— Son cœur est enterré avec Sturm dans la Tour du Grand Prêtre.
— Comment le sais-tu ? dit Laurana, surprise.
— Je les ai vus ensemble à Tarsis. J’ai surpris l’expression de leurs visages. Et je suis au courant, pour l’étoile de diamants. Il voulait que cela reste secret, je ne l’ai pas dévoilé. C’était un homme de bien. Je suis fier de l’avoir connu ; jamais je n’aurais cru pouvoir dire cela d’un humain.
Laurana s’essuya les yeux du revers de la main.
— C’est vrai, mais ce n’est pas pour ça que tu es venu me voir.
— Non, répondit Gilthanas, bien que cela ait un rapport. Laurana, il s’est passé quelque chose, à Sanxion, que je n’ai pas raconté à Astinus. Je ne le dirai jamais à personne, si tu me demandes de…
— Pourquoi moi ? dit Laurana, toute pâle.
Sa main tremblait. Elle posa sa plume.
Gilthanas ne semblait pas l’avoir entendue. Il regardait fixement la carte.
— Lorsque nous nous sommes enfuis de Sanxion, nous avons dû passer par le palais d’Akarias. Je ne peux t’en dire plus, car je trahirais la personne qui nous a sauvé la vie maintes fois et qui court encore des dangers en faisant tout ce qu’elle peut pour aider le plus de gens possible.
« La nuit où nous étions cachés, attendant de pouvoir nous échapper, nous avons surpris une conversation entre le seigneur Akarias et l’un des seigneurs draconiens. C’était une femme, une humaine du nom de Kitiara. »
Laurana resta muette. Son visage était d’une pâleur mortelle, ses yeux dilatés semblant se délaver sous la lumière de la lampe.
Gilthanas lui prit la main. Elle était glacée. Il la regarda et comprit qu’elle devinait ce qu’il allait lui confier.
— Je me suis souvenu de ce que tu m’as raconté quand nous avons quitté le Qualinesti, et j’ai compris que c’était l’humaine que Tanis Demi-Elfe aimait, la sœur de Caramon et Raistlin. Je l’ai reconnue à cause de ce que ses frères avaient dit d’elle. Elle parlait de Tanis, Laurana.
Il s’était arrêté, se demandant s’il devait continuer, car Laurana avait l’aspect d’une statue.
— Pardonne-moi si je te fais de la peine, mais tu dois savoir, finit-il par dire. Kitiara riait de Tanis avec le seigneur Akarias et elle a même… Je ne peux le répéter, fit-il en rougissant. Tout ce que je puis dire, c’est qu’ils sont amants, Laurana, elle l’a exprimé clairement. Elle a demandé à Akarias de promouvoir Tanis au rang de général… en récompense d’informations qu’il allait lui fournir sur l’Homme à la Gemme Verte…
— Arrête, dit Laurana d’une voix blanche.
— Je suis désolé, Laurana. Je sais à quel point tu l’aimes. Je comprends à présent ce que cela veut dire d’adorer quelqu’un et d’être trahi…
— Laisse-moi seule, Gilthanas.
Il sortit sans bruit de la pièce et ferma la porte derrière lui.
Laurana resta un long moment prostrée. Puis elle reprit la rédaction de son texte là où elle l’avait arrêtée.
— Laisse-moi te donner un coup de main, dit Tass, coopératif.
— Je… Non, attends ! glapit Flint. L’énergique kender prit le nain par les bottes et le souleva de terre. Le nain s’envola vers le dragon de bronze. Les bras battant frénétiquement dans le vide, il réussit à attraper les rênes et s’y accrocha désespérément, puis retomba en se balançant comme un sac pendu à un clou.
— Mais à quoi joues-tu ? s’écria Tass, agacé. Ce n’est pas le moment de s’amuser ! Allons, laisse-moi te…
— Arrête ! Pas touche ! gronda Flint en flanquant des coups de pied aux mains du kender. Recule ! Mais recule donc, je te dis !
— Bon, débrouille-toi tout seul, souffla Tass, vexé. Écarlate, au bord de l’apoplexie, le nain s’écrasa sur le sol.
— Je monterai par mes propres moyens, lança-t-il avec fureur. Je n’ai pas besoin de toi !
— Dans ce cas, tu ferais bien de t’y mettre de suite, les autres sont déjà tous en selle !
Le nain croisa les bras sur sa poitrine d’un air buté.
— Je vais y réfléchir…
— Oh ! écoute Flint ! Tu ne vas pas rester tout le temps à terre. Je voudrais voler, moi ! Dépêche-toi un peu, s’il te plaît ! Tu sais, je peux y aller seul…
— Tu ne ferais pas une chose pareille ! tonna Flint. La guerre tourne en notre faveur, mais il suffirait de laisser un kender enfourcher un dragon, et ce serait la fin de tout. Autant remettre tout de suite les clés de la ville au seigneur draconien ! Laurana a dit que tu ne pourrais voler qu’avec moi…
— Alors monte ! glapit Tass. J’ai le temps de devenir grand-père avant que tu bouges d’un pouce !
— Grand-père, toi ! grommela Flint en jetant coup d’œil circonspect au dragon qui le regardait d’un drôle d’air. Le jour où tu seras grand-père, les poules auront des dents…
Khirsah, le dragon, considérait le kender et le nain avec une impatience amusée. Comme il était juvénile – autant que peut l’être un dragon sur Krynn –, il approuvait le kender : il était temps de s’envoler pour aller se battre. Khirsah avait été parmi les premiers à répondre à l’appel lancé à tous les dragons d’or, d’argent et de bronze. Il brûlait de se jeter dans la bataille.
Comme c’était un jeune dragon, il affichait le plus grand respect pour les anciens. Bien qu’il fût sensiblement plus âgé que Flint par les années, Khirsah voyait en lui un personnage à la vie riche et remplie d’expériences qui méritait la déférence. Malheureusement, si je ne fais rien pour eux, pensa-t-il, le kender aura raison : nous serons encore là après la bataille !
— Pardon, honoré messire, dit-il, usant de la plus suave formule de politesse en cours chez les nains, puis-je t’être d’une quelconque utilité ?
Surpris, Flint se retourna. Le dragon dodelina de la tête.
— Honoré et respectable messire, répéta-t-il au nain éberlué.
Flint recula précipitamment, renversant le kender. Tous deux roulèrent sur le sol.
Le dragon pencha son énorme tête, saisit délicatement le nain entre ses mâchoires et le remit sur ses pieds.
— Eh bien, j…je ne sais pas, balbutia Flint, confus de tant d’égards. Tu pourrais peut-être m’aider, mais c’est à voir ! Tu comprends, j’ai fait ça toute ma vie. Chevaucher un dragon n’a rien de sorcier pour moi, il suffirait simplement que je…, argumenta-t-il, décidé à ne pas perdre la face.
— Tu n’es jamais monté sur un dragon de ta vie ! s’exclama Tass. Allez, ouste !
— J’avais des choses plus importantes en tête, rétorqua Flint en envoyant son poing dans les côtes du kender, et j’ai l’impression qu’il me faudra du temps pour me mettre au point.
— Certainement, messire, dit Khirsah. Puis-je t’appeler Flint ?
— Tu peux, grogna le nain.
— Moi, c’est Tasslehoff Racle-Pieds, dit le kender en tendant la main au dragon. Flint ne me quitte pas d’une semelle. Oh, excuse-moi, tu n’as pas de quoi me serrer la main. Cela ne fait rien. Quel est ton nom ?
— Les mortels m’appellent Éclair, répondit le dragon, inclinant la tête avec grâce. Maintenant, messire Flint, si tu veux bien suivre les instructions de ton écuyer, le kender,…
— Écuyer ! répéta Tass, sous le choc.
— Demande à ton écuyer de se mettre en selle, continua le dragon. Je l’aiderai à t’installer et à positionner la lance.
Flint réfléchit en caressant sa barbe, puis déclara avec un grand geste :
— Toi, l’écuyer, monte là-dessus et fais ce qu’on te dit.
— Je… tu… nous…, bégaya Tass.
Le kender ne put finir ; le dragon le souleva du sol par son gilet de fourrure et le déposa sur la selle.
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