lâcher leur butin pour régler les dettes du défunt ? Or, si je suivais les instructions du capitaine et allais aussitôt prévenir le docteur Livesey, je laissais ma mère seule et sans défense : je n’y pouvais donc songer. D’ailleurs, nous nous sentions tous deux incapables de rester beaucoup plus longtemps dans la maison. Les charbons qui s’éboulaient dans le fourneau de la cuisine, et jusqu’au tic-tac de l’horloge, nous pénétraient de crainte. Le voisinage s’emplissait pour nous de bruits de pas imaginaires ; et placé entre le cadavre du capitaine gisant sur le carreau de la salle, et la pensée de l’infâme mendiant aveugle rôdant aux environs et prêt à reparaître, il y avait des moments où, comme on dit, je tremblais dans mes culottes, de terreur. Il nous fallait prendre une décision immédiate. Finalement, l’idée nous vint de partir tous les deux chercher du secours au hameau voisin. Aussitôt dit, aussitôt fait. Sans même nous couvrir la tête, nous nous élançâmes dans le soir tombant et le brouillard glacé.

Le hameau n’était qu’à quelque cent toises, mais caché à la vue, de l’autre côté de la crique voisine ; et, ce qui me rassurait beaucoup, il se trouvait dans la direction opposée à celle par où l’aveugle avait fait son apparition et par où il s’en était apparemment retourné. Le trajet nous prit peu de minutes, et cependant nous nous arrêtâmes plusieurs fois pour prêter l’oreille. Mais on n’entendait aucun bruit suspect : rien que le léger clapotis du ressac et le croassement des corbeaux dans le bois.

Les chandelles s’allumaient quand nous atteignîmes le hameau, et jamais je n’oublierai mon soulagement à voir leur jaune clarté aux portes et aux fenêtres. Mais ce fut là, tout compte fait, le meilleur de l’assistance que nous obtînmes de ce côté. Car, soit dit à la honte de ces gens, personne ne consentit à nous accompagner jusqu’à l’ Amiral Benbow . Plus nous leur disions nos ennuis, plus ils se cramponnaient – hommes, femmes et enfants – à l’abri de leurs maisons. Le nom du capitaine Flint, inconnu de moi, mais familier à beaucoup d’entre eux, répandait la terreur. Des hommes qui avaient travaillé aux champs, plus loin que l’ Amiral Benbow , se souvenaient aussi d’avoir vu sur la route plusieurs étrangers dont ils s’étaient écartés, les prenant pour des contrebandiers, et l’un ou l’autre avait vu un petit chasse-marée à l’abri dans ce que nous appelions la cale de Kitt. C’est pourquoi il suffisait d’être une relation du capitaine pour leur causer une frayeur mortelle. Tant et si bien que, si nous en trouvâmes plusieurs disposés à se rendre à cheval jusque chez le docteur Livesey, qui habitait dans une autre direction, pas un ne voulut nous aider à défendre l’auberge.

La lâcheté, dit-on, est contagieuse ; mais la discussion, au contraire, donne du courage. Aussi, quand chacun eut parlé, ma mère leur dit leur fait à tous. Elle ne voulait pas, déclara-t-elle, perdre de l’argent qui appartenait à son fils orphelin. Elle conclut :

– Si aucun d’entre vous n’ose venir, Jim et moi nous oserons. Nous allons retourner d’où nous sommes venus, et sans vous dire merci, tas de gros gaillards pires que des poules mouillées. Nous ouvrirons ce coffre, dût-il nous en coûter la vie. Et je vous emprunte ce sac, madame Crossley, pour emporter notre dû.

Comme de juste, je me déclarai prêt à accompagner ma mère, et, comme de juste aussi, tous se récrièrent devant notre témérité ; mais même alors, pas un homme ne s’offrit à nous escorter. Tout ce qu’ils firent, ce fut de me donner un pistolet chargé, pour le cas où l’on nous attaquerait, et de nous promettre qu’ils tiendraient des chevaux tout sellés, pour le cas où l’on nous poursuivrait lors de notre retour ; cependant qu’un garçon s’apprêtait à galoper jusque chez le docteur afin d’obtenir le secours de la force armée.

Mon cœur battait fort quand, par la nuit glacée, nous nous engageâmes dans cette périlleuse aventure. La pleine lune, rougeâtre et déjà haute, transparaissait vers la limite supérieure du brouillard. Notre hâte s’en accrut, car il ferait évidemment aussi clair qu’en plein jour avant que nous pussions quitter la maison, et notre départ serait exposé à tous les yeux. Nous nous faufilâmes au long des haies, prompts et silencieux, sans rien voir ni entendre qui augmentât nos inquiétudes. Enfin, à notre grand soulagement, la porte de l’ Amiral Benbow se referma sur nous.

Je poussai bien vite le verrou, et nous restâmes une minute dans le noir, tout pantelants, seuls sous ce toit avec le cadavre du capitaine. Puis ma mère prit une chandelle dans l’estaminet, et, nous tenant par la main, nous pénétrâmes dans la salle. Le corps gisait toujours dans la même position, les yeux béants et un bras étendu.

– Baisse le store, Jim, chuchota ma mère ; s’ils arrivaient ils nous verraient du dehors… Là… Et maintenant, il nous faut trouver la clef sur ce cadavre : je voudrais bien savoir qui de nous va y toucher !

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