Les communistes accusent aussitôt « la cinquième colonne fasciste » d'avoir provoqué l'accident, qui serait donc un attentat.
De Gaulle ferme à demi les yeux. Il se sent seul malgré les approbations qui l'entourent. Voilà l'origine de ce sentiment étrange qui l'étreint.
« Je suis déjà dans un désert », murmure-t-il.
Mais la France est presque entièrement débarrassée de l'occupant.
Le 30 septembre 1944, la ville et le port de Calais sont libérés.
Le 14 novembre, la 1 reArmée Française de De Lattre entre en Alsace.
Le 19 novembre, elle atteint le Rhin.
Le 23 novembre, la 2 eDB libère Strasbourg.
Le général Leclerc qui la commande avait, le 2 mars 1941, après la conquête de l'oasis de Koufra, dans l'Érythrée italienne, fait prêter à ses hommes - une poignée de Français Libres - ce serment :
« Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. »
C'est fait. Mais les soldats de Leclerc vont garder leurs armes.
La guerre n'est pas finie.
De Strasbourg, on voit l'Allemagne.
41.
L'Allemagne ?
Eisenhower sourit quand, en ce début septembre 1944, on l'interroge sur les opérations à venir.
Les troupes anglo-canadiennes du maréchal Montgomery - il a été élevé à cette dignité le 1 erseptembre - viennent les 4 et 5 septembre de libérer Bruxelles et Anvers.
Les troupes alliées ont été accueillies par une foule enthousiaste. La guerre semble près de finir. Les prisonniers allemands se comptent par dizaines de milliers.
L'Allemagne ?
« Nous y entrerons comme dans du beurre », disent les proches d'Eisenhower, répétant ce que déclare le Service Interallié de Renseignements.
Le 15 septembre, Eisenhower écrit à Montgomery :
« Nous serons bientôt maîtres de la Ruhr, de la Sarre et de la région de Francfort, et j'aimerais avoir votre avis sur ce qu'il faudrait faire ensuite. »
Sur le front de l'Est aussi - dans les Balkans d'abord, - la situation des Allemands est dangereuse. À peine s'il subsiste un semblant de front.
Les troupes russes sont entrées en Bulgarie le 5 septembre et aussitôt les Bulgares se déclarent en guerre avec l'Allemagne.
Le 15 septembre, l'armée Rouge fait sa jonction avec les partisans et l'armée yougoslave de Tito.
Commence pour les troupes allemandes un interminable calvaire dans les montagnes arides de Serbie et du Monténégro.
Les partisans les harcèlent, tendent des embuscades.
Les Allemands n'avaient pas pris conscience de la haine qu'ils avaient suscitée.
N'étaient-ils pas les « élus », les représentants d'une race supérieure, et les Slaves, qu'étaient-ils sinon des Untermenschen ? Et l'on pouvait tuer ces « sous-hommes », les exterminer ; c'était dans l'ordre naturel des choses.
Mais les Untermenschen sont devenus des guerriers redoutables.
« Notre retraite est un cauchemar, raconte un officier de la Wehrmacht. Les routes sont quelquefois minées dans les défilés sur des longueurs de 20 à 30 kilomètres, de sorte qu'au bout de huit jours nous avons perdu presque tous nos véhicules. La plupart des hommes n'ont plus que des souliers éculés et se sont débarrassés de tout leur fourniment, ne gardant que leur fusil. La nuit, une moitié de la compagnie doit monter la garde pour qu'on puisse se reposer sans rien craindre des partisans. Chaque village traversé porte les traces de la férocité impitoyable de cette guérilla... »
Plus au nord, les Russes entrent en Estonie et en Lettonie. Ils atteignent la frontière de la Prusse-Orientale.
En Hongrie, l'avance des Russes vers Budapest incite le régent Horty à prendre ses distances avec l'Allemagne.
Il veut faire sortir son pays de la guerre. Aussitôt, les nazis, appuyés par les fascistes hongrois du mouvement des Croix Fléchées, s'emparent du pouvoir, et organisent la déportation de milliers de Juifs hongrois vers les chambres à gaz d'Auschwitz.
« Tournez vos armes contre les oppresseurs allemands, clament les résistants hongrois. Aidez l'armée Rouge pour une Hongrie libre et démocratique. »
En fait, les Hongrois craignent que derrière un paravent démocratique ne se cachent les communistes embarqués sur les tanks de l'armée soviétique.
Et les Russes rencontrent une farouche résistance des Allemands et des Hongrois lors du siège de Budapest.
C'est bien l'équilibre des forces dans l'Europe de l'après-guerre qui pèse déjà sur ces derniers mois de 1944.
Hitler le sait.
Malade, bourré de médicaments par le docteur Morell, il ne peut dissimuler le tremblement qui désormais affecte tout le côté gauche de son corps. Mais ses facultés intellectuelles, quand elles ne sont pas emportées par la colère ou la paranoïa, restent vives.
Il invoque auprès de ses généraux ou d'un Doriot les armes secrètes, mais en fait il compte sur l'éclatement de l'Alliance des Anglo-Américains et des Russes.
« Jamais l'Histoire, dit-il au général Guderian, n'a connu une coalition comme celle de nos adversaires, composée d'éléments aussi hétérogènes poursuivant des buts aussi divergents... Des États super-capitalistes d'un côté, des États super-marxistes de l'autre.
« D'un côté, un Empire en train de mourir, la Grande-Bretagne, de l'autre, une colonie aspirant à la succession des États-Unis. Chaque partenaire est entré dans la coalition avec l'espoir de réaliser ses propres ambitions politiques. »
Il ajoute que les Anglo-Saxons sont l'élément le plus faible moralement et matériellement.
« Une bonne raclée les ramènera à la raison », lance-t-il.
Le Führer écarte avec un rugissement de colère les propos qu'il appelle défaitistes et qui prétendent que la Wehrmacht et les divisions SS n'ont plus les moyens d'arrêter la progression des Alliés vers le Rhin.
« Toute retraite en bon ordre est devenue impossible, écrit le général Speidel. Les armées alliées motorisées cernent par petits groupes les divisions d'infanterie allemandes et les écrasent séparément... Aucune force terrestre allemande de quelque importance ne peut être jetée dans la bataille et il n'y a pratiquement aucun secours à attendre de l'air. »
Hitler ignore l'amère plaisanterie qui circule au sein de la Wehrmacht en Normandie :
« Si tu vois un avion blanc, c'est un Américain ; un noir, c'est un Anglais ; si tu ne vois rien, c'est la Luftwaffe. »
Himmler, Reichsführer, commandant l'Armée de l'Intérieur et les divisions SS et Waffen-SS, connaît l'état d'esprit de bien des soldats allemands.
Le 10 septembre, il diffuse à toutes les unités un ordre du jour menaçant :
« Certains éléments indésirables croient que la guerre sera terminée pour eux aussitôt qu'ils se seront rendus à l'ennemi... Ils se trompent. Tout déserteur trouvera son juste châtiment. De plus, sa lâche conduite entraînera les suites les plus désastreuses pour les membres de sa famille qui seront fusillés sans jugement. »
Des chefs d'unité vont plus loin encore.
Ils s'adressent souvent à de jeunes recrues qui n'ont pas encore 17 ans et qui constituent ces divisions de Volksgrenadier, qui n'ont aucune expérience du front.
« Des traîtres ont déserté nos rangs, écrit leur colonel. Ces misérables ont livré d'importants secrets militaires. Des Juifs calomniateurs et fourbes vous travaillent à coups de propagande et tentent de vous enrôler parmi ces misérables. Laissez-les en vain cracher leur poison ! Quant aux misérables traîtres qui ont oublié leur honneur, leur famille répondra de leur défection... »
Les soldats allemands sont ainsi pris en tenaille : en face d'eux l'ennemi et derrière eux les menaces sur leurs familles.
Читать дальше