Sur l’écran, apparut une vue encore plus rapprochée de l’Europe occidentale.
— Pour vous, cette région est d’un intérêt primordiale. Du moins elle devrait l’être. Le Bassin Rhône-Saône, ici, est parcouru par un fleuve important qui a formé des marais au nord de la Suisse ainsi que le vaste Lac de Bresse. La basse vallée rhodanienne, en cet étage du Pliocène, était probablement recouverte par la Méditerranée. De nombreux volcans du Massif Central étaient en activité, de même qu’il y avait une activité volcanique notable en Allemagne, en Espagne, dans le centre de l’Italie et dans ce qui restait de la Tyrrhénie. Plus au nord de la France, nous voyons que la Belgique est une île séparée du continent par le détroit de Redon. L’Atlantique forme une baie qui creuse profondément vers le sud, jusqu’en Anjou. Une partie de la Gascogne est sous les eaux.
— Mais Bordeaux a été épargné, dieu merci ! s’exclama le pirate.
Mishima gloussa.
— Ah ! Un autre connaisseur ! Vous aurez certainement plaisir à apprendre, Citoyen, qu’un certain nombre de voyageurs du Temps ont déjà émis le souhait de se fixer dans la région de Bordeaux. Ils ont emporté un matériel considérable ainsi que des plants de divers cépages… A ce propos, Citoyens, toutes les informations que nous détenons à propos de ceux qui vous ont précédés sont à votre disposition dans notre ordinateur. Et si vous souhaitez d’autres renseignements, concernant par exemple les groupes ethniques ou religieux, le genre de livres, de matériel d’art ou autres qui ont été transmis, n’hésitez pas à les demander.
Le professeur en veste de tweed demanda :
— L’ordinateur peut-il livrer des informations concernant une personne en particulier ?
Ah, tiens ! se dit Elizabeth.
— Les statistiques courantes sur les personnes qui ont déjà franchi la porte vous sont accessibles, et elles sont identiques à celles qui figurent dans vos propres dossiers. Il vous est également possible d’obtenir toute information utile quant aux articles qui ont été emportés dans leurs bagages et à leur destination précise dans le monde du Pliocène si celle-ci a été enregistrée.
— Merci.
— S’il y a d’autres questions…
Mishima inclina la tête à l’adresse de Felice, qui venait de faire un geste timide de la main.
— Est-il exact qu’aucun de ces voyageurs n’a emporté d’arme ?
— Madame Guderian n’autorisait aucune arme moderne , et nous avons suivi cette sage prescription. Aucun paralyseur ou foudroyeur, pas d’armes atomiques, de disrupteurs soniques, d’éclateurs à énergie solaire, ni d’armes à feu. Pas de drogues ni d’appareils psycho-coercitifs. Cependant, on peut admettre que de nombreux types d’armes anciennes, provenant de cultures et d’ères diverses ont pénétré dans le Pliocène, ça ne fait aucun doute.
Landry acquiesça en silence, le visage dénué d’expression. Sans même en avoir conscience dans la seconde, Elizabeth tenta de la sonder, mais sans effet. Pourtant, elle fut surprise quand la jeune femme tourna la tête et la regarda bien en face pendant une longue minute avant de reporter son attention sur l’écran.
Impossible qu’elle eût ressenti quoi que ce soit, se dit Elizabeth. Elle ne pouvait savoir. Encore moins que c’était moi. Non ?
— Il faut que vous preniez note rapidement de quelques-uns des noms correspondant aux détails topographiques, dit le Conseiller Mishima. Puis nous passerons à un rapide examen de la vie animale et végétale de la Façade méditerranéenne du Pliocène Inférieur…
Dès que la conférence eut pris fin, Grendell regagna en hâte sa chambre. Le terminal d’ordinateur était masqué en crédence Renaissance. Le bois fruitier du meuble était abondamment piqué aux vers. Il ne savait pas à quoi il devait s’attendre et il demanda communication des informations sur feuille de durofilm. Ce qu’il obtint était ridiculement réduit mais, ce qui était inattendu, c’était un grand portrait en couleurs qui avait sans doute été pris juste avant qu’elle ne franchisse la porte.
Mercy Lamballe portait une cape à capuche d’un rouge brun qui dissimulait presque complètement ses cheveux auburn et ses yeux, dans son visage pâle et tiré, semblaient deux puits sombres. Sa robe vert Nil était longue et simple, gansée d’or au col et aux poignets. Une ceinture de couleur sombre serrait sa taille. Une bourse pendait sur sa hanche ainsi qu’un petit sac avec des instruments dont Grendell ne pouvait deviner la nature. Elle avait des bracelets et un collier d’or inscrusté de pierreries mauves. Elle tenait un panier à couvercle et un étui de cuir qui devait contenir une petite harpe. Une mallette de brocard était posée près d’elle.
Un grand chien blanc l’accompagnait. Il portait un collier à pointes. Derrière elle, il y avait aussi quatre moutons.
Il resta longtemps immobile à observer la photo, à en fixer chaque détail dans son esprit, les yeux brûlants. Puis il lut son dossier, sèchement résumé :
LAMBALLE, MERCEDES SIOBHAN 8-0 49-333-0 32-421 F. Née à : st Brieuc 48 :31 N,0 2 :45 W, Fr Eu, Sol-3 (Terre), 15.5.2082, d. Georges Bradford Lamballe 3-946-202-664-117 & Siobhan Maeve O’Connell 3-429-697-551-418.Sb :0 .M :0.D :0 .C :0.Phys : H 170, P 46 Kg,Sfr l,Hrd 2,Egn 4,DMmole Rscap.Men : IA+146 (+3B 2) ,PSA +5+4.2+30-0.7+6.1,MPQ-.079(L) +28+6+133 +468+1. HistMed : NSI,NST,NSS (Supp 1). PsyHist : RefrE.T. -4 (non-dis), Fug-5 (non-dis), DepM-2 (.25 dis UT) (Supp 2). Ed : BA Paris 2102,MA (Anthr) Oxon 2103,PhD (Fr-HisMed) Paris 2104,DLH (FlCelt) Dublin 2105.Emp :ImPag Eire (T4-T1) 05-08 ;(Asst Dir 3-2) 08-9.ImPag France (AsstDir1) 09-10.Res :25a Hab Cygne,Riom 45 :54 N,03 :07E.Fr Eu.SoI-3.StCiv :*l*A-0 0£0.RtCr : A-01-3.Lic : E3.Tv,Ts,ElTc2,Dg.
REMARQUES : Ent : 10-5-21 lO.OptVoc : Teinture, Bergère, Tissage, petite propriété, Techniques laine, PersInv : (Supp3). Dest : NS. Att : NS.
Cela se poursuivait par des détails sur son histoire médicale et psychiatrique, des appendices sur ses choix littéraires et musicaux. Il revint au portrait et au dossier.
« Te retrouverai-je jamais, Mercy. Dans ta robe de soie, avec tes bijoux d’or, ta harpe, ton fifre d’argent, tes fraisiers et tes campanules ? Où iras-tu pour t’occuper de tes brebis pleines ? (Dest : NS). Te trouverai-je seule avec ta loyale Deirdre et ses chiots, ainsi que tu as toujours vécu ? (Attmt : NS). M’accueilleras-tu pour m’apprendre les chansons du Languedoc ancien et de l’Irlande ? Ou bien ton cœur ne sera-t-il toujours pas cicatrisé ? (DepM-2.25 dis UT.)
» Qu’as-tu trouvé de l’autre côté de la porte du Temps quand tu l’as franchie, le jour de ton anniversaire, pour commencer la vingt et unième année de ton existence six millions d’années avant ta naissance ? Et pourquoi vais-je quitter ce meilleur des mondes pour l’inconnu ? Qu’y a-t-il donc dans les ténèbres que j’aie tellement peur de trouver ou de ne pas trouver ?
» Tu as pris mon cœur, je ne sais pourquoi. Et je t’aimerai jusqu’à mon dernier jour. »
Claude Majewski ouvrit les yeux, prit un mouchoir et essuya la chassie de ses yeux avant d’ôter les écouteurs qui lui avaient appris durant son sommeil à mortaiser les pannes et les chevrons pour construire une cabane en rondins. Son bras gauche lui semblait couvert d’épingles et il avait les pieds glacés. Sa vieille circulation fichait le camp. Tout en se massant pour faire revenir le sang dans ses muscles, il se dit qu’il allait regretter le confort de l’auberge, le matelas liquide, les oreillers en duvet d’oie et les draps de soie. Il espérait en tout cas que le nécessaire de survie qu’ils allaient tester aujourd’hui serait pourvu d’un lit de camp décent.
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