Жюльетта Бенцони - La Chimère d’or des Borgia
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Juliette Benzoni
La Chimère d’or des Borgia
Éditions France loisirs
Aux « Filles des Grands Chemins »
Frédérique AZNAG
Linda COMPAGNONI-WALTHER
Claudia COMPAGNONI-GIBB
et Hélène ROUILLE
qui me sont si chères !
Prologue
Atlantique Nord – dimanche 14 avril 1912, ciel clair, mer calme, minuit. Depuis quelques minutes, et quelques heures avant son arrivée à New York, le Titanic , le splendide paquebot de la White Star Line, est frappé à mort et va terminer là une traversée inaugurale qui s’annonçait triomphale. Mais il ne le sait pas encore.
Il y a tout juste vingt minutes que la vigie, Frederick Fleet, a signalé à la passerelle :
— Iceberg, droit devant !
Puis il s’est cramponné pour étaler le choc de la montagne de glace surgie soudain de l’obscurité comme un fantôme mais, juste avant la collision, le marin a vu, avec soulagement, la proue du navire dévier sur bâbord et l’iceberg défiler le long du flanc tribord. Et il a exhalé un énorme soupir…
À l’intérieur, on n’avait ressenti qu’une secousse légère. Si anodine que, dans les cuisines, elle n’avait provoqué que la chute des petits pains que l’on préparait pour le breakfast du lendemain. Dans le fumoir, on ne ressentit rien du tout. On jouait aux cartes et l’un des participants, apercevant la masse blanche à travers les grandes vitres, demanda en plaisantant que l’on aille sur le pont lui chercher un peu de glace pour son whisky. Et de rire ! On constata simplement que le navire avait stoppé. Sans doute pour une manœuvre…
En fait le Titanic porte sur le flanc une blessure inguérissable : l’iceberg a déchiré sur 90 mètres la – double ! – coque renforcée qui, comprenant de nombreux compartiments étanches, devait le rendre insubmersible. L’eau s’est engouffrée dans la salle de squash, celle du courrier et d’autres encore sans que l’on ait eu le temps de faire jouer les cloisons. En outre, si les passagers des ponts supérieurs n’ont rien senti, tous les occupants des profondeurs du navire ont subi un choc violent. Bien que le commandant Edward Smith et Thomas Andrews, le constructeur du Titanic , se soient précipités pour effectuer une visite complète du bâtiment, la réalité leur est vite apparue aveuglante : le plus beau bateau du monde est perdu irrémédiablement.
— Combien de temps nous donnez-vous ? demande le commandant.
— Une heure… une heure et demie peut-être. Pas plus…
— Alors il faut évacuer !
Or là se pose un problème. Si le Titanic transporte 2 206 personnes, il ne dispose que de 16 canots en bois et 4 en toile pliable : soit 1 178 places. Il faut du secours. Plusieurs navires sont sur l’Atlantique cette nuit-là, à des distances variées. Le plus proche est le Carpathia de la Cunard Line. C’est à lui que le radio Philipps envoie l’appel suivant : « CQD. CQD. SOS. SOS CQD. SOS. Venez immédiatement à notre secours. Avons heurté iceberg. Position 41° 46 latitude N, 50° 14 longitude O. »
La réponse parvient aussitôt. Le Carpathia croise à 58 milles et arrive « à toute vitesse ». En espérant qu’il rejoindra à temps, on va déjà charger les canots.
Mais si les passagers de l’entrepont et de troisième classe qui, eux, ont compris se précipitent sur le pont E, c’est toute une histoire de faire sortir les classes supérieures de leurs lits bien chauds ou de leurs parties de cartes. En effet, le bateau ne bouge plus et donne l’impression d’être aussi solide qu’un rocher. Croyant à une sorte d’exercice d’alerte, ils se sont rassemblés sans hâte excessive sur le pont des embarcations. Dans le grand salon, l’orchestre jouait « Alexander ragtime band ». L’affolement survint quand, à cette foule engoncée dans ses gilets de sauvetage, le commandant annonça que, faute de places suffisantes, on embarquerait les femmes et les enfants en priorité, les hommes ensuite, ce qui en condamnait un bon nombre si le Carpathia ne rejoignait pas à temps. Il y en eut pourtant pour oser forcer le passage comme… lord Ismay, président de la White Star Line ! Mais il y eut aussi des exemples touchants, tel celui de ce vieux couple des plus fortunés, refusant de se séparer et allant tranquillement s’asseoir, la main dans la main, dans des transats… tandis que l’ordre était donné de lancer les fusées de détresse…
Quelqu’un les a vues. Il y avait, en effet, pas loin de là, le paquebot Californian , à 19 milles, mais à cause des icebergs, il avait stoppé ses machines et le radio était parti se coucher. Quant à l’officier de quart, il remarqua que le ciel s’illuminait au-dessus de ce navire qui semblait immobile et lui aussi se demanda pourquoi il s’amusait à envoyer des fusées alors qu’il n’avait pas l’air en danger…
Pendant ce temps, une jeune femme de chambre, Helen Adler, parcourait les coursives du pont C desservant les cabines de luxe afin de s’assurer que personne n’y était à la traîne. Quelques personnes âgées pouvaient avoir besoin de secours. Helen, solide Anglaise de vingt ans née dans le Kent, aimait un métier où elle excellait parce qu’elle y voyait autre chose que l’art de veiller sur des garde-robes somptueuses, de réussir une coiffure ou de mettre en valeur les femmes qu’elle était appelée à servir. Sa dernière patronne, lady Boscover, venant de mourir sans descendants, elle s’était présentée à l’embauche du Titanic afin d’élargir un peu son horizon et de voir du pays.
Sur le bateau elle avait en charge deux suites. L’une occupée par le couple dont tout le monde parlait à bord : celui formé par le richissime John Astor IV, âgé de quarante-huit ans, et sa toute jeune femme, Madeleine, qui n’en comptait que dix-huit, épousée sur un coup de foudre réciproque après un divorce retentissant d’avec celle qui était sans doute la plus belle et la plus insupportable des filles de la haute société américaine, Ava Lowle-Willing, dont il avait trois enfants. Les nouveaux mariés revenaient de leur voyage de noces en Europe et Madeleine était enceinte.
L’autre passagère était une dame seule et d’un certain âge : la marquise d’Anguisola, née Belmont. Elle avait perdu son mari quelques années auparavant et, sans enfants, partageait son temps entre son hôtel new-yorkais et sa villa des environs de Rome. Au demeurant, une femme de caractère encore que tout à fait charmante.
Au milieu du tohu-bohu qui régnait sur le navire, Helen avait vu Astor emmener sa femme. Restait la marquise. Helen aperçut alors une jeune femme qu’elle ne connaissait pas. Très belle et enveloppée de vison, elle sortait de la cabine de Mme d’Anguisola dont elle referma la porte à clef avant de se perdre dans la foule du pont.
Prise d’un bizarre pressentiment – la vieille dame possédait de fort beaux bijoux ! –, Helen voulut ouvrir la porte mais la clef avait disparu. Elle prit alors son passe, traversa le salon et entra dans la chambre : la marquise habillée pour sortir gisait en travers du lit, les yeux grands ouverts, un poignard planté dans le cœur. Le coffre privé, dissimulé normalement derrière un tableau, était posé à côté d’elle, béant et vide…
Helen n’était pas fille à perdre la tête, même dans une telle situation. Elle se contenta de fermer les paupières de la morte et, oubliant totalement qu’elle se trouvait sur un navire en train de sombrer, partit à la recherche du commandant, ou tout au moins du commissaire de bord, afin de signaler le meurtre, mais elle se trouva propulsée par le flot humain vers les embarcations où John Jacob Astor la saisit au vol :
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