Son téléphone bipa, elle venait de recevoir l'adresse, elle décida de s'y rendre sur le champ en voiture.
Si elle n'arrivait pas la première à l'entretien, le problème serait réglé d'emblée.
*
Cassie arriva dans le quartier avant midi. Les rues calmes et impeccables étaient bordées de grandes maisons aux jardins arborés, légèrement en retrait. En plein été les arbres étaient bien verts, on ne voyait pas les maisons depuis la route.
Elle était étonnée devant l'ampleur des mesures de sécurité. Chaque maison était clôturée, dissimulée derrière des murs, sécurisée par des portails automatiques. Cassie ignorait si les riches tenaient à ce point à leur sécurité et leur intimité, ou si le taux de criminalité était élevé dans ce quartier. Elle penchait pour la première solution.
Cassie remarqua, en parcourant les rues au volant de sa vieille guimbarde, que certains habitants la regardaient bizarrement, dans leurs coupés sport aux couleurs vives et leurs SUV sombres. Elle n'était pas à sa place et ne passait pas inaperçue avec sa voiture dans ce quartier.
Elle tomba sur un café au bout de quelque pâtés de maison. Elle était trop tendue pour avoir faim, mais s'efforça de manger un cornetto et boire de d'eau.
Cette femme travaillait dans le milieu de la mode, le quartier était huppé, Cassie tenait à faire bonne impression. Elle se rendit aux toilettes, lissa ses cheveux et vérifia que son haut était exempt de miettes après avoir mangé un dessert feuilleté au mascarpone.
Elle se dirigea vers la maison et s'arrêta devant le portail en fer forgé, à deux heures moins deux exactement.
Elle tremblait de peur, elle aurait aimé avoir plus confiance en elle et décider si ce poste lui convenait ou pas. Elle devrait se faire rapidement une idée, prendre de multiples facteurs en compte, et si elle passait à côté de l'essentiel ?
Il fallait avoir la foi pour oser reprendre un boulot de fille au pair après ses mauvaises expériences. Elle n'aurait jamais postulé si elle n'était pas déterminée à rester dans le coin et découvrir ce qu'il était advenu de Jacqui.
Elle se força à respirer profondément et garder son calme, Cassie se pencha par la fenêtre et appuya sur la sonnette.
Le portail s'ouvrit au bout d'un moment, elle s'engagea sur l'allée pavée serpentant parmi le jardin.
Elle se gara sous un olivier, à côté d'un triple garage, heureuse de constater qu'il n'y aucune autre voiture à proximité. Elle espérait être la première candidate sur les lieux.
Cassie arpenta le chemin jusqu'à l'énorme porte d'entrée en bois. Elle sonna à la porte et entendit le carillon retentir dans la maison.
Elle s'attendait à ce qu'une gouvernante ou une assistante lui ouvre, entendit des talons hauts claquer, la porte s'ouvrit en grand quelques instants plus tard sur une femme d'une quarantaine d'années, à l'air autoritaire.
Elle mesurait quinze centimètres de plus que Cassie, grâce à une paire de magnifiques bottes en cuir bleu paon à talons. Ses cheveux bruns cascadaient joliment sur ses épaules. Elle portait un gros collier et des bracelets en or.
" Buongiorno ," dit-elle d'un ton autoritaire. "C'est pour le poste de fille au pair ?"
"Bonjour. Oui, je m'appelle Cassie Vale. Je suis en avance. La personne m'avait dit quatorze heures trente mais je craignais d'être en retard."
Cassie s'empressa de se taire, la nervosité la faisait bafouiller.
La femme semblait satisfaite qu'elle soit en avance. Ses lèvres parfaitement maquillées esquissèrent un sourire.
"La ponctualité est la moindre des politesses. J'insiste sur ce point, pour moi et mes employés. Je vous remercie de votre courtoisie. Ottavia Rossi. Entrez, je vous prie."
Elle lui emboîta le pas, touchée à l'idée d'avoir fait bonne impression, cette femme l'intimidait.
Cassie remarqua de nombreux objets d'art très colorés dans l'immense entrée. Les tableaux aux couleurs vives, les vases et superbes tapis chatoyants, la maison ressemblait à une galerie d'art moderne, mais accueillante.
Un grand escalier de marbre blanc menait à l'étage.
Un stiletto rouge vif d'un mètre de haut, au design audacieux, trônait à droite de l'escalier.
Mme Rossi sourit devant le regard de Cassie.
“Notre modèle "Nina", grâce auquel Rossi Shoes a acquis une renommée internationale dans les années 70. Le design était très avant-gardiste pour l'époque, la couleur avait fait scandale—mais pas suffisamment pour dissuader les acheteurs."
"C'est magnifique," déclara Cassie.
Ottavia Rossi était à la tête de cette entreprise internationale fondée dans les années 70, probablement une entreprise familiale pérenne.
Mme Rossi monta l'escalier et prit un couloir. Cassie se pencha et aperçut, sous un plafond voûté, un grand salon moderne et une cuisine étincelante où s'affairait une cuisinière.
Le couloir donnait sur une porte fermée. Elle l'ouvrit et fit entrer Cassie.
Cette pièce élégante était le bureau de Mme Rossi. Elle s'assit à la table blanche incurvée et fit signe à Cassie de s'installer en face.
Cassie se rendit soudainement compte qu'elle était arrivée les mains vides. Elle n'avait pas préparé de CV, imprimé ses coordonnées ni fait de photocopie de son passeport et son permis de conduire. Elle les lui demanderait certainement. Cassie était pétrifiée, elle avait complètement oublié.
"Je suis sincèrement désolée. Je suis arrivée en Italie depuis peu et n'ai pas encore mis mon CV à jour. Cette offre d'emploi était inespérée, je suis venue afin d'en savoir plus."
À son grand soulagement, Mme Rossi opina du chef.
"Je comprends. Je voyageais énormément à vingt ans—c'est bien votre âge, je me trompe ?"
Cassie acquiesça. "Oui. Je peux vous montrer mon passeport si vous voulez."
"S'il vous plaît."
Mme Rossi feuilleta brièvement le passeport et le rendit à Cassie.
"J'aimerais avoir un résumé de vos précédents postes."
Cassie était au plus mal, elle ne pouvait fournir aucune référence pour les postes qu'elle prétendait avoir exercé en Europe. Son premier patron, inculpé de meurtre, ne risquait pas de lui faire de la publicité— Cassie était persuadée qu'il essaierait de lui faire porter le chapeau, insisterait sur le fait d'avoir été accusé à tort.
Son deuxième employeur était mort assassiné, alors que Cassie était à son service. Personne dans cette famille ne lui donnerait de références. Ce n'était pas un désastre, mais une catastrophe.
Cassie prit place en silence, elle cogitait à toute allure. Elle savait que Mme Rossi s'attendait à ce qu'elle se présente, que toute hésitation soulèverait des questions, mais ne savait quoi dire.
Le mot "meurtre" découragerait tout employeur potentiel. Quelles que soient les circonstances, ils décideraient que le jeu n'en valait pas la chandelle.
Cassie ne pouvait pas leur en vouloir. Elle se demandait si elle portait la poisse—ou si ses décisions n'étaient pas la cause de ces terribles accidents.
Sa seule chance était de passer sous silence sa récente expérience et se concentrer sur son travail aux États-Unis.
Elle s'éclaircit la gorge et se lança.
"Je suis partie de chez moi à l'âge seize ans et suis entrée à l'université, je travaillais en tant que serveuse."
Elle ne s'étendit pas sur les raisons de son départ, elle espérait que son indépendance et son autonomie impressionnerait Mme Rossi. À son grand soulagement, la chef d'entreprise opina du chef.
"J'ai donné des cours pendant cette période, j'aidais de jeunes enfants dans leurs études, j'ai travaillé dans une crèche un temps, un remplacement de congé maternité. J'ai mon permis de travail en règle, je peux vous le montrer sur mon téléphone. J'ai une lettre de recommandation du restaurant dans lequel j'ai travaillé deux ans, je suis fiable, assidue et fais tout pour satisfaire le client."
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