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Bram Stoker: L'Enterrement Des Rats

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Bram Stoker L'Enterrement Des Rats

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Aussi nonchalamment que je pus, je pivotai légèrement sur mon tabouret afin de placer ma jambe droite bien sous moi. Alors, d’un saut soudain, tournant la tête tout en la protégeant de mes mains, et mû par l’énergie des chevaliers du Moyen Âge, je prononçai le nom de ma dame et me jetai contre le mur du fond de la cabane. Aussi vigilants qu’ils le fussent, la soudaineté de mon geste surprit tout autant Pierre que la vieille femme. Tandis que je fracassais les planches pourries, je vis la vieille femme déroutée se lever d’un bond comme une tigresse, et entendis son faible halètement de rage. Mes pieds se posèrent sur quelque chose qui bougeait, et, en sautant plus avant, je sus que j’avais mis mes pieds sur le dos de l’un de ces hommes couchés sur le ventre à l’extérieur de la cabane. Je m’étais écorché à des clous et à des échardes de bois, mais je n’étais pas blessé. À bout de souffle, je grimpai sur le monticule devant moi, entendant, tout en montant, la chute amortie de la cabane tandis qu’elle s’effondrait comme une masse.

L’ascension fut un cauchemar. Le tas, bien que peu élevé, était terriblement raide, et à chaque pas que je faisais la masse d’ordures et de cendres descendait avec moi et cédait sous mes pieds. La poussière s’élevait et m’étouffait, c’était écœurant, fétide, affreux; mais mon ascension était, je le pressentais, une question de vie ou de mort, et j’avançais péniblement. Les secondes me parurent durer des heures; mais les quelques secondes d’avance prises au départ, combinées à ma force et à ma jeunesse, me donnaient un grand avantage, et tandis que plusieurs silhouettes progressaient derrière moi, dans un silence profond plus menaçant que n’importe quel bruit, j’arrivai sans difficulté au sommet du monticule. Depuis lors, j’ai fait l’ascension du Vésuve, et alors que j’avançais péniblement sur cette pente morne parmi les fumées sulfureuses, le souvenir de cette nuit terrible à Montrouge me revint si vivement que je faillis presque m’évanouir.

Le monticule était l’un des plus élevés de cette région d’ordures, et tandis que je grimpais vers le sommet, cherchant mon souffle, le cœur battant comme un gros marteau, je vis au loin à ma gauche la pleine lueur rouge du ciel, et plus près le scintillement de lumières. Dieu merci! je savais maintenant où j’étais et où passait la route de Paris!

Pendant deux ou trois secondes, je fis une pause et regardai derrière moi. Mes poursuivants étaient encore bien en arrière, mais grimpaient résolument et dans un silence de mort. Au-delà, la cabane était une ruine, une masse de planches et de formes mouvantes. Je pouvais la voir aisément parce que des flammes en sortaient déjà. Les chiffons et la paille s’étaient de toute évidence enflammés à la flamme de la lanterne. Le silence, là encore! Pas un bruit! Ces pauvres vieux pouvaient au moins mourir comme il faut!

Je n’eus que le temps de jeter un bref coup d’œil, parce que, en promenant un regard circulaire autour de moi pour me préparer à descendre, je vis plusieurs formes sombres qui se rassemblaient de chaque côté afin de me barrer le chemin. Maintenant, c’était une course à la vie à la mort. Ils essayaient de m’empêcher de prendre la route de Paris, et alors, instinctivement, je descendis rapidement sur le côté droit. J’arrivai juste à temps, parce que, bien qu’il m’eût semblé descendre la pente en quelques pas, les vieillards rusés qui me regardaient firent demi-tour, et l’un d’entre eux, au moment où je me glissais dans l’espace ouvert entre deux tas devant moi, réussit presque à m’atteindre d’un coup de la terrible hache de boucher. Sûrement, il n’existait pas deux armes de ce genre dans les environs!

Alors s’engagea une chasse vraiment horrible. Je devançais facilement les vieillards, et, même lorsque quelques hommes, plus jeunes, et plusieurs femmes se joignirent à la chasse, je les distançai sans difficulté. Mais je ne connaissais pas le chemin, et je ne pouvais même pas me guider à la lumière dans le ciel parce que je courais dans l’autre sens. J’avais entendu dire que, à moins d’avoir une raison de faire le contraire, les hommes qui sont poursuivis tournent toujours à gauche, et c’est ce que je fis; et je pense que mes poursuivants le savaient aussi, eux qui étaient plus des animaux que des hommes, et qui, soit astuce, soit instinct, avaient découvert de tels secrets pour leur usage. Si bien que, terminant ma course rapide, après laquelle j’avais l’intention de reprendre mon souffle, tout à coup, je vis devant moi deux ou trois silhouettes qui contournaient l’arrière d’un tas à ma droite.

J’étais vraiment, maintenant, dans la toile d’araignée! Mais la pensée de ce nouveau danger fit naître en moi la ressource de la bête poursuivie, si bien que je descendis en prenant le chemin le plus proche à droite. Je continuai dans cette direction pendant une centaine de mètres, et puis, tournant à gauche de nouveau, compris que j’avais sans doute évité le danger d’être encerclé.

Mais pas celui de la poursuite, parce que venait sur moi la canaille, rangée, déterminée, implacable, et toujours dans un silence menaçant.

Dans l’obscurité plus profonde, les tas semblaient maintenant être plus petits qu’auparavant, bien que – parce que la nuit venait – ils parussent plus grands en proportion. J’étais maintenant loin devant mes poursuivants, et je grimpai rapidement sur le tas devant moi.

Ô bonheur des bonheurs! J’étais presque à la limite de cet enfer des ordures. Loin derrière moi, la lumière rouge de Paris éclairait le ciel, et montait derrière les hauteurs de Montmartre une lumière faible, avec ici et là des points brillants comme des étoiles.

Ma vigueur retrouvée après un moment, je sautai en courant sur les tas qui restaient, de taille de plus en plus petite, et me retrouvai plus loin sur un terrain plat. La perspective n’était toutefois pas rassurante. Tout devant moi était sombre et lugubre, et j’étais de toute évidence tombé sur un de ces terrains vagues marécageux au creux d’une dépression, et qu’on trouve ici et là près des grandes villes. Des lieux désolés, couverts d’ordures, dont l’espace permet d’entreposer en dernier recours tout ce qui est nuisible – la terre en est si pauvre qu’aucun squatter, même le plus misérable, n’a envie de l’occuper. Les yeux accoutumés à l’obscurité de la nuit, et loin maintenant de l’ombre de ces affreux tas d’ordures, je pouvais bien mieux voir qu’auparavant. La raison en était peut-être que les reflets dans le ciel des lumières de Paris, bien que la ville fût à quelques kilomètres de distance, se reflétaient également ici. De toute façon, je voyais assez bien pour me repérer, au moins à quelque distance autour de moi.

Devant moi se trouvait un terrain désolé qui semblait absolument plat, avec les reflets d’ombre disséminés des étangs stagnants. Apparemment, loin sur la droite, parmi un petit groupe de lumières éparpillées, se dressait la masse sombre du fort de Montrouge, et à gauche, plus loin, pointillées par les rayons épars des fenêtres des pavillons, les lumières dans le ciel indiquaient la localité de Bicêtre. Après avoir réfléchi un instant, je me décidai à prendre à droite pour essayer d’atteindre Montrouge. Là, au moins, je bénéficierais d’une sécurité relative, et il était possible que je pusse tomber bien avant sur quelques-uns des carrefours que je connaissais. Quelque part, pas très loin, devait se trouver la route stratégique, construite pour relier la chaîne extérieure des forts qui encerclent la ville.

Puis je regardai derrière moi. Traversant les tas d’ordures, se dessinant en noir sur la lumière de l’horizon, plusieurs silhouettes se déplaçaient, et j’en vis, un peu plus sur la droite, plusieurs autres se déployer entre moi et ma destination. Il était évident qu’ils voulaient me barrer la route dans ce sens, et ainsi mon choix devenait limité: il fallait soit continuer tout droit, soit continuer à gauche. Me penchant à terre afin de me fixer l’horizon comme ligne de mire, je regardai soigneusement dans cette direction, mais je ne pus détecter aucune présence de mes ennemis. Je me dis que, puisqu’ils ne défendaient pas ou n’essayaient pas de défendre cette position, il était évidemment dangereux pour moi d’aller là-bas. Aussi je décidai de continuer tout droit devant moi.

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