— Je suis persuadé qu’il existe une solution à cela. Mais laquelle ? Il y a peu d’années Vidal-Pellicorne et moi avons eu affaire à un type de ce genre ! Pire encore parce qu’il usait d’une bestialité peu ordinaire. Disons qu’il détenait un monstre dans sa poche, mais je vous raconterai cette aventure plus tard. Pour l’instant, tenons-nous en aux dernières nouvelles de Langlois.
— Ce qui est curieux d’ailleurs, dit Plan-Crépin, c’est qu’il soit encore question d’un rubis dans un pays où règne la légende d’une pierre beaucoup plus grosse que celle-ci !
— C’est Clothilde, au moins, qui vous a relaté l’histoire de la Vouivre ? s’enquit son frère.
— Naturellement ! répondit-elle. Pourquoi ne t’en es-tu pas chargé ?
— Oh, moi, les histoires de bonnes femmes ! Vas-y ! Tu adores cela !
Elle rosit sous les regards tournés vers elle :
— C’est vrai ! J’aime cette histoire qui n’est en réalité qu’un conte de fées. Il y a très, très longtemps vivait au pays la plus belle jeune fille qui soit. On ne savait au juste si c’était une dryade ou une naïade car elle vivait au fond des forêts entre une source et une cascade. Elle était d’une beauté fabuleuse et portait au front un diadème où brillait un énorme rubis. Le plus gros, le plus pur qui se puisse voir. Les hommes en rêvaient presque autant que de sa beauté mais on ne savait rien d’elle, sinon qu’elle aimait se baigner dans les sources, les cascades, les lacs, toutes les eaux qui jaillissent de notre beau pays comtois. Toutefois, avant d’entrer dans l’eau, elle prenait soin d’ôter sa tunique scintillante et de poser dessus son diadème…
— Elle se laissait voir et approcher ? s’étonna Aldo. C’est plutôt rare dans les légendes ?
— Elle n’avait rien à craindre. Quiconque eût tenté de la toucher ou de s’emparer du rubis aurait eu à affronter tous les serpents de la contrée mystérieusement rassemblés…
— Pouah ! s’écria Adalbert. J’ai ces bestioles-là en horreur ! Je crois que je tomberais raide mort si l’un d’eux s’approchait de moi !
— Il y en a pourtant une flopée en Égypte, ironisa Aldo. Comment t’en arranges-tu ?
— J’ai le choix entre prendre mes jambes à mon cou ou lui tirer une balle de revolver… à condition que j’en aie le temps ! Et ne rigole pas bêtement ! Rien qu’à son contact, le cœur pourrait me lâcher. Le seul dont je supporte la vue est l’uræus d’or du « pschent », la coiffure des pharaons, et encore ! Pourvu qu’il soit convenablement stylisé et point trop réaliste !
Un éclat de rire général salua cette confession. Seul Hubert de Combeau-Roquelaure n’y prit pas part et grommela :
— Il n’y a vraiment pas de quoi se moquer. C’est comme le vertige, on n’y peut rien ! Sans aller jusqu’au boa constrictor, ils sont universellement présents principalement dans les coins humides de nos campagnes, et j’ai eu un élève en Fac, un garçon de vingt ans, solide et tout, qu’une crise cardiaque a emporté en moins de deux parce que, au cours d’une partie de campagne, il s’était endormi et qu’au réveil il a vu ramper sur ses jambes une innocente couleuvre !
On pouvait difficilement exploser de joie devant cette conclusion et Mlle Clothilde, en bonne maîtresse de maison, se hâta de changer de conversation en interrogeant Adalbert sur ses dernières fouilles en Égypte.
— Pour l’instant, je ne fouille pas, ayant entrepris d’écrire un livre sur les reines-pharaons, mais c’est comme un fait exprès, il suffit que je veuille me mettre à l’ouvrage pour qu’une affaire quelconque…
— Quelconque ? coupa Aldo. Je te trouve bien dégoûté touchant nos agissements communs !
— Une affaire sérieuse, là ! Tu es content ? Si j’osais, Mademoiselle Clothilde, je reprendrais volontiers de ce gâteau au chocolat ? Il est divin !
— Mais comment donc !
Noblesse oblige, c’est à la Sous-Préfecture qu’ils retrouvèrent Langlois, la maîtresse des lieux ne supportant pas qu’une notabilité quelle qu’elle soit descende à la Poste alors qu’elle disposait d’une demeure aussi ancienne qu’élégante. Comme en dépit de son snobisme, c’était une charmante femme, il se contenta de préciser qu’il s’agissait d’un aller-retour et qu’il ne pourrait être question d’organiser un dîner ou autre festivité en son honneur : il était en service. Du coup, il eut droit non seulement à la plus belle chambre mais aussi à un bureau où tout était capitonné de cuir et les portes munies de bourrelets.
— Seigneur ! admira Adalbert en y pénétrant. On serait au Deuxième Bureau qu’on ne serait pas mieux protégés !
— Cela vient d’un Sous-Préfet d’il y a quelques années qui tenait à ce que rien ne transpire des entretiens qu’il pouvait avoir avec diverses personnalités. On était alors en guerre et Pontarlier, ville frontière, était plus importante que jamais.
Le patron de la PJ reçut les deux amis avec une cordialité… soucieuse :
— J’espère que vous avez de bonnes nouvelles pour moi, car en ce qui me concerne, celles que j’apporte ne sont pas des meilleures.
— L’ex-baronne Waldhaus est morte ? s’inquiéta Aldo.
— Non, mais les médecins ne sont guère optimistes. Il se peut qu’elle survive à l’accident mais, blessée surtout à la tête, il est possible qu’elle reste très amoindrie. Quand elle parle, ce sont des mots sans suite qui résonnent parfois bizarrement.
— Que disent les médecins ?
— Ils sont dans le bleu. Elle peut retrouver un langage intelligible du jour au lendemain, mais rien n’est moins certain !
— Il faudrait quand même prévenir sa mère et si vous voulez…
— C’est fait. Votre beau-père qui semble se plaire décidément à Rudolfskrone propose de l’amener à son chevet en deux coups d’avion, puisque apparemment c’est devenu son moyen de locomotion préféré. En outre, il semble s’être pris d’amitié pour elle, ce qui n’a pas l’air de déplaire à ses hôtesses. À ce propos, ajouta-t-il avec un sourire, votre épouse aimerait savoir si elle a une chance de vous revoir avant Noël ? Je me demande bien pourquoi ?
— Elle aime les coups de vent ! fit Adalbert.
— Eh bien, elle est servie ! Ne le prenez pas mal, Morosini, ce n’est qu’une plaisanterie ! Elle comprend parfaitement quelle tranquillité d’esprit représente Rudolfskrone pour vous comme pour ses habitantes. D’ailleurs, j’ai une lettre à vous remettre.
Aldo remercia d’un sourire et la glissa dans sa poche tandis que le policier reprenait :
— Venons-en aux événements d’ici ! J’en ai une idée par ce que m’ont appris mes hôtes : Vaudrey-Chaumard aurait fichu à la porte des invités ?
— Ne faites pas l’innocent, Monsieur le Commissaire Principal ! fit Adalbert. Vous en savez sûrement un peu plus ou alors notre frétillante Sous-Préfète a perdu ce pouvoir de description qui est l’un de ses plus grands charmes ?
— Non. Le récit émane de son époux qui, lui, est un homme mesuré. Il s’est limité aux faits : M. de Regille, un vieil ami de Vaudrey, est venu à la fête avec sa fille, Marie. Tous deux étaient invités le plus régulièrement qui soit. Celui qui ne l’était pas était le fiancé de la demoiselle : Karl-August von Hagenthal, à qui il semble avoir nombre de méfaits à reprocher.
— Et son fils était-il invité ?
— Hugo ? Naturellement. On n’a pour lui que des éloges dans la maison. Une sorte de moine-chevalier qui ressemble en outre au Téméraire !
— De quoi faire rêver les femmes ?
— Plus que vous ne sauriez croire ! approuva Aldo en détournant la tête pour allumer une cigarette.
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