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Orson Card: L'apprenti

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Orson Card L'apprenti
  • Название:
    L'apprenti
  • Автор:
  • Издательство:
    L'Atalante
  • Жанр:
  • Год:
    1993
  • Город:
    Nantes
  • Язык:
    Французский
  • ISBN:
    2-905158-70-0
  • Рейтинг книги:
    3 / 5
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Au bord de la rivière Hatrack, près des forêts profondes où règne encore l’homme rouge, un enfant va naître en des circonstances tragiques. Un enfant au destin exceptionnel. Septième fils d’un septième fils, il détiendra, dit-on, les immenses pouvoirs d’un « Faiseur ! ». Si les forces du mal ne parviennent à le détruire. Car il existe un autre pouvoir, obscur, prêt à tout pour l’empêcher de vivre et de grandir. Nous sommes dans les années 1800, sur la terre de pionniers américains. Mais dans ce monde parallèle opèrent charmes et sortilèges, on y possède des « talents » à la dimension de pouvoirs et, les ombres de présences bienveillantes ou maléfiques rôdent dans la nature. Un récit magique et flamboyant où l’enjeu n’est rien moins que le destin du monde.

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Et puis un jour, quand il sera un beau garçon de vingt et un ans et moi une vieille fille mauvaise langue de vingt-six, il se sentira si reconnaissant envers moi, si obligé , que son devoir lui commandera de me proposer le mariage. Et moi, éperdue d’amour, la tête pleine des rêves de ce qu’il accomplira et de ce que deviendra notre couple, je dirai oui, je l’encombrerai d’une femme qu’il aurait préféré ne pas devoir épouser, et ses yeux s’attarderont avec envie sur d’autres filles tout au long des jours que nous vivrons ensemble…

Peggy aurait aimé, oh, tellement aimé ! ignorer que les choses se passeraient ainsi. Mais voilà, Peggy était une torche, la torche la plus puissante dont elle avait jamais entendu parler, plus forte même que les gens des environs de Hatrack ne le soupçonnaient.

Elle s’assit dans son lit ; elle ne jeta pas la boîte, elle ne la cacha pas, ne la brisa pas, ne l’enterra pas. Elle l’ouvrit. À l’intérieur reposait le dernier morceau de la coiffe de naissance d’Alvin, sec et blanc comme de la cendre de papier dans un âtre froid. Onze ans plus tôt, lorsque la maman de Peggy avait fait office de sage-femme pour tirer le bébé Alvin hors du puits de la vie et qu’il cherchait à inhaler des goulées d’air humide dans l’auberge de papa, à Hatrack River, Peggy lui avait décollé la coiffe fine et sanguinolente de la figure pour lui permettre de respirer. Alvin, le septième fils d’un septième fils, et le treizième enfant… Peggy avait tout de suite vu ce que seraient les chemins de son existence. La mort, voilà vers quoi il se dirigeait, la mort par une centaine d’accidents différents dans un monde qu’on aurait dit acharné à le perdre, depuis avant sa naissance.

Elle était ’tite Peggy à l’époque, une fillette de cinq ans, mais on faisait appel à son talent de torche depuis deux ans déjà, et jusqu’alors elle n’avait encore jamais vu chez un nouveau-né autant de routes menant à la mort. Peggy avait exploré tous les chemins de l’avenir d’Alvin et sur le nombre n’en avait trouvé qu’un seul où il vivait jusqu’à l’âge d’homme.

Mais à la condition qu’elle conserve cette coiffe et qu’elle veille sur lui de loin ; aussi, à chaque fois qu’elle avait vu la mort s’approcher d’Alvin pour l’emporter, elle avait eu recours à la membrane. Elle en prenait juste un petit bout qu’elle émiettait entre ses doigts et murmurait ce qui devait arriver ; elle le voyait en esprit. Et les choses se passaient tout comme elle l’avait dit. Ne l’avait-elle pas empêché de se noyer ? Sauvé d’un bison qui se vautrait dans la boue ? Retenu de glisser d’un toit ? Elle avait même un jour fendu une poutre faîtière qui tombait d’au moins cinquante pieds de haut et allait l’écraser sur le plancher d’une église en construction ; elle avait fendu le madrier en deux propre et net, si bien qu’il s’était abattu de part et d’autre du gamin en lui laissant juste la place de se tenir au milieu. Et des centaines d’autres fois où elle était intervenue si tôt que personne n’avait jamais deviné qu’il avait échappé à la mort, même ces fois-là, elle s’était servie de la coiffe.

Comment est-ce que ça marchait ? Elle n’en savait trop rien. Sauf qu’elle utilisait le propre pouvoir d’Alvin, son don inné. Au fil des ans il s’était suffisamment familiarisé avec son talent pour fabriquer des objets, les modeler, les consolider et les fragmenter. Cette dernière année, pris dans les guerres entre les hommes rouges et les Blancs, il avait fini par se charger lui-même de sauver sa vie, aussi n’avait-elle plus guère eu besoin d’intervenir. Une bonne chose, en fait. Il ne restait pas lourd de la coiffe.

Peggy referma la boîte. Je ne veux pas le voir, songea-t-elle. Je ne veux plus rien savoir de lui.

Mais ses doigts relevèrent aussitôt le couvercle parce que, bien sûr, il fallait qu’elle sache. Il lui semblait avoir vécu la moitié de sa vie à palper cette coiffe pour chercher la flamme de vie d’Alvin très loin là-bas, au nord-ouest, du côté de la Wobbish, dans la ville de Vigor Church, pour voir comment il se portait, pour suivre les chemins de son avenir et savoir quels dangers l’attendaient en embuscade. Et quand elle était certaine de sa sécurité, elle regardait plus avant dans le futur et elle le voyait revenir un jour à Hatrack River, où il était né ; il revenait, il la regardait dans les yeux et disait : « C’est toi qui m’as tout le temps sauvé, qui as reconnu en moi un Faiseur avant que personne n’imagine pareille chose possible. » Puis elle le suivrait tandis qu’il explorerait toute l’étendue de son pouvoir, apprendrait la tâche qu’il devait accomplir, la cité de cristal qu’il devait bâtir ; elle le voyait lui faire des enfants, toucher les nourrissons qu’elle tiendrait dans ses bras ; elle voyait ceux qu’ils mettraient en terre et ceux qui vivraient ; et enfin elle le voyait…

Des larmes roulèrent sur ses joues. Je ne veux pas savoir, dit-elle. Je ne veux pas connaître les routes de l’avenir. Les autres filles peuvent rêver d’amour, des joies du mariage, d’être mères de bébés forts et en bonne santé ; mais tous mes rêves renferment la peur, la douleur et la mort aussi, parce qu’ils reflètent la réalité ; personne ne pourrait en savoir autant et garder encore de l’espoir au cœur.

Pourtant Peggy espérait quand même. Eh oui, c’est comme ça. Elle s’accrochait encore à une espèce d’espoir éperdu, car même informée des événements appelés à se produire dans une vie, elle avait malgré tout des aperçus, des visions claires de certains jours, de certaines heures, de certains brefs moments de si grand bonheur qu’ils valaient la peine qu’on souffre pour les connaître.

Malheureusement, ces aperçus étaient si rares et si courts dans l’ensemble des avenirs d’Alvin qu’elle ne trouvait pas de chemin qui y menait. Tous ceux qu’elle trouvait facilement, les bien tracés, les plus à même de se réaliser, tous conduisaient à son mariage avec Alvin, un mariage sans amour, par gratitude et par devoir… un mariage pitoyable. Comme l’histoire de Lia dans la Bible, que son beau mari Jacob détestait, et pourtant elle l’aimait tendrement, elle lui avait donné plus d’enfants que ses autres épouses et serait morte pour lui s’il l’avait seulement demandé.

C’est un méchant tour que Dieu a joué aux femmes, songea Peggy : elles soupirent après un mari et des enfants et finissent par mener une existence de sacrifice, de chagrin et de souffrance. Le péché d’Ève était-il si terrible pour que Dieu nous frappe toutes de cette monstrueuse malédiction ? « Dans la peine tu enfanteras des fils, avait dit le Dieu Tout-Puissant et Miséricordieux. Ta convoitise te poussera vers ton mari, et lui dominera sur toi. »

Voilà ce qui la brûlait intérieurement : la convoitise de son mari. Même s’il ne s’agissait que d’un jeune garçon de onze ans à la recherche, non pas d’une femme, mais d’un professeur. Ce n’est peut-être qu’un petit garçon, se dit Peggy, mais moi je suis une femme, j’ai vu l’homme qu’il sera, et c’est après lui que mon cœur soupire. Elle se pressa la main sur la poitrine ; elle en sentit toute la rondeur et la douceur, malgré son incongruité sur un corps qui avait été tout en angles et en échalas mais qui maintenant prenait des courbes, comme un veau qu’on engraisserait pour le retour du fils prodigue.

Elle frissonna à la pensée de ce qui était arrivé au veau gras ; une fois de plus elle toucha la coiffe et regarda.

Dans la lointaine ville de Vigor Church, le jeune Alvin prenait ce matin-là son dernier petit déjeuner avec sa mère. Le bagage qu’il devait emmener pour son voyage jusqu’à Hatrack River était posé par terre près de la table. Des larmes coulaient sans retenue sur les joues maternelles. Le jeune garçon aimait sa mère, mais pas une seconde il ne regrettait de partir. Son foyer était un lieu sinistre désormais, souillé par trop de sang innocent pour qu’il ait envie de rester. Il était pressé de s’en aller, de commencer son apprentissage chez le forgeron de Hatrack River et de trouver la fille, la torche qui lui avait sauvé la vie à la naissance. Il était incapable d’avaler une bouchée de plus. Il s’écarta de la table, se leva, embrassa sa maman…

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