— Évidemment ! Si la Terre avait quelque chose à cacher, pourquoi aller l’expédier à plus d’un parsec de distance, quand on pouvait le dissimuler sur un monde situé à moins d’un cent millionième de la distance d’Alpha Centauri ? Et la Lune constituait une cachette bien meilleure d’un strict point de vue psychologique. Personne n’irait imaginer de la vie sur des satellites. Moi-même, je n’y ai pas songé. Même avec la Lune juste sous le nez, je continuais de battre la campagne du côté d’Alpha Centauri. S’il n’y avait pas eu Fallom… » Il pinça les lèvres, secoua la tête. « Je suppose que je devrais lui en savoir gré. Joie ne manquera pas de me le rappeler si je l’oublie…
— Mais enfin, mon bon, si quelque chose se dissimule sous la surface de la Lune, comment fait-on pour le trouver ? Cela doit représenter des millions de kilomètres carrés de superficie.
— Quarante, en gros.
— Et il faudrait explorer tout ça, en cherchant quoi ? Une ouverture ? Quelque espèce de sas ?
— Présenté ainsi, cela peut sembler une sacrée tâche, mais nous ne recherchons pas simplement des objets, Janov, nous recherchons de la vie ; et qui plus est, une vie intelligente. Et nous avons avec nous Joie, et détecter l’intelligence est son talent, n’est-ce pas ? »
Joie considéra Trevize, l’air accusateur : « Je suis finalement parvenue à la faire s’endormir. Ça n’a pas été sans mal. Elle était littéralement déchaînée. Par chance, je ne crois pas lui avoir fait subir de dommages.
— Vous pourriez déjà tenter de lui retirer sa fixation sur Jemby, dit Trevize, glacial, car je n’ai certainement pas l’intention de jamais retourner sur Solaria.
— Lui retirer sa fixation, comme ça, tout simplement ? Que savez-vous de ces problèmes, Trevize ? Vous n’avez jamais perçu un esprit. Vous n’avez pas la moindre idée de sa complexité. Si vous en connaissiez un minimum sur la question, vous ne parleriez pas de retirer une fixation comme s’il s’agissait simplement de piocher de la confiture dans un pot.
— Eh bien, enfin, au moins l’affaiblir.
— Je pourrais sans doute l’affaiblir très légèrement, au bout d’un mois de délicat détramage.
— Qu’entendez-vous par détramage ?
— Pour qui n’y connaît rien, c’est impossible à expliquer.
— Qu’allez-vous faire avec cette enfant, alors ?
— Je ne sais pas encore ; cela va exiger pas mal de réflexion.
— En ce cas, dit Trevize, laissez-moi vous dire ce que nous allons faire avec le vaisseau.
— Je sais ce que vous allez faire : retourner sur la Nouvelle-Terre et remettre ça avec l’adorable Hiroko si elle promet cette fois de ne pas vous infecter. »
Trevize resta impavide. « Non, justement. J’ai changé d’avis. Nous allons sur la Lune – c’est le nom du satellite, d’après Janov.
— Le satellite ? Parce que c’est ce que vous avez trouvé de plus proche ? Je n’y avais pas songé.
— Moi non plus. Ni personne. Nulle part dans la Galaxie ne se trouve un satellite digne qu’on y songe… mais celui-ci, par ses vastes dimensions, est unique. Qui plus est, l’anonymat de la Terre le couvre également. Celui qui ne peut trouver la Terre ne peut pas davantage trouver la Lune.
— Est-elle habitable ?
— Pas en surface mais elle n’est pas radioactive, absolument pas, donc elle n’est pas totalement inhabitable. Elle peut contenir la vie – elle peut même grouiller de vie, en fait – sous sa surface. Et, bien entendu, vous serez en mesure de nous le confirmer, une fois que nous serons assez près. »
Joie haussa les épaules : « J’essaierai… Mais, enfin, qu’est-ce qui vous a donné soudain l’idée d’essayer le satellite ?
— Une chose faite par Fallom lorsqu’elle était aux commandes », répondit tranquillement Trevize.
Joie marqua un temps comme attendant qu’il en dise plus, puis haussa de nouveau les épaules. « Quoi que ce soit, je soupçonne que vous n’auriez pas eu cette inspiration si vous aviez suivi votre impulsion en la tuant.
— Je n’avais pas du tout l’intention de la tuer, Joie. »
Joie agita la main. « D’accord. Soit. Nous dirigeons-nous vers la Lune, en ce moment ?
— Oui. A titre de précaution, je n’avance pas trop vite, mais si tout se passe bien, nous devrions être dans sa banlieue d’ici trente heures. »
La Lune était un désert. Trevize en observait la portion brillamment éclairée qui défilait lentement au-dessous d’eux. C’était un monotone panorama de cirques et de cratères, de zones montagneuses et d’ombres noires contrastant avec la lumière du soleil. Le sol présentait de subtiles variations de teinte et parfois quelques étendues plates de bonne taille, seulement défigurées par de petits cratères.
A mesure qu’ils approchaient de la face nocturne, les ombres s’allongèrent pour finalement se fondre ensemble. Durant un moment, derrière eux, les pics scintillèrent au soleil, telles de grosses étoiles, éclipsant de loin leurs semblables célestes. Puis, ils disparurent et ne resta plus dans le ciel pour éclairer la surface que la lumière plus faible de la Terre, vaste sphère blanc bleuté, un peu plus qu’à moitié pleine. Puis le vaisseau sema la Terre qui, à son tour, s’enfonça sous l’horizon, de sorte qu’au-dessous d’eux l’obscurité était totale, tandis qu’au-dessus ne brillait qu’un faible poudroiement d’étoiles, ce qui, pour Trevize, qui avait grandi sous le ciel vide de Terminus, était déjà un miracle en soi.
Puis de nouvelles étoiles brillantes apparurent devant eux, d’abord juste une ou deux, puis d’autres, s’étendant et se densifiant pour fusionner enfin. Et tout d’un coup ils franchirent le terminateur pour retrouver la face diurne. Le soleil se leva avec une splendeur infernale, tandis que la caméra vidéo s’en écartait aussitôt et cadrait le sol avec un filtre polarisant pour en atténuer l’éclat.
Trevize vit sans peine qu’il serait vain d’espérer découvrir un accès quelconque à l’intérieur habité de la planète (si une telle chose existait) par la simple inspection visuelle de cet astre parfaitement gigantesque.
Il se tourna donc vers Joie qui était installée à côté de lui. Elle ne regardait pas l’écran ; les yeux clos, elle donnait l’impression d’être affalée, plus qu’assise, sur son siège.
Tout en se demandant si par hasard elle ne s’était pas endormie, Trevize dit doucement : « Détectez-vous autre chose ? »
Joie secoua imperceptiblement la tête. « Non, murmura-t-elle. Il n’y a eu que cette bouffée infime. Vous feriez mieux de me ramener dessus. Saurez-vous où situer cette région ?
— L’ordinateur le sait. »
C’était comme de cadrer une cible, en modifiant la trajectoire jusqu’à ce qu’on l’ait retrouvée. La zone en question était encore nettement plongée dans la nuit et, mis à part la Terre, très bas dans le ciel, qui donnait à la surface entre les ombres une teinte cendreuse et spectrale, ils ne pouvaient rien distinguer, même après qu’ils eurent éteint l’éclairage du poste de pilotage pour accroître la visibilité.
Pelorat s’était approché et, du seuil où il se tenait, anxieux, il leur demanda, dans un murmure rauque : « Avez-vous trouvé quelque chose ? »
Trevize leva la main pour lui intimer le silence. Il observait Joie. Il savait que s’écouleraient des jours avant que la lumière solaire ne revienne éclairer cet endroit sur la Lune, mais il savait également que pour ce qu’elle essayait de détecter elle n’avait besoin d’aucune sorte de lumière. « C’est là.
— Vous êtes sûre ?
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