Kim Robinson - Mars la verte

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Mars la rouge… Les hommes ont débarqué sur un nouveau monde, qu’ils ont entrepris de modifier pour le rendre habitable. C’est une utopie à long terme : créer une atmosphère, changer les déserts et les cratères arides en prairies, la glace des pôles en fleuves, en mers.
Mais les hommes et les femmes ont changés, eux aussi. Depuis leur révolution, durement réprimée, de 2061, les Cent Premiers sur Mars se sont dispersés sur toute l’étendue de la planète. Certains, constructeurs de villes radieuses, vivent au grand jour sous la surveillance orbitale de l’ONU. D’autres ont rejoint l’
, la résistance, ses opérations de sabotage écologique, ses factions extrémistes, Mars-Unistes ou Rouges.
Tout peut à nouveau basculer dans la violence, et le rêve d’une Mars vivable et douce se transformer en cauchemar.
Mais pendant ce temps, sur Terre, entre toutes les multinationales avides, une seule a compris l’enjeu. Il faut libérer Mars. Avec ceux qui sont en train d’en faire Après
(récompensé par le prix Nebula), voici
qui a obtenu le prix Hugo en 1994.
Depuis toujours, Kim Stanley Robinson est fasciné par Mars, une planète qu’il a longuement étudiée, en étroite collaboration avec les services spécialisés de la NASA. Il est le chef de file d’une nouvelle « école » qui se qualifie de Real Science-Fiction, la science-fiction réelle (on pourrait même dire hyper-réaliste). Cette trilogie qui s’achèvera bientôt avec la publication de
, lui aura demandé dix-sept années de recherche et d’écriture.

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Durant cette première journée, un petit personnage à la peau sombre du nom de Hilali accompagna Nirgal en le tenant par la main. Ils allaient de salle en salle et Hilali interrompait les gens au travail pour leur présenter Nirgal. Tous se montraient chaleureux.

— Tu dois être l’un des gamins d’Hiroko, hein ? C’est toi Nirgal ? Je suis heureux de te rencontrer ! Hé, John, Coyote est ici : ça va être la fête, ce soir !

Ils lui firent visiter des salles plus petites, des installations fermières baignées de lumière, des ateliers et des usines qui se déployaient sur des distances incroyables, dans le cœur de la roche. Partout régnait une chaleur de sauna et Nirgal était en sueur.

— Où est-ce que vous avez mis tout le rocher que vous avez excavé ? demanda-t-il à Hilali.

Il se rappelait qu’Hiroko leur avait expliqué que l’un des avantages de la construction sous la calotte polaire était que la glace sèche qu’ils excavaient se sublimait tout simplement.

— Il a servi de remblai à la route, près du fond du mohole, lui apprit Hilali, visiblement ravi de cette question.

Comme de toutes les autres que Nirgal lui posait, d’ailleurs. Les gens de Vishniac semblaient tous heureux en général. Ils formaient une joyeuse bande qui accueillait régulièrement Coyote en faisant la fête – simple, se dit Nirgal.

Coyote les appela. Hilali répondit sur son transpondeur de poignet. Il conduisit Nirgal jusqu’à un laboratoire où on lui préleva un échantillon de peau sur un doigt. Puis, lentement, ils regagnèrent la grande caverne pour se mêler à la foule rassemblée devant les fenêtres de la cuisine, tout au fond.

Le repas de haricots et de pommes de terre était particulièrement épicé. La fête commença immédiatement après. Un orchestre de percussions, dont les membres en nombre variable tapaient sur des bidons en staccato, fit danser la foule durant des heures. De temps en temps, on ménageait une pause pour ingurgiter une atroce liqueur appelée kavajava ou jouer à toutes sortes de jeux sur un des côtés de la salle. Après avoir essayé le kavajava et avalé un cachet d’omegendorphe que lui avait donné Coyote, Nirgal joua des drums un instant, avant de s’asseoir sur un petit tertre herbeux, au milieu de la salle, trop ivre pour rester debout. Coyote n’avait pas arrêté de boire mais, lui, n’avait pas ce genre de problème. Il continuait à danser frénétiquement en riant.

— Hé, gamin ! lui lança-t-il. Tu ne connaîtras jamais la joie de ta propre pesanteur ! Jamais !

Les gens défilaient. Certains demandaient à Nirgal de leur faire la démonstration de son attouchement réchauffant, et un groupe de filles, qui s’étaient gelé les joues avec les glaçons de leurs verres, accueillit sa caresse en roulant des yeux avant de lui demander d’essayer de leur réchauffer d’autres parties plus intimes. Finalement, il se releva et se mit à danser avec elles, à la fois étourdi et maladroit, tournant en cercles étroits pour essayer de décharger une partie de son énergie. Quand il retourna sur son tertre, Coyote vint le retrouver et se laissa tomber lourdement à son côté.

— C’est formidable de danser sous cette pesanteur, lui dit-il. Je crois que je ne m’en lasserai jamais.

Il fixait Nirgal en louchant, ses dreadlocks grisonnants enchevêtrés, et Nirgal constata encore une fois que son visage semblait avoir craqué. Peut-être à la hauteur du maxillaire, parce qu’un côté était plus large que l’autre. En quelque sorte. Et il en eut la gorge serrée.

Coyote le prit par l’épaule et le secoua.

— Tu sais, mon garçon, on dirait bien que c’est moi ton père !

— Tu plaisantes !

Un véritable choc électrique se propagea le long de l’échine de Nirgal pour éclater sur son visage. Et ils se regardèrent, Nirgal s’émerveillant de constater à quel degré le monde blanc pouvait secouer le monde vert. Puis ils s’étreignirent.

— Non, je ne plaisante pas, dit Coyote.

Ils se regardèrent.

— Pas étonnant que tu sois aussi intelligent, ajouta Coyote avant de partir d’un rire fou. Hé, dis, j’espère que ça ne te contrarie pas, au moins !

— Mais non, fit Nirgal, qui se sentait pourtant mal à l’aise.

Il ne connaissait pas assez bien Coyote, et, pour lui, le concept du père était encore plus vague que celui de la mère, aussi n’avait-il aucune certitude quant à ses sentiments en cet instant. Il y avait l’héritage génétique, ça, il le savait, mais qu’est-ce que ça signifiait vraiment ? Ils prenaient tous leurs gènes quelque part, et ceux des ectogènes étaient transgéniques, de toute manière. C’était du moins ce qu’on leur avait expliqué.

Mais Coyote, tout en se répandant en jurons à propos d’Hiroko, semblait satisfait, lui.

— Ce monstre ! Ce tyran ! Matriarchie, mon cul ! Elle est cinglée, oui ! C’est vrai : elle m’étonnera toujours ! Mais, remarque, il y a une certaine justice dans tout ça. Oui, parce qu’Hiroko et moi, à l’aube des temps, quand nous étions encore jeunes, en Angleterre, nous formions un couple. Et c’est ce qui explique que je sois sur Mars aujourd’hui. Un passager clandestin bouclé dans son placard pendant toute sa putain de vie [18] Voir Mars la Rouge . (N.d.T.) ! (Il se remit à rire sauvagement en agrippant l’épaule de Nirgal.) C’est vrai, gamin, tu décideras plus tard si cette idée te plaît ou non.

Il retourna danser, laissant Nirgal réfléchir. En observant les pirouettes de Coyote, Nirgal ne put que secouer la tête : il ne savait pas vraiment quoi penser et, pour le moment, toute réflexion était incroyablement difficile. Mieux valait danser, ou se mettre en quête des bains.

Mais ici, ils n’avaient pas de bains publics. Il tourna donc encore un moment avec les autres avant de revenir sur son tertre préféré, où il fut très vite rejoint par Coyote et un groupe de Bogdanovistes.

— Hé, c’est comme si tu étais le père du Dalaï Lama ! lança quelqu’un. Tu as un nom pour ça ?

— Va te faire voir ! Comme je le disais, Ann prétend qu’ils ont cessé de forer ces moholes du 75° parce que la lithosphère est trop mince ici. Je veux aller jusqu’à l’un des moholes neutralisés, relancer les robots, et voir s’ils peuvent creuser assez profond pour démarrer un volcan.

Ils éclatèrent tous de rire. Sauf une femme, qui secouait la tête.

— Si tu faisais ça, Coyote, ils viendraient voir ce qui se passe ici. Mais si tu as vraiment l’intention de le faire, va vers le nord et attaque-toi à l’un des moholes du 60° de latitude. Eux aussi ont été neutralisés.

— Mais la lithosphère est beaucoup plus épaisse dans ce secteur, selon Ann.

— D’accord, mais les moholes sont aussi plus profonds.

— Hum, fit Coyote.

Mais quand ils quittèrent Vishniac une semaine plus tard, par un tunnel différent et plus long encore, ils firent route au nord. Coyote avait apparemment jeté à la corbeille tous ses plans initiaux.

— C’est ça ma vie, mon garçon.

La cinquième nuit de leur traversée des highlands chaotiques du sud, Coyote ralentit et fit le tour d’un ancien cratère qui avait été érodé presque jusqu’au niveau de la plaine. Le plancher était marqué par un énorme trou noir. Apparemment, c’était ça un mohole vu de la surface, se dit Nirgal. Un plumet de givre flottait dans l’air à une centaine de mètres de haut, comme suscité par la baguette d’un magicien. Le bord du mohole était biseauté, ménageant une pente intérieure de béton à quarante-cinq degrés. Il était impossible d’en mesurer la largeur et elle pouvait être aussi bien une simple route circulaire. Sur le bord extérieur, une haute clôture était visible.

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