[Ils trépignent de joie sur l’escabeau.]
MYTYL. Oh! que c’est amusant!…
TYLTYL. On leur donne les gâteaux!… Ils peuvent y toucher!… Ils mangent! ils mangent! ils mangent!…
MYTYL. Les plus petits aussi!… Ils en ont deux, trois, quatre!…
TYLTYL [ ivre de joie ]. Oh! c’est bon!… Que c’est bon! que c’est bon!…
MYTYL [ comptant des gâteaux imaginaires. ] Moi, j’en ai reçu douze!…
TYLTYL. Et moi quatre fois douze!… Mais je t’en donnerai…
[On frappe à la porte de la cabane.]
TYLTYL [ subitement calmé et effrayé ]. Qu’est-ce que c’est?…
MYTYL [ épouvantée ]. C’est papa!…
[Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se soulever de lui-même, en grinçant; la porte s’entrebâille pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et coiffée d’un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche courbée sur un bâton. Il n’est pas douteux que ce ne soit une fée.]
LA FÉE. Avez-vous ici l’herbe qui chante ou l’oiseau qui est bleu?…
TYLTYL. Nous avons de l’herbe, mais elle ne chante pas…
MYTYL. Tyltyl a un oiseau.
TYLTYL. Mais je ne peux pas le donner…
LA FÉE. Pourquoi?…
TYLTYL. Parce qu’il est à moi.
LA FÉE. C’est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?…
TYLTYL [ montrant la cage ]. Dans la cage…
LA FÉE [ mettant ses besicles pour examiner l’oiseau ]. Je n’en veux pas; il n’est pas assez bleu. Il faudra que vous m’alliez chercher celui dont j’ai besoin.
TYLTYL. Mais je ne sais pas où il est…
LA FÉE. Moi non plus. C’est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la rigueur me passer de l’herbe qui chante 16 16 Je puis… à la rigueur me passer de l’herbe qui chante – Я могу… обойтись без поющей травы
; mais il me faut absolument l’Oiseau Bleu. C’est pour ma petite fille qui est très malade.
TYLTYL. Qu’est-ce qu’elle a?…
LA FÉE. On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse…
TYLTYL. Ah?…
LA FÉE. Savez-vous qui je suis?…
TYLTYL. Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot…
LA FÉE [ sefâchant subitement ]. En aucune façon… Il n’y a aucun rapport… C’est abominable!… Je suis la Fée Bérylune…
TYLTYL. Ah! très bien…
LA FÉE. Il faudra partir tout de suite.
TYLTYL. Vous viendrez avec nous?…
LA FÉE. C’est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j’ai mis ce matin et qui s’empresse de déborder chaque fois que je m’absente plus d’une heure… [ Montrant successivement le plafond, la cheminée et la fenêtre. ] Voulez-vous sortir par ici, par là ou par là?…
TYLTYL [ montrant timidement la porte ]. J’aimerais mieux sortir par là…
LA FÉE [ se fâchant encore subitement ]. C’est absolument impossible, et c’est une habitude révoltante!… [ Indiquant lafenêtre. ] Nous sortirons par là… Eh bien!… Qu’attendez-vous?… Habillez-vous tout de suite… [ Les enfants obéissent et s’habillent rapidement. ] Je vais aider Mytyl…
TYLTYL. Nous n’avons pas de souliers…
LA FÉE. Ça n’a pas d’importance. Je vais vous donner un petit chapeau merveilleux. Où sont donc vos parents?…
TYLTYL [ montrant la porte à droite ]. Ils sont là; ils dorment…
LA FÉE. Et votre bon-papa et votre bonne-maman?…
TYLTYL. Ils sont morts…
LA FÉE. Et vos petits frères et vos petites sœurs… Vous en avez?…
TYLTYL. Oui, oui; trois petits frères…
MYTYL. Et quatre petites sœurs…
LA FÉE. Où sont-ils?…
TYLTYL. Ils sont morts aussi…
LA FÉE. Voulez-vous les revoir?…
TYLTYL. Oh oui!… Tout de suite!… Montrezes!…
LA FÉE. Je ne les ai pas dans ma poche… Mais ça tombe à merveille 17 17 ça tombe à merveille – все складывается как нельзя более удачно
; vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C’est sur la route de l’Oiseau Bleu. Tout de suite à gauche, après le troisième carrefour… Que faisiez-vous quand j’ai frappé?…
TYLTYL. Nous jouions à manger des gâteaux.
LA FÉE. Vous avez des gâteaux?… Où sont-ils?
TYLTYL. Dans le palais des enfants riches… Venez voir, c’est si beau!… [ Il entraîne la Fée vers la fenêtre. ]
LA FÉE [ à la fenêtre ]. Mais ce sont les autres qui les mangent!…
TYLTYL. Oui; mais puisqu’on voit tout…
LA FÉE. Tu ne leur en veux pas?… 18 18 Tu ne leur en veux pas? – Ты на них не сердишься?
TYLTYL. Pourquoi?…
LA FÉE. Parce qu’ils mangent tout. Je trouve qu’ils ont grand tort de ne pas t’en donner…
TYLTYL. Mais non, puisqu’ils sont riches… Hein? que c’est beau chez eux!…
LA FÉE. Ce n’est pas plus beau que chez toi.
TYLTYL. Heu!… Chez nous c’est plus noir, plus petit, sans gâteaux…
LA FÉE. C’est absolument la même chose; c’est que tu n’y vois pas… 19 19 c’est que tu n’y vois pas – ты просто не видишь
TYLTYL. Mais si, j’y vois très bien, et j’ai de très bons yeux. Je lis l’heure au cadran de l’église que papa ne voit pas…
LA FÉE [ se fâchant subitement ]. Je te dis que tu n’y vois pas!… Comment donc me vois-tu?… Comment donc suis-je faite?… Eh bien, [ Silence gêné de Tyltyl. ] répondras-tu? que je sache si tu vois?… Suis-je bele ou bien laide?… [ Silence de plus en plus embarrassé. ] Tu ne veux pas répondre?… Suis-je jeune ou bien vieille?… Suis-je rose ou bien jaune?… j’ai peut-être une bosse?…
TYLTYL [ conciliant ]. Non, non, elle n’est pas grande…
LA FÉE. Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme… Ai-je le nez crochu et l’œil gauche crevé?…
TYLTYL. Non, non, je ne dis pas… Qui est-ce qui l’a crevé?…
LA FÉE [ de plus en plus irritée ]. Mais il n’est pas crevé!… Insolent! misérable!… Il est plus beau que ’autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu comme e ciel… Et mes cheveux, vois-tu?… Ils sont blonds comme les blés… on dirait de l’or vierge!… 20 20 on dirait de l’or vierge ! – можно подумать, они из чистого золота!
Et j’en ai tant et tant que la tête me pèse… Ils s’échappent de partout… Les vois-tu sur mes mains?… [ Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris. ]
TYLTYL. Oui, j’en vois quelques-uns…
LA FÉE [ indignée ]. Quelques-uns!… Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots d’or!… Je sais bien que des gens disent qu’ils n’en voient point; mais tu n’es pas de ces méchantes gens aveugles, je suppose?…
TYLTYL. Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point…
LA FÉE. Mais il faut voir les autres avec la même audace!… C’est bien curieux, les hommes… Depuis la mort des fées, ils n’y voient plus du tout et ne s’en doutent point… Heureusement que j’ai toujours sur moi tout ce qu’il faut pour rallumer les yeux éteints… Qu’est-ce que je tire de mon sac?…
TYLTYL. Oh! le joli petit chapeau vert!… Qu’estce qui brille ainsi sur la cocarde?…
LA FÉE. C’est le gros Diamant qui fait voir…
TYLTYL. Ah!…
LA FÉE. Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, vois-tu?… Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne ne connaît, et qui ouvre les yeux…
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