Жюльетта Бенцони - Suite italienne
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Évidemment, les goûts du pape se tournaient plutôt vers la Napolitaine étant donné les bonnes relations qu’il s’efforçait de garder avec sa parenté, mais avec elle, les choses furent vite réglées : Charlotte d’Aragon éclata tout uniment de rire au nez du roi quand il lui proposa d’épouser César :
— Moi, épouser cet homme ? Jamais !
— Mais pourquoi ? Il est jeune, aimable, séduisant, fort riche, il peut plaire.
— Pas à moi, Sire ! Ni d’ailleurs à aucune fille véritablement royale. En ce qui me concerne, je ne me soucie pas que l’on m’appelle « la Cardinale »… et je crois que je ne suis pas seule de cet avis.
Ce que la jeune fille ne dit pas, c’est qu’elle avait une autre bonne raison de refuser César : elle aimait profondément le jeune Guy de Laval, qui le lui rendait bien.
On se tourna donc vers la seconde Charlotte, mais cette fois, pour être bien certain de ne pas entendre le même son de cloche, Louis XII, que cette histoire de mariage commençait à ennuyer, envoya un ambassadeur auprès d’Alain d’Albret afin d’apprendre de quel œil il verrait le mariage de sa nièce avec le fils du pape.
La réponse se fit quelque peu attendre. Si écartée des grands courants politiques que fût la Navarre, on n'y tenait tout de même au courant, et la détestable réputation de César était parvenue jusque-là. Pas plus qu’un autre, Alain d’Albret n’envisageait joyeusement de voir sa nièce épouser un ancien prêtre, fils de prêtre, Soupçonné par-dessus le marché d’avoir assassiné son frère et d’être l’amant de sa sœur.
Mais depuis la montée au pouvoir des souverains catholiques, la Navarre, coincée entre la France et l’Espagne, ne pouvait plus guère se montrer difficile. Le pape promettait de l’or, beaucoup d’or, pour ce mariage, et Alain d’Albret avait besoin d’or autant qu’un autre. Il finit, non sans soupirer, par donner son consentement, mais à la condition expresse que la jeune fille fût d’accord, et d’accord sans contrainte.
— Si Charlotte accepte, mon consentement lui est acquis.
Ce n’était donc qu’une demi-victoire pour César. Restait à convaincre la jeune fille et rien n’indiquait que ce pourrait être facile.
Le lendemain du jour où un messager vint apporter à Chinon la réponse du régent de Navarre, un autre cavalier, couvert de poussière, mettait pied à terre devant le portail du nouveau couvent de l’Annonciade à Bourges. L’heure était tardive et il lui fallut attendre longtemps avant que la figure effarée d’une nonne apparût au guichet.
— De par le roi ! dit l’homme. Un message urgent pour Son Altesse royale, Madame la duchesse de Berry.
L’homme portait sur la poitrine les fleurs de lys royales et la tourière, sans discuter, s’en alla prévenir la maîtresse du couvent, Madame Jeanne de France, reine répudiée, à qui son époux avait accordé ce titre de duchesse de Berry. Un moment plus tard, le messager pliait le genou devant une femme laide et contrefaite, mais dont le clair regard était bleu et pur comme un ciel d’été. Il lui tendit un rouleau de parchemin d’où pendait un grand sceau.
Sans un mot, la fille de Louis XI lut la lettre puis, congédiant le messager, ordonna qu’on le conduisît aux cuisines et que l’on réveillât sa cousine, la princesse Charlotte d’Albret, qui séjournait alors auprès d’elle.
Demeurée seule, Jeanne appuya sa tête voilée de noir au dossier raide de son haut fauteuil. Ses yeux, rougis par les veilles et les larmes, allèrent chercher, au mur de pierre nue, le grand crucifix de bois sombre comme pour lui demander secours, car ce qu’il lui fallait maintenant annoncer à Charlotte représentait une nouvelle étape dans son calvaire personnel.
Un léger grattement à sa porte la tira de sa méditation. Vêtue d’une robe blanche toute monastique, une fragile jeune fille blonde, dont les cheveux tombaient plus bas que ses reins, entra à son appel et vint s’agenouiller auprès d’elle.
— J’ai des nouvelles pour vous, Charlotte, dit Jeanne en étouffant un soupir. Le régent, votre oncle, vient d’accorder son autorisation à votre mariage avec le seigneur César Borgia, duc de Valentinois. Il vous faut rentrer sur l’heure à Chinon où la… reine vous demande.
Un éclair de colère traversa les yeux sombres de la jeune fille.
— Je ne veux pas y aller ! Je ne veux pas retourner à Chinon. Je veux rester auprès de vous.
Depuis qu’elle était arrivée à la cour de France pour y acquérir un vrai ton de princesse, Charlotte s’était attachée à la douce Jeanne, infirme et si malheureuse, elle l’aimait pour sa bonté, sa charité et sa compréhension de toutes choses. Certes, elle avait eu de l’amitié pour Anne de Bretagne, sa parente, dont elle était devenue fille d’honneur au moment de son mariage avec Charles VIII, mais c’était Jeanne qu’elle avait aimée, pour la sainteté qui émanait d’elle comme une lumière et qui séduisait son jeune esprit un peu mystique.
Quand était intervenu le divorce, son sang navarrais avait bouilli dans ses veines et il bouillait encore à cette heure à la vue de l’ingrat visage aux yeux las, plus menu et plus jaune encore au voisinage de la guimpe de toile blanche qui l’enserrait. Avec quelle joie Charlotte eût tordu le cou du roi Louis XII et aussi de ce pape effarant qui avait permis tant de malheur et prétendait devenir son beau-père.
— Il faut obéir, Charlotte, murmura Jeanne. Vous le devez…
— Je le dois ? et à qui donc ? Ce Borgia, ce cardinal défroqué dont on dit qu’il a tué son frère et qu’il aime trop sa sœur, me fait horreur ! Peu m’importe de désobéir au pape, au roi ou à quiconque. En refusant un mariage sacrilège, c’est à Dieu que j’aurai conscience d’obéir, parce qu’il ne peut vouloir une telle chose.
V
Le mariage de César
Charlotte d’Albret pleurait maintenant, écroulée aux pieds de Jeanne de France, s’accrochant à elle comme à sa dernière branche de salut, réclamant le droit d’entrer elle aussi en religion et d’opposer la porte sainte du cloître à l’indécente demande en mariage d’un cardinal défroqué.
La princesse laissa passer l’orage, se contentant de caresser doucement la tête blonde réfugiée sur ses genoux. Ce fut seulement quand les sanglots se firent moins convulsifs qu’elle murmura, dans un soupir :
— Vous ne pouvez refuser au roi de rencontrer, au moins une fois, le seigneur duc de Valentinois, ma mie. Ne savez-vous pas que l’obéissance est le premier devoir d’une fille de Dieu ? Le roi ordonne que vous rentriez à Blois, et je n’ai aucun moyen de refuser… vous non plus.
— Pourquoi pas ? Je veux aller à Dieu. Il n’ira tout de même pas, lui, jusqu’à m’arracher de force au couvent.
— Vous n’êtes pas professe et jusqu’à présent, vous êtes fille d’honneur de la reine Anne. Vous devez obéir. Allez à Blois, Charlotte, ajouta-t-elle plus doucement, et acceptez de voir le seigneur César ! Comment pouvez-vous affirmer, sans l’avoir vu, qu’il ne vous plaira pas ?
Brusquement, Charlotte rougit et détourna la tête pour que Jeanne ne s’en aperçût pas car, justement, elle avait déjà rencontré l’homme qu’on lui destinait. Mais comment raconter à la pure, à la pieuse et sainte Jeanne ce qui s’était passé, un soir de février, dans l’enceinte du château de Loches, entre l’église Saint-Ours et le Logis du Roi ?
C’était peu de temps après qu’Anne de Bretagne fut redevenue reine de France. Charlotte, ayant regagné la Bretagne à sa suite, avait repris, sans enthousiasme excessif le service qu’elle avait exercé au temps de Charles VIII, lequel n’avait rien de particulièrement réjouissant, car si la duchesse-reine était jeune et belle, elle était sévère en proportion, et tenait ses filles d’honneur dans une surveillance plus étroite que celle d’un moutier. Ainsi était-il interdit à ces jeunes filles de sortir du château, excepté pour se rendre à l’église voisine, et généralement sous la surveillance de femmes plus âgées.
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