Il traversa la pièce ensoleillée en direction de la salle de bains. Là, tout le dévouement de madame Guderian éclatait dans le marbre noir et blanc, la plomberie d’or, les épaisses serviettes, les savons et les eaux de toilette de Chanel, le sauna, la lampe à bronzer et l’appareil à masser, un sommet dans l’art du réconfort et de l’hygiène après les dures leçons d’initiation à la vie sauvage.
Les malheureux voyageurs du Temps qui étaient partis pour le monde du Pliocène devaient garder le souvenir de ces derniers jours qu’ils avaient passé à l’auberge, de la cuisine française, des lits bien doux et des objets d’art omniprésents. Mais Claude Majewski, quant à lui, savait que jamais il n’oublierait les toilettes sybaritiques. Le siège moelleux et tiède si doux à ses cuisses osseuse ! Le papier, caressant comme de l’angora. Il se rappelait encore les installations primitives dont ils avaient dû se contenter, Geneviève et lui, sur certaines planètes perdues – douches portatives sans chauffage, tinettes puantes et bancales, vaguement construites avec des pierres et du bois et infestées de répugnantes bestioles, trous glissants dans la glaise… Il se souvenait en particulier d’une nuit d’épouvante, sur Lusatia, où il s’était accroupi avant de découvrir qu’il était cerné par d’innombrables petits monstres agressifs.
Ah, comme il bénissait une salle de bains comme celle-ci… S’il n’y avait personne pour avoir réinventé les waters au Pliocène, en tout cas, il avait l’intention de s’en occuper tout particulièrement.
Il prit une douche fraîche et parfumée, se brossa les dents (c’était sa troisième dentition, comme neuve !) et se dévisagea dans le miroir Louis XIV. Pas trop décrépit. Sans trop insister, on pouvait lui donner entre cinquante et soixante ans. Il était particulièrement fier de ses yeux verts de Polonais et de ses cheveux épais et bouclés marqués d’argent : les codons mâles de la calvitie avaient été effacés de son patrimoine génétique au cours de son dernier rajeunissement. Mais, grâce à Dieu ! il avait épilé le reste de son corps ! Les gens comme le pirate, qui adoraient la pilosité faciale, ne tarderaient pas à déchanter dans un monde primitif, surtout celui de l’Europe du Pliocène, aussi doux que riche en insectes. Il avait remarqué avec un amusement féroce que les conférences de la veille et les films sur l’écologie du Pliocène n’avaient guère évoqué les insectes et autres fléaux invertébrés. Bien sûr, c’était tellement plus spectaculaire de montrer d’immenses hardes d’hipparions et de gracieuses gazelles poursuivies par des singes presque aussi gracieux. Ou des lions à dents de sabre égorgeant de paisibles éléphants herbivores.
Claude revint dans sa chambre et demanda qu’on lui serve le café avec des croissants. Durant cette seconde journée, on devait les préparer à des techniques de survie élémentaires et il mit les vêtements avec lesquels il passerait la porte. L’expérience avait guidé son choix : sous-vêtements en maille légère, chemise de brousse à l’ancienne et pantalon fait du meilleur coton égyptien à longues fibres, chaussettes de laine orcadienne crue et bottes inusables confectionnées sur Etruria. Il avait apporté son vieux sac à dos, bien qu’il ait su que l’auberge pouvait fournir l’équipement. Il y avait mis son poncho de grintla et un sweater orcadien. Dans la poche fermée par un zip, il y avait une magnifique boîte Zakopane, toute de bois gravé et ornementé. La boîte de Ginny. Légère comme une plume.
Tout en prenant son petit déjeuner, il réfléchit au programme des activités prévues. Présentation de l’Unité de Survie A-6*. Abri et Feu. Risques Minima d’Environnement. (Eh ! Eh !). Orientation. Pêche et Piégeage.
Il soupira tout en sirotant son café absolument parfait et en mâchonnant un croissant léger et croustillant. La journée allait être longue.
Sœur Anna-Maria Roccaro avait souvent fait du camping, mais elle fut à la fois surprise et ravie en découvrant l’équipement décamole de l’Unité A-6*.
Avec les autres membres du Groupe Vert, elle avait d’abord été en cours. Une instructrice pleine d’enthousiasme leur avait donné un résumé des exercices de la journée, puis ils avaient été répartis par paires avant de descendre dans la caverne qui avait été taillée dans le roc, à 200 mètres sous les caves de l’auberge. Ils s’étaient retrouvés dans une prairie ensoleillée où courait un ruisseau et on leur avait demandé de se familiariser tout d’abord avec leur matériel de survie.
Le soleil artificiel était chaud, en dépit de la compensation immédiate de leur thermostat biologique. Anna-Maria parcourut une certaine distance en compagnie de Felice avant de décider qu’il lui faudrait renoncer aux sandales qu’elle avait choisi de porter au Pliocène. Elles étaient tout à fait monacales et légères, mais sensibles également à toutes les brindilles et au moindre caillou. Des cothurnes basses ou même des bottes modernes seraient mieux adaptées à de longues randonnées. Elle réalisa également que son habit de daim blanc, même avec ses manches amovibles, était bien trop chaud. Du gros drap serait préférable. Elle devrait prévoir un simple scapulaire de daim, un capuchon et une cape.
— Felice, demanda-t-elle à sa compagne, tu n’as pas trop chaud dans cette tenue ?
Landry arborait sa tenue de hockey verte et noire et il ne faisait pas de doute qu’elle la garderait pour entrer dans le Pliocène.
— J’y suis à l’aise. J’ai l’habitude de travailler avec, et ma planète était plus chaude que la Terre. Mais tu sais, Anny, cette peau de daim te va très bien. Tu as l’air d’une grande prêtresse.
La nonne se sentit étrangement émue. Felice avait l’air tellement incongrue avec sa cuirasse de combat, ses jambières et ce casque grec et son panache de plumes vertes qui retombait sur sa nuque. Dès qu’elle s’était montrée dans ce costume, Stein et Richard avaient commencé à la taquiner mais, bizarrement, ils s’étaient arrêtés presque aussitôt.
— Et si nous campions ici ? proposa Anna-Maria.
Près du ruisseau, un grand chêne-liège projetait son ombre sur un coin plat qui semblait idéal pour ériger la cabane. Felice acquiesça et elles posèrent leurs sacs. Anna-Maria sortit son gonfleur et l’examina. L’instructrice leur avait assuré que la pile était prévue pour durer plus de vingt ans. L’appareil, pourtant, n’était pas plus gros que le poing.
« Deux buses sont prévues, l’une pour gonfler, l’autre pour dégonfler. CONSERVER LA BUSE NON UTILISEE DANS SON ETUI. »
— Essayons mon pak-cabane, proposa Felice en lui tendant un paquet qui n’était guère plus volumineux qu’un sandwich. Je n’arrive pas à croire que ça puisse devenir une maison de quatre mètres sur quatre.
Sœur Roccaro adapta le tube plat du pak au gonfleur, puis appuya sur le bouton déclencheur. Sous la pression de l’air, le paquet informe se changea en un cube argenté. Les deux femmes le disposèrent à l’endroit souhaité et le regardèrent grossir. Le plancher atteignit rapidement neuf centimètres d’épaisseur et devint parfaitement rigide dès que l’air eut empli la structure micro-poreuse complexe des différentes couches de film. Les murs, un peu plus épais, se formèrent à leur tour, avec leurs fenêtres transparentes et leurs stores intérieurs. Un toit argenté à pignon acheva le tout.
Felice risqua un coup d’œil par l’entrée dépourvue de porte et remarqua :
— Regarde. Il y a des meubles.
Des banquettes avec des oreillers avaient poussé à partir du plancher, ainsi qu’une table, des rayonnages et, tout au fond, une boîte argentée munie d’un tuyau qui était relié au toit.
Читать дальше