Le Singe et le Chat méditaient au coin du feu comment ils s’y prendraient pour en tirer des marrons qui y rôtissaient. – Frère, dit le premier à l’autre, ces marrons que tu vois, il nous les faut avoir à tel prix que ce puisse être; et pour cela, comme je te crois la patte plus adroite que la mienne, tu n’as qu’à t’en servir, écarter tant soit peu cette cendre, et nous les amener ici. – L’autre approuve l’expédient, range d’abord les charbons, puis la cendre, porte et reporte la patte au milieu du feu, en tire un, deux, trois; et pendant qu’il se grille, le Singe les croque. Un Valet vient sur ces entrefaites troubler la fête, et les galants prennent aussitôt la fuite. Ainsi le Chat eut toute la peine, et l’autre tout le profit.
Du Hérisson et du Serpent.
Un Hérisson que des Chasseurs poursuivaient, se coula sous une roche, où le Serpent se retirait, et pria celui-ci de souffrir qu’il s’y cachât: ce qu’on lui accorda très-volontiers. Les Chasseurs retirés, le Serpent qui se trouvait fort incommodé des piquants du Hérisson, lui remontra qu’il pouvait se retirer, sans péril, où bon lui semblerait: ensuite il le pria de sortir de son trou. – Moi, sortir, repartit l’autre? Les dieux m’en gardent! Apprenez, insolent, que j’ai ici autant et plus de droit que vous. – Comme celui-ci était le plus fort, il ne lui fut pas difficile de prouver net ce qu’il avançait.
Un Homme avait un Cheval et un Âne, et comme ils voyageaient ensemble, l’Âne, qui était beaucoup chargé, pria le Cheval de le soulager, et de prendre une partie de son fardeau, s’il voulait lui sauver la vie; mais le Cheval lui refusant ce service, l’Âne tomba, et mourut sous sa charge: ce que voyant le Maître, il écorcha l’Âne, et mit sur le Cheval toute sa charge avec sa peau; alors le Cheval s’écria: – Ô que je suis malheureux! je n’ai pas voulu prendre une partie de sa charge, et maintenant il faut que je la porte toute entière, et même sa peau. -
Le Cerf étant vivement pressé par les Chasseurs, se sauva dans l’étable des Boeufs; mais l’un d’eux lui dit: – Que fais-tu, malheureux? c’est t’exposer à une mort certaine, que de te mettre ici à la merci des Hommes. – Pardonnez-moi, dit le Cerf, si vous ne dites mot, je pourrai peut-être me sauver -; cependant, la nuit vint, et le Bouvier apporta des herbes pour repaître les Boeufs, et ne vit point le Cerf. Les Valets de la maison, et le Métayer même entrèrent et sortirent de l’étable sans l’apercevoir. Alors le Cerf se croyant hors de danger, se mit à complimenter les Boeufs, et à les remercier de ce qu’ils l’avaient voulu cacher parmi eux: ils lui répondirent qu’ils désiraient bien tous qu’il se pût sauver, mais qu’il prît garde de tomber entre les mains du Maître; car sa vie serait en grand danger. En même temps le Maître, qui avait soupé chez un de ses amis, revint au logis: comme il avait remarqué, depuis peu de jours, que ses Boeufs devenaient maigres, il voulut voir comme on les traitait. Entrant donc dans l’étable, et s’approchant de la crèche: – D’où vient, dit-il à ses gens, que ces pauvres Boeufs ont si peu à manger, et que leur litière est si mal faite, avec si peu de paille? – Enfin, comme il regardait exactement de tous côtés, il aperçut le Cerf avec ses grandes cornes, et appelant toute sa famille, ordonna qu’on le tuât.
Du Cuisinier et du Chien.
Un Chien étant entré dans la cuisine, et épiant le temps que le Cuisinier l’observait le moins, emporta un coeur de Boeuf, et se sauva. Le Cuisinier le voyant fuir après le tour qu’il lui avait joué, lui dit ces paroles: – Tu me trompes aujourd’hui impunément; mais sois bien persuadé que je t’observerai avec plus de soin, et que je t’empêcherai bien de me voler à l’avenir; car tu ne m’as pas emporté le coeur; au contraire tu m’en as donné. – Les pertes et la mauvaise fortune ouvrent l’esprit, et font que l’Homme prend mieux ses précautions pour se garantir des disgrâces qui le menacent.
Le Lion ayant établi son empire sur les Animaux avait enjoint de sortir des frontières de son royaume à ceux qui étaient privés de l’honneur de porter une queue. Épouvanté, le Renard se préparait à partir pour l’exil. Déjà il pliait bagage. Comme le Singe, ne considérant que l’ordre du roi, disait que cet édit ne concernait pas le Renard, qui avait de la queue, et à revendre: – Tu dis vrai, dit celui-ci, et ton conseil est bon, mais comment savoir si entre les Animaux dépourvus de queue le Lion ne voudra pas me compter au premier rang. Celui qui doit passer sa vie sous un tyran, même s’il est innocent, est souvent frappé comme coupable. -
Un Bouvier, paissant un troupeau de Boeufs, perdit un Veau. Il passa son temps à parcourir tous les endroits déserts et à faire des recherches, mais il ne découvrit rien. Alors il promit à Jupiter, au cas où il trouverait le Voleur qui avait pris son Veau, de lui offrir un Chevreau en sacrifice. Il arriva dans un bois de chênes et là il découvrit que le Veau avait été dévoré par un Lion. Éperdu et terrifié, levant les mains au ciel, il s’écria: – Seigneur Jupiter, je t’avais promis de te donner un Chevreau si je découvrais mon Voleur. Maintenant je te promets un taureau si j’échappe à ses coups. – Cette fable convient aux malheureux qui, en cas de perte demandent aux dieux de trouver la chose perdue et qui, l’ayant trouvée, cherchent à ne pas tenir leur promesse.
Du Bouvier et de Hercule.
Un Charretier emmenait d’un village un chariot qui glissa dans une fondrière. Il lui fallait du secours et il se tenait là sans rien faire, implorant Hercule. Car c’était ce dieu qu’il aimait et honorait entre tous. Alors le dieu lui apparut et lui dit: – Mets la main aux roues, pique tes Boeufs et ensuite implore le dieu quand à ton tour tu agiras. En attendant, ne fais pas de prières en vain. -
Du Grammairien qui enseignait un Âne.
Un Grammairien se glorifiait d’exceller dans son art au point que, moyennant un salaire convenable, il s’engageait à instruire non seulement des Enfants, mais même un Âne. Le Prince, apprenant la folle témérité du personnage, lui dit: – Si je te donnais 50 ducats, répondrais-tu de pouvoir en dix ans faire l’instruction d’un Âne? – Dans son imprudence, il répondit qu’il acceptait la mort si, dans cet espace de temps son Âne n’arrivait pas à lire et à écrire. Ses amis étaient étonnés de ses paroles: ils lui reprochaient de s’engager à faire une chose non seulement malaisée et difficile, mais même impossible, et ils craignaient qu’à l’expiration du délai il ne fut mis à mort par le Prince. Il leur répondit: – Avant le terme, ou l’Âne mourra, ou le Roi, ou moi. – Cette fable montre aux gens qui sont exposés à un danger que le délai souvent leur vient en aide.
Un Homme, dont la Femme était détestée de tous les gens de la maison, voulut savoir si elle inspirait les mêmes sentiments aux Serviteurs de son Père. Sous un prétexte spécieux il l’envoie chez celui-ci. Peu de jours après, quand elle revint, il lui demanda comment elle était avec les gens de là-bas. Elle répondit que les Bouviers et les Pâtres la regardaient de travers. – Eh bien, Femme, si tu es détestée de ceux qui font sortir leurs troupeaux à l’aurore et qui ne rentrent que le soir, à quoi faudra-t-il s’attendre de la part de ceux avec qui tu passes toute la journée. – Cette fable montre que souvent on connaît les grandes choses par les petites et les choses incertaines par celles qui sont manifestes.
Читать дальше