Et l'Atréide Ménélaos tua de sa pique aiguë Skamandrios habile à la chasse, fils de Strophios. C'était un excellent chasseur qu'Artémis avait instruit elle-même à percer les bêtes fauves, et qu'elle avait nourri dans les bois, sur les montagnes. Mais ni son habileté à lancer les traits, ni Artémis qui se réjouit de ses flèches, ne lui servirent. Comme il fuyait, l'illustre Atréide Ménélaos le perça de sa pique dans le dos, entre les deux épaules, et lui traversa la poitrine. Et il tomba sur la face, et ses armes résonnèrent.
Et Mèrionès tua Phéréklos, fils du charpentier Harmôn, qui fabriquait adroitement toute chose de ses mains et que Pallas Athènè aimait beaucoup. Et c'était lui qui avait construit pour Alexandros ces nefs égales qui devaient causer tant de maux aux Troiens et à lui-même; car il ignorait les oracles des dieux. Et Mèrionès, poursuivant Phéréklos, le frappa à la fesse droite, et la pointe pénétra dans l'os jusque dans la vessie. Et il tomba en gémissant, et la mort l'enveloppa.
Et Mégès tua Pèdaios, fils illégitime d'Antènôr, mais que la divine Théanô avait nourri avec soin au milieu de ses enfants bien-aimés, afin de plaire à son mari. Et l'illustre Phyléide, s'approchant de lui, le frappa de sa pique aiguë derrière la tête. Et l'airain, à travers les dents, coupa la langue, et il tomba dans la poussière en serrant de ses dents le froid airain.
Et l'Évaimonide Eurypylos tua le divin Hypsènôr, fils du magnanime Dolopiôn, sacrificateur du Skamandros, et que le peuple honorait comme un dieu. Et l'illustre fils d'Évaimôn, Eurypylos, se ruant sur lui, comme il fuyait, le frappa de l'épée à l'épaule et lui coupa le bras, qui tomba sanglant et lourd. Et la mort pourprée et la Moire violente emplirent ses yeux.
Tandis qu'ils combattaient ainsi dans la rude mêlée, nul n'aurait pu reconnaître si le Tydéide était du côté des Troiens ou du côté des Akhaiens. Il courait à travers la plaine, semblable à un fleuve furieux et débordé qui roule impétueusement et renverse les ponts. Ni les digues ne l'arrêtent, ni les enclos des vergers verdoyants, car la pluie de Zeus abonde, et les beaux travaux des jeunes hommes sont détruits. Ainsi les épaisses phalanges des Troiens se dissipaient devant le Tydéide, et leur multitude ne pouvait soutenir son choc.
Et l'illustre fils de Lykaôn, l'ayant aperçu se ruant par la plaine et dispersant les phalanges, tendit aussitôt contre lui son arc recourbé, et, comme il s'élançait, le frappa à l'épaule droite, au défaut de la cuirasse. Et la flèche acerbe vola en sifflant et s'enfonça, et la cuirasse ruissela de sang. Et l'illustre fils de Lykaôn s'écria d'une voix haute:
— Courage, Troiens, cavaliers magnanimes! Le plus brave des Akhaiens est blessé, et je ne pense pas qu'il supporte longtemps ma flèche violente, s'il est vrai que le roi, fils de Zeus, m'ait poussé à quitter la Lykiè.
Il parla ainsi orgueilleusement, mais la flèche rapide n'avait point tué le Tydéide, qui, reculant, s'arrêta devant ses chevaux et son char, et dit à Sthénélos, fils de Kapaneus:
— Hâte-toi, ami Kapanéide! Descends du char et retire cette flèche amère.
Il parla ainsi, et Sthénélos, sautant à bas du char, arracha de l'épaule la flèche rapide. Et le sang jaillit sur la tunique, et Diomèdès hardi au combat pria ainsi:
— Entends-moi, fille indomptée de Zeus tempétueux! Si jamais tu nous as protégés, mon père et moi, dans la guerre cruelle, Athènè! secours-moi de nouveau. Accorde-moi de tuer ce guerrier. Amène-le au-devant de ma pique impétueuse, lui qui m'a blessé le premier, et qui s'en glorifie, et qui pense que je ne verrai pas longtemps encore la splendide lumière de Hélios.
Il parla ainsi en priant, et Pallas Athènè l'exauça. Elle rendit tous ses membres, et ses pieds et ses mains plus agiles; et s'approchant, elle lui dit en paroles ailées:
— Reprends courage, ô Diomèdès, et combats contre les Troiens, car j'ai mis dans ta poitrine l'intrépide vigueur que possédait le porte-bouclier, le cavalier Tydeus. Et j'ai dissipé le nuage qui était sur tes yeux, afin que tu reconnaisses les dieux et les hommes. Si un immortel venait te tenter, ne lutte point contre les dieux immortels; mais si Aphroditè, la fille de Zeus, descendait dans la mêlée, frappe-la de l'airain aigu.
Ayant ainsi parlé, Athènè aux yeux clairs s'éloigna, et le Tydéide retourna à la charge, mêlé aux premiers rangs. Et, naguère, il était, certes, plein d'ardeur pour combattre les Troiens, mais son courage est maintenant trois fois plus grand. Il est comme un lion qui, dans un champ où paissaient des brebis laineuses, au moment où il sautait vers l'étable, a été blessé par un pâtre, et non tué. Cette blessure accroît ses forces. Il entre dans l'étable et disperse les brebis, qu'on n'ose plus défendre. Et celles-ci gisent égorgées, les unes sur les autres; et le lion bondit hors de l'enclos. Ainsi le brave Diomèdès se rua sur les Troiens.
Alors, il tua Astynoos et Hypeirôn, princes des peuples. Et il perça l'un, de sa pique d'airain, au-dessus de la mamelle; et, de sa grande épée, il brisa la clavicule de l'autre et sépara la tête de l'épaule et du dos. Puis, les abandonnant, il se jeta sur Abas et Polyeidos, fils du vieux Eurydamas, interprète des songes. Mais le vieillard ne les avait point consultés au départ de ses enfants. Et le brave Diomèdès les tua.
Et il se jeta sur Xanthos et Thoôn, fils tardifs de Phainopos, qui les avait eus dans sa triste vieillesse, et qui n'avait point engendré d'autres enfants à qui il pût laisser ses biens. Et le Tydéide les tua, leur arrachant l'âme et ne laissant que le deuil et les tristes douleurs à leur père, qui ne devait point les revoir vivants au retour du combat, et dont l'héritage serait partagé selon la loi.
Et Diomèdès saisit deux fils du Dardanide Priamos, montés sur un même char, Ekhémôn et Khromios. Comme un lion, bondissant sur des boeufs, brise le cou d'une génisse ou d'un taureau paissant dans les bois, ainsi le fils de Tydeus, les renversant tous deux de leur char, les dépouilla de leurs armes et remit leurs chevaux à ses compagnons pour être conduits aux nefs.
Mais Ainéias, le voyant dissiper les lignes des guerriers, s'avança à travers la mêlée et le bruissement des piques, cherchant de tous côtés le divin Pandaros. Et il rencontra le brave et irréprochable fils de Lykaôn, et, s'approchant, il lui dit:
— Pandaros! où sont ton arc et tes flèches? Et ta gloire, quel guerrier pourrait te la disputer? Qui pourrait, en Lykiè, se glorifier de l'emporter sur toi? Allons, tends les mains vers Zeus et envoie une flèche à ce guerrier. Je ne sais qui il est, mais il triomphe et il a déjà infligé de grands maux aux Troiens. Déjà il a fait ployer les genoux d'une multitude de braves. Peut-être est- ce un dieu irrité contre les Troiens à cause de sacrifices négligés. Et la colère d'un dieu est lourde.
Et l'illustre fils de Lykaôn lui répondit:
— Ainéias, conseiller des Troiens revêtus d'airain, je crois que ce guerrier est le Tydéide. Je le reconnais à son bouclier, à son casque aux trois cônes et à ses chevaux. Cependant, je ne sais si ce n'est point un dieu. Si ce guerrier est le brave fils de Tydeus, comme je l'ai dit, certes, il n'est point ainsi furieux sans l'appui d'un dieu. Sans doute, un des immortels, couvert d'une nuée, se tient auprès de lui et détourne les flèches rapides. Déjà je l'ai frappé d'un trait à l'épaule droite, au défaut de la cuirasse. J'étais certain de l'avoir envoyé chez Aidès, et voici que je ne l'ai point tué. Sans doute quelque dieu est irrité contre nous. Ni mes chevaux ni mon char ne sont ici. J'ai, dans les demeures de Lykaôn, onze beaux chars tout neufs, couverts de larges draperies. Auprès de chacun d'eux sont deux chevaux qui paissent l'orge et l'avoine. Certes, le belliqueux vieillard Lykaôn, quand je partis de mes belles demeures, me donna de nombreux conseils. Il m'ordonna, monté sur mon char et traîné par mes chevaux, de devancer tous les Troiens dans les mâles combats. J'aurais mieux fait d'obéir; mais je ne le voulus point, désirant épargner mes chevaux accoutumés à manger abondamment, et de peur qu'ils manquassent de nourriture au milieu de guerriers assiégés. Je les laissai, et vins à pied vers Ilios, certain de mon arc, dont je ne devais pas me glorifier cependant. Déjà, je l'ai tendu contre deux chefs, l'Atréide et le Tydéide, et je les ai blessés, et j'ai fait couler leur sang, et je n'ai fait que les irriter. Certes, ce fut par une mauvaise destinée que je détachais du mur cet arc recourbé, le jour funeste où je vins, dans la riante Ilios, commander aux Troiens, pour plaire au divin Hektôr. Si je retourne jamais, et si je revois de mes yeux ma patrie et ma femme et ma haute demeure, qu'aussitôt un ennemi me coupe la tête, si je ne jette, brisé de mes mains, dans le feu éclatant, cet arc qui m'aura été un compagnon inutile!
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