Jean-Paul Sartre - Les Mots
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A dix ans, je prétendais n'aimer qu'elles. Chaque maillon de ma vie devait être imprévu, sentir la peinture fraîche. Je consentais d'avance aux contretemps, aux mésaventures et, pour être juste, il faut dire que je leur faisais bon visage. Un soir l'électricité s'éteignit: une panne; on m'appela d'une autre pièce, j'avançai les bras écartés et j'allai donner de la tête contre un battant de porte si fort que je me cassai une dent. Cela m'amusa, malgré la douleur, j'en ris. Comme Giacometti devait plus tard rire de sa jambe mais pour des raisons diamétralement opposées. Puisque j'avais décidé d'avance que mon histoire aurait un dénouement heureux, l'imprévu ne pouvait être qu'un leurre, la nouveauté qu'une apparence, l'exigence des peuples, en me faisant naître, avait tout réglé: je vis dans cette dent cassée un signe, une monition obscure que je comprendrais plus tard. Autrement dit, je conservais l'ordre des fins en toute circonstance, à tout prix; je regardais ma vie à travers mon décès et ne voyais qu'une mémoire close dont rien ne pouvait sortir, où rien n'entrait. Imagine-t-on ma sécurité? Les hasards n'existaient pas: je n'avais affaire qu'à leurs contrefaçons providentielles. Les journaux donnaient à croire que des forces éparses traînaient par les rues, fauchaient les petites gens: moi, le prédestiné, je n'en rencontrerais pas. Peut-être perdrais-je un bras, une jambe, les deux yeux. Mais tout était dans la manière: mes infortunes ne seraient jamais que des épreuves, que des moyens de faire un livre. J'appris à supporter les chagrins et les maladies: j'y vis les prémices de ma mort triomphale, les degrés qu'elle taillait pour m'élever jusqu'à elle. Cette sollicitude un peu brutale ne me déplaisait pas et j'avais à cœur de m'en montrer digne. Je tenais le pire pour la condition du meilleur; mes fautes elles-mêmes servaient, ce qui revenait à dire que je n'en commettais pas. A dix ans, j'étais sûr de moi: modeste, intolérable, je voyais dans mes déconfitures les conditions de ma victoire posthume. Aveugle ou cul-de-jatte, fourvoyé par mes erreurs, je gagnerais la guerre à force de perdre les batailles. Je ne faisais pas de différence entre les épreuves réservées aux élus et les échecs dont je portais la responsabilité, cela signifie que mes crimes me paraissaient, au fond, des infortunes et que je revendiquais mes malheurs comme des fautes, de fait, je ne pouvais attraper de maladie, fût-ce la rougeole ou le coryza, sans me déclarer coupable: j'avais manqué de vigilance, j'avais oublié de mettre mon manteau, mon foulard. J'ai toujours mieux aimé m'accuser que l'univers; non par bonhomie: pour ne me tenir que de moi. Cette arrogance n'excluait pas l'humilité: je me croyais faillible d'autant plus volontiers que mes défaillances étaient forcément le chemin le plus court pour aller au Bien. Je m'arrangeais pour ressentir dans le mouvement de ma vie une irrésistible attraction qui me contraignait sans cesse, fût-ce en dépit de moi-même, à faire de nouveaux progrès.
Tous les enfants savent qu'ils progressent. D'ailleurs on ne leur permet pas de l'ignorer: «Des progrès à faire, en progrès, progrès sérieux et réguliers…» Les grandes personnes nous racontaient l'Histoire de France: après la première République, cette incertaine, il y avait eu la deuxième et puis la troisième qui était la bonne: jamais deux sans trois. L'optimisme bourgeois se résumait alors dans le programme des radicaux: abondance croissante des biens, suppression du paupérisme par la multiplication des lumières et de la petite propriété. Nous autres, jeunes Messieurs, on l'avait mis à notre portée et nous découvrions, satisfaits, que nos progrès individuels reproduisaient ceux de la Nation. Ils étaient rares, pourtant, ceux qui voulaient s'élever au-dessus de leurs pères: pour la plupart, il ne s'agissait que d'atteindre l'âge d'homme; ensuite ils cesseraient de grandir et de se développer: c'était le monde, autour d'eux, qui deviendrait spontanément meilleur et plus confortable. Certains d'entre nous attendaient ce moment dans l'impatience, d'autres dans la peur et d'autres dans les regrets. Pour moi, avant d'être voué, je grandissais dans l'indifférence: la robe prétexte, je m'en foutais. Mon grand-père me trouvait minuscule et s'en désolait: «Il aura la taille des Sartre», disait ma grand-mère pour l'agacer. Il feignait de ne pas entendre, se plantait devant moi et me toisait: «Il pousse!» disait-il enfin sans trop de conviction. Je ne partageais ni ses inquiétudes ni ses espoirs: les mauvaises herbes poussent, elles aussi; preuve qu'on peut devenir grand sans cesser d'être mauvais. Mon problème alors, c'était d'être bon in aeternum. Tout changea quand ma vie prit de la vitesse: il ne suffisait plus de bien faire, il fallait faire mieux à toute heure. Je n'eus plus qu'une loi: grimper. Pour nourrir mes prétentions et pour en masquer la démesure je recourus à l'expérience commune: dans les progrès vacillants de mon enfance je voulus voir les premiers effets de mon destin. Ces améliorations vraies mais petites et très ordinaires me donnèrent l'illusion d'éprouver ma force ascensionnelle. Enfant public, j'adoptai en public le mythe de ma classe et de ma génération: on profite de l'acquis, on capitalise l'expérience, le présent s'enrichit de tout le passé. Dans la solitude j'étais loin de m'en satisfaire. Je ne pouvais pas admettre qu'on reçût l'être du dehors, qu'il se conservât par inertie ni que les mouvements de l'âme fussent les effets des mouvements antérieurs. Né d'une attente future je bondissais, lumineux, total et chaque instant répétait la cérémonie de ma naissance: je voulais voir dans les affections de mon cœur un crépitement d'étincelles. Pourquoi donc le passé m'eût-il enrichi? Il ne m'avait pas fait, c'était moi, au contraire, ressuscitant de mes cendres, qui arrachais du néant ma mémoire par une création toujours recommencée. Je renaissais meilleur et j'utilisais mieux les inertes réserves de mon âme par la simple raison que la mort, à chaque fois, plus proche, m'éclairait plus vivement de son obscure lumière. On me disait souvent: le passé nous pousse, mais j'étais convaincu que l'avenir me tirait; j'aurais détesté sentir en moi des forces douces à l'ouvrage, l'épanouissement lent de mes dispositions. J'avais fourré le progrès continu des bourgeois dans mon âme et j'en faisais un moteur à explosion; j'abaissai le passé devant le présent et celui-ci devant l'avenir, je transformai un évolutionnisme tranquille en un catastrophisme révolutionnaire et discontinu. On m'a fait remarquer, il y a quelques années, que les personnages de mes pièces et de mes romans prennent leurs décisions brusquement et par crise, qu'il suffit d'un instant, par exemple, pour que l'Oreste des Mouches accomplisse sa conversion. Parbleu: c'est que je les fais à mon image; non point tels que je suis, sans doute, mais tels que j'ai voulu être.
Je devins traître et je le suis resté. J'ai beau me mettre entier dans ce que j'entreprends, me donner sans réserve au travail, à la colère, à l'amitié, dans un instant je me renierai, je le sais, je le veux et je me trahis déjà, en pleine passion, par le pressentiment joyeux de ma trahison future. En gros, je tiens mes engagements comme un autre; constant dans mes affections et dans ma conduite je suis infidèle à mes émotions: des monuments, des tableaux, des paysages, il fut un temps où le dernier vu était toujours le plus beau; je mécontentais mes amis en évoquant dans le cynisme ou simplement dans la légèreté – pour me convaincre que j'en étais détaché – un souvenir commun qui pouvait leur rester précieux. Faute de m'aimer assez, j'ai fui en avant; résultat: je m'aime encore moins, cette inexorable progression me disqualifie sans cesse à mes yeux: hier j'ai mal agi puisque c'était hier et je pressens aujourd'hui le jugement sévère que je porterai sur moi demain. Pas de promiscuité, surtout: je tiens mon passé à distance respectueuse. L'adolescence, l'âge mûr, l'année même qui vient de s'écouler, ce sera toujours l'Ancien Régime: le Nouveau s'annonce dans l'heure présente mais n'est jamais institué: demain, on rasera gratis. Mes premières années, surtout, je les ai biffées: quand j'ai commencé ce livre, il m'a fallu beaucoup de temps pour les déchiffrer sous les ratures. Des amis s'étonnaient, quand j'avais trente ans: «On dirait que vous n'avez pas eu de parents. Ni d'enfance.» Et j'avais la sottise d'être flatté. J'aime et je respecte, pourtant, l'humble et tenace fidélité que certaines gens – des femmes surtout – gardent à leurs goûts, à leurs désirs, à leurs anciennes entreprises, aux fêtes disparues, j'admire leur volonté de rester les mêmes au milieu du changement, de sauver leur mémoire, d'emporter dans la mort une première poupée, une dent de lait, un premier amour. J'ai connu des hommes qui ont couché sur le tard avec une femme vieillie par cette seule raison qu'ils l'avaient désirée dans leur jeunesse; d'autres gardaient rancune aux morts ou se seraient battus plutôt que de reconnaître une faute vénielle commise vingt ans plus tôt. Moi, je ne tiens pas les rancunes et j'avoue tout, complaisamment: pour l'autocritique, je suis doué, à la condition qu'on ne prétende pas me l'imposer. On a fait des misères en 1936, en 1945 au personnage qui portait mon nom: est-ce que ça me regarde? Je porte à son débit les affronts essuyés: cet imbécile ne savait même pas se faire respecter. Un vieil ami me rencontre; exposé d'amertume: il nourrit un grief depuis dix-sept ans; en une circonstance définie, je l'ai traité sans égards. Je me rappelle vaguement que je me défendais, à l'époque, en contre-attaquant, que je lui reprochais sa susceptibilité, sa manie de la persécution, bref que j'avais ma version personnelle de cet incident: je n'en mets que plus d'empressement à adopter la sienne; j'abonde en son sens, je m'accable: je me suis comporté en vaniteux, en égoïste, je n'ai pas de cœur; c'est un massacre joyeux: je me délecte de ma lucidité; reconnaître mes fautes avec tant de bonne grâce, c'est me prouver que je ne pourrais plus les commettre. Le croirait-on? Ma loyauté, ma généreuse confession ne font qu'irriter le plaignant. Il m'a déjoué, il sait que je me sers de lui: c'est à moi qu'il en veut, à moi vivant, présent, passé, le même qu'il a toujours connu et je lui abandonne une dépouille inerte pour le plaisir de me sentir un enfant qui vient de naître. Je finis par m'emporter à mon tour contre ce furieux qui déterre les cadavres. Inversement, si l'on vient à me rappeler quelque circonstance où, me dit-on, je n'ai pas fait mauvaise figure, je balaie de la main ce souvenir; on me croit modeste et c'est tout le contraire: je pense que je ferais mieux aujourd'hui et tellement mieux demain. Les écrivains d'âge mûr n'aiment pas qu'on les félicite avec trop de conviction de leur première œuvre: mais c'est à moi, j'en suis sûr, que ces compliments-là font le moins de plaisir. Mon meilleur livre, c'est celui que je suis en train d'écrire; tout de suite après vient le dernier publié mais je me prépare, en douce, à bientôt m'en dégoûter. Que les critiques le trouvent aujourd'hui mauvais, ils me blesseront peut-être, mais dans six mois je ne serai pas loin de partager leur avis. A une condition pourtant: si pauvre et si nul qu'ils jugent cet ouvrage, je veux qu'ils le mettent au-dessus de tout ce que j'ai fait avant lui; je consens que le lot soit déprécié en entier pourvu qu'on maintienne la hiérarchie chronologique, la seule qui me conserve la chance de faire mieux demain, après-demain mieux encore et de finir par un chef-d'œuvre.
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