Gaal obéit et attendit que Seldon eût fixé la bobine dans le projecteur ; puis il ajusta les viseurs que lui tendait son hôte et regarda le film qui se déroulait devant ses yeux.
« Mais alors… commença-t-il.
— Qu’est-ce qui vous étonne ? demanda Seldon.
— Cela faisait deux ans que vous prépariez ce départ ?
— Deux ans et demi. Nous n’étions pas certains, évidemment, que le choix de Chen se porterait sur Terminus, mais nous l’espérions, et nous avons travaillé à partir de cette hypothèse.
— Mais pourquoi, docteur Seldon ? Pourquoi avez-vous voulu cet exil ? Ne serait-il pas plus facile de contrôler les événements de Trantor même ?
— Nous avions plusieurs raisons. En travaillant sur Terminus, nous bénéficierons de l’appui impérial sans que l’Empire puisse craindre que nous menacions sa sécurité.
— Mais alors, dit Gaal, vous n’avez éveillé ces craintes que pour contraindre la Commission à vous exiler. Je ne comprends toujours pas.
— Peut-être vingt mille familles ne seraient-elles pas allées de leur plein gré s’installer aux confins de la Galaxie.
— Mais pourquoi les obliger à partir si loin ? » Gaal attendit un instant une réponse, puis reprit : « Je n’ai peut-être pas le droit de savoir.
— Pas encore, dit Seldon. Il suffit pour le moment que vous sachiez qu’une colonie scientifique va être établie sur Terminus. Et qu’une autre ira s’installer à l’extrémité opposée de la Galaxie, disons par exemple, ajouta-t-il en souriant, à Star’s End, là où finissent les étoiles. Pour le reste, je vais mourir bientôt, et vous en verrez plus que moi… Non, non, faites-moi la grâce de ne pas être bouleversé ni de manifester votre compassion. Mes docteurs me disent que je n’en ai plus que pour un an ou deux. Mais j’aurai alors fait tout ce que j’ai voulu faire, et peut-on souhaiter sort plus enviable ?
— Et après votre mort, monsieur ?
— Eh bien, j’aurai des successeurs… vous, peut-être. Et ces successeurs sauront mener à bien le projet et déclencher au moment voulu et dans les circonstances voulues la révolte sur Anacréon. Après cela, il suffira de laisser les événements suivre leur cours.
— Je ne comprends pas.
— Vous comprendrez un jour. » Seldon avait l’air à la fois las et satisfait. « La plupart des chercheurs partiront pour Terminus, mais certains d’entre eux resteront. Ce sont là des questions faciles à régler. Quant à moi, conclut-il dans un souffle à peine perceptible, mon rôle est fini. »
DEUXIEME PARTIE
LES ENCYCLOPÉDISTES
TERMINUS : C’était un monde étrangement situé (voir la carte) pour le rôle qu’il fut appelé à jouer dans l’histoire galactique et pourtant, comme n’ont pas manqué de le faire remarquer nombre d’auteurs, il ne pouvait être situé ailleurs. Aux confins de la spirale galactique, planète unique d’un soleil simple, sans grandes ressources et sans possibilités économiques, Terminus ne fut colonisée que cinq siècles après sa découverte, quand les Encyclopédistes vinrent s’y installer…
Inévitablement, l’avènement d’une nouvelle génération allait faire de Terminus tout autre chose que le domaine réservé des psychohistoriens de Trantor. Avec la révolte anacréonienne et l’arrivée au pouvoir de Salvor Hardin, premier de la grande dynastie des…
ENCYCLOPEDIA GALACTICA
Lewis Pirenne était assis à sa table, dressée dans un coin de son bureau. Il fallait coordonner les travaux, organiser les efforts, donner une unité à leur entreprise.
Cinquante ans s’étaient écoulés ; cinquante ans pendant lesquels ils s’étaient installés et avaient fait de la Fondation encyclopédique n° 1 un organisme qui fonctionnait sans heurt. En cinquante ans, ils avaient amassé les matériaux, ils s’étaient préparés.
Cette partie-là du travail était terminée. Dans cinq ans serait publié le premier volume de l’œuvre la plus monumentale que la Galaxie eût jamais conçue. Puis, de dix en dix ans, avec la régularité d’un mouvement d’horlogerie, suivraient volume après volume. Chacun d’eux comprendrait des suppléments, des articles sur les événements d’intérêt courant ; jusqu’au jour où…
Pirenne tressaillit en entendant le bourdonnement de la sonnerie sur son bureau. Il avait presque oublié le rendez-vous. Il pressa le bouton d’ouverture de la porte et, du coin de l’œil, vit le battant s’ouvrir pour livrer passage à Salvor Hardin. Pirenne ne leva pas la tête.
Hardin réprima un sourire. Il était pressé, mais mieux valait ne pas se formaliser de la désinvolture dont Pirenne usait avec tout ce qui venait le déranger dans son travail. Il se carra dans le profond fauteuil réservé aux visiteurs et attendit.
Le stylet de Pirenne continuait à gratter la surface du papier ; à part cela, tout était immobile et silencieux. Hardin prit dans la poche de sa veste une pièce de deux crédits. Il la lança en l’air, et la surface polie d’acier inoxydable retomba en projetant mille reflets. Il la rattrapa et la lança de nouveau, tout en observant négligemment la trajectoire du petit disque. L’acier inoxydable était une excellente monnaie sur une planète où tous les métaux devaient être importés.
Pirenne leva les yeux en clignotant. « Arrêtez ! dit-il, agacé.
— Quoi donc ?
— De jouer à pile ou face comme vous faites.
— Oh ! » Hardin remit la pièce dans sa poche. «Prévenez-moi quand vous serez prêt, voulez-vous ? J’ai promis d’être de retour à la réunion du Conseil Municipal avant qu’on mette aux voix ce projet de nouvel aqueduc. »
Pirenne soupira, puis repoussa son fauteuil en arrière.
« Je suis prêt. Mais j’espère que vous n’allez pas m’importuner avec les affaires municipales. Réglez cela vous-même, s’il vous plaît. L’Encyclopédie me prend tout mon temps.
— Vous connaissez la nouvelle ? enchaîna Hardin sans se démonter.
— Mais encore ?
— La nouvelle que la station d’ultra-radio de Terminus vient de capter, voici deux heures ? Le gouverneur de la préfecture d’Anacréon a pris titre de roi.
— Comment ? Qu’est-ce que cela signifie ?
— Cela signifie, répondit Hardin, que nous sommes coupés des régions centrales de l’Empire. Nous nous y attendions, mais ce n’est pas plus agréable pour autant. Anacréon est juste sur la dernière route commerciale qui nous restait accessible vers Santanni, Trantor et même Véga ! Par où va-t-on nous faire parvenir nos métaux ? Depuis six mois, nous n’avons pas eu une seule cargaison d’aluminium, et maintenant, par la grâce du roi d’Anacréon, nous n’en recevrons plus du tout.
— Tss, tss, fit Pirenne. Tâchez d’en obtenir de lui, alors.
— Vous croyez que c’est facile ? Ecoutez, Pirenne, aux termes de la charte qui régit cette Fondation, le Conseil de l’Encyclopédie a reçu pleins pouvoirs en matière d’administration. Moi, en ma qualité de Maire de Terminus, j’ai tout juste le droit de me moucher, et peut-être d’éternuer si vous contresignez une autorisation écrite en ce sens. C’est donc à vous et à votre Conseil de prendre les mesures nécessaires. Je vous demande au nom de la ville – dont l’avenir dépend de la possibilité d’entretenir avec la Galaxie des relations commerciales ininterrompues – de convoquer une réunion extraordinaire…
— Assez ! Ce n’est pas le moment de prononcer un discours électoral. Voyons, Hardin, le Conseil d’Administration ne s’est jamais opposé à l’établissement sur Terminus d’un gouvernement municipal. Nous avons compris qu’il fallait le faire compte tenu de l’accroissement de la population depuis l’établissement de la Fondation il y a cinquante ans, accroissement de moins en moins lié aux besoins de l’Encyclopédie elle-même. Cela ne veut toutefois pas dire que le premier et le seul but de la Fondation ne soit plus de publier l’Encyclopédie définitive des connaissances humaines. Nous sommes un organisme scientifique patronné par l’Etat, Hardin. Nous ne pouvons pas – nous ne devons, et d’ailleurs nous ne voulons pas – nous mêler des questions de politique locale.
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