Roland porta de nouveau la main à son cor, et la réalité de ce contact lui procura un réconfort étrange, comme s’il ne l’avait jamais touché, auparavant.
Il est temps de se remettre en route.
L’homme en noir fuyait à travers le désert, et le Pistolero le suivait.
19 juin 1970 — 7 avril 2004
Je dis grand merci à Dieu.
FIN
« LE CHEVALIER ROLAND S’EN VINT À LA TOUR NOIRE »
de Robert Browning
I
Je pensais, il a menti en chaque mot,
L’hideux infirme, de son œil qu’il disait voilé par le songe
De biais contemplait l’effet de ses mensonges
Sur moi, et sa bouche incapable de masquer les cahots
De sa liesse, qui secouait et tordait son corps bot
Devant l’agonie de la victime que la mort ronge.
II
Quel autre dessein eût pu animer ce menteur diabolique ?
De son bâton dressé tel un attrape-foudre furieux
Il leurre, menace, et séduit le curieux
Qui demande son chemin. Et ce rire satanique
Graverait je n’en doute l’épitaphe véridique
Relatant ma venue en ces maudits lieux.
III
Si fort de ses conseils je devais me détourner
De ma route pour m’engager dans le sinistre chemin, où,
Comme chacun le sait, se cache la Tour Noire,
c’est pourtant sans remous,
Et docile, que je m’y aventurai. Sans nulle fierté
Ni impatience ravivée de jamais entrevoir mon but tant convoité
Ni même aucune fin — je n’avais cet espoir fou.
IV
Car après avoir sillonné le vaste monde, en entier
Et cherché en vain toutes ces longues années, qu’était-il advenu
De ma quête, de ma foi déclinantes, ces fantômes abattus,
N’eussent pu porter le poids de cet espoir trop vif, plein de témérité
Et c’est à peine si je sus réprimer le bond enchanté
Que fit mon cœur, sentant la défaite venue.
V
Et lorsque le malade approchant du trépas
Sent commencer et finir
Les larmes de peine, et qu’adieu aux amis il doit dire
Il entend l’un supplier l’autre de partir, retenir son souffle las,
Plus librement dehors (« puisque tout est achevé, que la fin est là
Et que le coup porté, aucun chagrin ne viendra adoucir »)
VI
Quand d’aucuns débattent, cherchant si place ils trouveront
Entre les tombes moussues, pour celle de ce vaillant
Et si pour porter sa dépouille il est jour plus clément
Et si, ayant soin des bannières, des écharpes
et des tristes chansons
L’homme toujours entend tout
et une seule soif berce son cœur si bon
Celle de ne pas faillir et trahir un amour si tendre, en demeurant.
VII
Ainsi, depuis si longtemps j’endurais cette quête insensée
Et voyais mon échec chanté dans poèmes et prophéties
Tant de fois, parmi la troupe, de ceux que choisit cet exil inouï,
Ces chevaliers qui à la Tour adressèrent leurs pas
et leurs rêves éthérés
Qu’échouer comme eux me paraissait galvaudé
Mais certain — car qui pourrait lutter contre ce doute assassin et si j’étais honni ?
VIII
Et muet comme le désespoir qui m’étreignait, je me détournai
De cet odieux estropié, je quittai son chemin
Pour porter mes pas dans celui qu’il vantait. Car ce jour sans fin
M’avait été bien lugubre, et avant que de voir le soir tomber
Et le clore, je souffris le regard écarlate et mauvais
Qui ensanglante la plaine, d’un éclat macabre et malin.
IX
Qu’on m’entende ! À peine m’étais-je promis le cœur loyal
À la plaine, au bout d’un pas ou deux
Alors que je me retournai pour lancer un regard d’adieu
Sur la route bien sûre qui m’avait mené en ce songe sans égal
Elle avait disparu ; plus rien d’autre que les plaines grises et étales
À perte de vue : je ne pus que poursuivre, car quoi faire en ces lieux ?
X
Aussi je marchai. Je ne crois pas avoir jamais
entrevu de mes yeux
Nature plus affamée et ignoble, rien n’y prospérait guère
Pas une fleur — comment rêver d’une cédrière !
Tandis que l’euphorbe et la chienlit, comme la loi le veut
Se propageaient à l’envi, si bien qu’au cœur ainsi un peu
De bardane égarée eût été une heureuse surprise, et bien légère
XI
Point ! Pénurie, langueur et grimace,
Bien étrange était le lot de cette affreuse terre.
« Vois ou ferme les yeux », disait Mère Nature, de son air
Maussade : « Rien ne veut fleurir, je ne puis même sauver la face :
C’est le Jugement Dernier qui de ses flammes
lavera cette place
Qui en calcinera les mottes et de mes prisonniers
rompra les fers. »
XII
Et si un chardon tout éplumé poussait là par hasard,
Se dressant au-dessus du lot, c’était décapité,
car l’agrostide était jalouse ici.
Qui avait creusé ces trous et ces crevasses dans les orties
Et les feuilles bistrées et rêches de la patience, qui avait tout réduit en friche chaotique, tuant tout espoir
De verdure ? Une brute, à n’en point douter, à l’âme noire
Soufflant toute vie comme une chandelle,
telle une bête sans merci.
XIII
Quant à l’herbe, elle poussait il est vrai aussi maigre
que son pelage
Frappé de lèpre ; des brins épars perçaient la boue
Qui paraissait pétrie de sang par-dessous
Une rosse aveugle, dont chaque os saillait comme
après le carnage
Se tenait en stupeur, frappée par un mirage,
Chassée du haras du Diable même, à grand renfort de coups !
XIV
Vivant ? L’animal à mes yeux pouvait avoir
péri sans un pleur
Décharné, la carcasse saignant, et d’un spectre ayant l’air
Il gardait les yeux clos sous une immonde crinière
Alliance incongrue du ridicule et de pareille douleur
Jamais je ne vis brute aussi digne d’être frappée de malheur
Il fallait qu’il fût bien maléfique pour mériter tel salaire.
XV
Je fermai les yeux et les ouvris sur mon cœur
Comme un homme commandant le vin avant d’aller guerroyer
J’appelai de mes vœux une rasade de visions
plus heureuses du passé
Afin de retrouver l’espoir de jouer mon rôle en vainqueur.
Penser d’abord, et puis combattre, tout l’art du soldat, sa valeur,
Car le goût furtif des temps anciens guérit de tout, vrai !
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