Anne Golon - La route de l'espoir 1

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La route de l'espoir 1

Anne et Serge Golon

La série 01 Angélique marquise des anges 1 02 Angélique marquise des - фото 1

La série

01 : Angélique, marquise des anges 1

02 : Angélique, marquise des anges 2

03 : Le chemin de Versailles 1

04 : Le chemin de Versailles 2

05 : Angélique et le roi 1

06 : Angélique et le roi 2

07 : Indomptable Angélique 1

08 : Indomptable Angélique 2

09 : Angélique se révolte 1

10 : Angélique se révolte 2

11 : Angélique et son amour 1

12 : Angélique et son amour 2

13 : Angélique et le Nouveau Monde 1

14 : Angélique et le Nouveau Monde 2

15 : La tentation d'Angélique 1

16 : La tentation d'Angélique 2

17 : Angélique et la démone 1

18 : Angélique et la démone 2

19 : Angélique et le complot des ombres

20 : Angélique à Québec 1

21 : Angélique à Québec 2

22 : Angélique à Québec 3

23 : La route de l'espoir 1

24 : La route de l'espoir 2

25 : La victoire d'Angélique 1

26 : La victoire d'Angélique 2

Première partie

Prodiges sur Salem

Chapitre 1

Angélique regarda avec compassion l'adolescent qu'un garde, coiffé d'une sorte de plat à barbe en acier, le casque anglais, introduisait sans ménagement dans la salle du conseil, en le poussant du bois de sa hallebarde.

Elle pouvait comprendre l'émoi de ce jeune fermier des frontières, arraché à ses labours et à ses moutons et projeté devant un aréopage de graves docteurs vêtus de noir, à rabats blancs, assemblés autour d'une table massive sous les lambris d'une salle plus sombre encore que leurs vêtures. Il devait y faire le récit de l'affreux massacre, perpétré là-haut, du côté des vertes montagnes, au cours duquel il avait perdu tous les siens.

Ses yeux clignotants, ne voyant tout d'abord que ces faces très blanches et sévères dont les regards étaient fixés sur lui, s'attachèrent à ce seul visage de femme qui avait une expression de bonté.

Et, comme il discernait aussi que cette grande dame très belle dissimulait sous les plis d'un grand manteau de soie les signes d'une prochaine maternité, sa gorge se noua, une boule lui remonta dans le gosier, car elle lui rappelait sa pauvre mère qui, presque chaque année, portait et mettait un enfant au monde. Mais cette vue et ce souvenir lui donnèrent le courage d'entreprendre sa narration et de répondre aux questions qu'on commençait de lui poser d'une voix profonde, volontairement solennelle et lente, comme pour mieux l'impressionner. Il était prêt à tout dire.

– Comment te nommes-tu ?

– Richard Harper.

– D'où viens-tu ?

– D'Eden's Falls, sur la rivière Annonnosuc.

Il eut conscience des regards lourds échangés par ces messieurs de Salem. Maintenant, on l'examinait, le détaillant de la tête aux pieds, de sa chevelure couleur de paille hérissée, sa face brûlée par le soleil, jusqu'à ses pieds nus, blessés par les ronces et les pierres aiguës, dans de gros souliers qu'on lui avait prêtés. Et de nouveau, il appréhenda d'éclater en sanglots. Ses yeux pâles de petit Anglais se rivèrent de façon pathétique à ceux de cette femme, seule présente, qui lui rappelait sa mère, et au bout d'un instant son trouble se dissipa. Un rayon clair semblait venir des yeux de cette femme vers lui et il eut l'impression qu'elle lui adressait un sourire. Il fut prêt à donner son témoignage.

Cela durait depuis le matin.

La veille, Angélique et Joffrey de Peyrac, revenant d'un périple de près de deux mois le long des côtes de Nouvelle-Angleterre qui les avait menés jusqu'à New York, avaient jeté l'ancre dans le petit port de Salem.

Ils y revenaient en visite de bon voisinage et d'affaires. Mais ils avaient trouvé la petite capitale de la colonie anglaise du Massachusetts en effervescence et, sur les quais, notables et ministres groupés en une sombre assemblée pour les accueillir.

Les incursions des Français de Canada et de leurs alliés sauvages avaient repris, leur avait-on dit, contre les établissements du nord de la Nouvelle-Angleterre.

Et c'est pourquoi les responsables de ces États avaient demandé à leurs hôtes, dont on estimait la visite comme un signe de l'aide du Seigneur, d'assister au conseil extraordinaire qui allait se réunir pour juger de la situation.

En tant que voisins français et propriétaires d'établissements dans le Maine, considéré comme rattaché au Massachusetts, on se tournait vers le comte de Peyrac pour lui demander de rappeler aux autorités de Québec les promesses qu'elles lui avaient faites, et vers Angélique parce qu'on lui reconnaissait le pouvoir de retenir les chefs indiens, puisque la légende courait que les plus farouches lui obéissaient.

– Si vous parlez de Piksarett, le chef des Patsuiketts, sachez que j'ignore tout de lui depuis plus d'un an, se défendit-elle.

– Y avait-il des Français à la tête des hordes qui ont assailli les villages anglais ? demanda Joffrey. A-t-on aperçu un jésuite les menant au combat ?

Il fallait entendre des témoins. Dès l'ouverture de la séance, en la council house de Salem, on avait écouté les rescapés des massacres que les fermiers des collines avaient recueillis, souvent blessés ou mourants, et avaient amenés jusqu'à la côte.

Le premier avait été un fermier hagard et bégayant, encore sous le coup des terribles malheurs qui l'avaient frappé. Il n'avait rien vu, ni Français, ni jésuite, ni sauvages, car il était en voyage ce jour-là. Il n'avait retrouvé de son village et de sa maison que cendres et ruines noircies, ses vieux parents percés de flèches et scalpés, sa femme, ses enfants et ses serviteurs disparus, emmenés sans doute en captivité, là-haut, du côté des régions lointaines et inaccessibles du Saint-Laurent où les Indiens baptisés par les Français, ajoutant à l'horreur de leur paganisme idolâtre celle de se parer de croix et de chapelets papistes, les garderaient esclaves, et jamais plus on ne les reverrait.

Des larmes coulaient sur la face tannée du laboureur, ce qui paraissait agacer quelque peu les puritains représentants de Salem, car ils l'interprétaient comme un signe de refus des épreuves envoyées par la divine providence. De plus, tous ces gens venaient du Haut-Connecticut, héritiers des dissidents du Massachusetts qui, périodiquement, se déclaraient en désaccord avec les lois premières de la colonie, et s'en allaient fonder leur propre église sur les rives aux tentantes prairies du grand fleuve à l'ouest. Mais, naturellement, dès que les Indiens narragansetts ou les Waubénakis, dévalant du nord, les menaçaient, ces fous de liberté qui avaient trouvé lourde la férule des régents, se tournaient vers le Massachusetts et c'était aux habitants de Boston et de Salem d'organiser des expéditions punitives, comme il avait fallu le faire en 1637 pour les Péquots qui exterminaient les colons du Connecticut, plus récemment contre les Narragansetts.

Maintenant Richard Harper parlait, lancé comme un moulin, les yeux fixés sur Angélique dont la présence semblait lui insuffler la force d'aller jusqu'au bout.

Il fit le récit, désormais classique à force de s'être tant de fois répété, du réveil de la famille, un matin calme comme les autres, du groupe ennemi surgissant comme l'éclair, ravageant la cabane isolée, razziant quelques biens : armes, outils, vivres, et se saisissant des habitants de la maisonnée qui leur tombaient sous la main pour les entraîner en chemise, pieds nus, derrière eux.

– Il y avait quatre sauvages et deux Français, affirma-t-il.

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