Jason n’essaya pas d’expliquer que les Pyrrusiens de la ville considéraient leur attitude en toute logique comme la seule possible.
— Comment a commencé cette guerre entre les deux groupes ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas, et j’y ai réfléchi très souvent. Mais nous n’avons aucun document concernant cette période. Nous savons que nous descendons tous des mêmes colons. Mais à un moment, ils se sont scindés en deux groupes. Peut-être à cause d’une guerre, il en est fait mention dans les livres. J’ai une théorie personnelle, que je ne peux pas prouver, mais il se pourrait que ce fût à cause de l’emplacement de la ville.
— De l’emplacement… Je ne comprends pas.
— Eh bien, vous les connaissez et vous avez vu où est située leur ville. Ils sont arrivés à l’implanter au milieu de la partie la plus sauvage de cette planète. Vous savez qu’ils se moquent de toute forme de vie hormis de la leur : tirer et tuer est leur seule logique. Ils n’ont nullement réfléchi à l’emplacement de leur ville et ont trouvé le moyen de la construire à l’endroit le moins favorable. Je suis certain que mes ancêtres s’en sont rendu compte et qu’ils le leur ont fait comprendre. C’est une raison suffisante pour déclencher une guerre, n’est-ce pas ?
— Peut-être, si c’est vraiment ce qui s’est passé. Mais je crois que vous voyez le problème à l’envers. C’est une guerre entre les humains et la vie indigène de Pyrrus, chacun se battant afin de détruire l’autre. Les formes de vie changent continuellement, tendant à la destruction finale de l’envahisseur.
— Votre théorie est encore plus folle que la mienne, dit Rhes. C’est impossible. J’admets que la vie n’est pas toujours facile sur cette planète – si ce que j’ai lu sur les autres planètes est vrai – mais elle ne change pas. Il faut être rapide sur ses jambes et faire attention à tout ce qui est plus grand que vous, mais on peut survivre. De toute façon, le pourquoi est peu important. Les gens cherchent les ennuis et je suis content de voir qu’ils en ont beaucoup.
Jason n’essaya pas de le détromper. Il n’avait pas réussi à convaincre les citadins. À quoi bon s’entêter ?
— Je suppose qu’il n’est pas important de savoir qui a commencé la guerre, dit-il, sans en penser un mot. Mais vous admettrez que les citadins sont constamment en guerre contre toutes les formes de vie de la planète. Et pourtant, Votre peuple a réussi à apprivoiser plusieurs espèces animales. Comment cela s’est-il passé ?
— Naxa sera de retour dans un instant, répondit Rhes en montrant la porte, dès qu’il en aura terminé avec les soins des animaux. Demandez-le-lui. C’est le meilleur parleur que je connaisse.
— Parleur ? J’avais l’impression du contraire à son sujet. Il n’a pas beaucoup bavardé et ce qu‘il a dit était, euh – un peu embrouillé.
— Il ne s’agit pas de ce genre de conversation, l’interrompit Rhes avec impatience. Les parleurs s’occupent des animaux. Ils dressent les chiens et les doryms, et les meilleurs, comme Naxa, essayent toujours de gagner la confiance de nouvelles races. Ils s’habillent grossièrement, mais c’est nécessaire. Je les ai entendus dire que les animaux n’aiment pas les produits chimiques, le métal ou le cuir tanné, aussi portent-ils des fourrures non tannées le plus souvent. Mais ne laissez pas les apparences vous tromper, cela n’a rien à voir avec l’intelligence.
— Des doryms ? Ce sont vos bêtes de charge, celles qui nous ont amenés ici ?
Rhes approuva.
— Les doryms sont plus que des animaux de charge, en réalité. Ils font un peu tout. Les grands mâles tirent les charrues et les autres machines agricoles. Et les jeunes animaux sont utilisés pour leur viande. Si vous voulez en savoir plus, demandez à Naxa, vous le trouverez dans la grange.
— J’aimerais y aller, dit Jason en se levant. Mais je me sens un peu nu sans mon pistolet…
— Prenez-le, je vous en prie, il est dans le tiroir de ce meuble près de la porte. Mais prenez garde à ce que vous faites, ne tirez pas sur n’importe quoi.
Naxa se trouvait dans le fond de la grange, limant l’un des sabots d’un dorym. Le dorym dilata ses narines et recula lorsque Jason entra. Naxa lui flatta le cou en lui parlant doucement jusqu’à ce qu’il se calme, légèrement tremblant.
Un déclic joua dans le cerveau de Jason ; il eut l’impression d’utiliser un muscle resté longtemps inactif. C’était une sensation étrange et familière.
— Bonjour, dit Jason.
Naxa grommela quelque chose et continua de limer. Tout en le regardant faire pendant quelques minutes, Jason essaya d’analyser cette nouvelle impression. Cela le démangeait et lui échappait lorsqu’il essayait de se concentrer. En tout tas, la chose avait commencé lorsque Naxa avait parlé au dorym.
— Pourriez-vous appeler l’un de vos chiens, Naxa ? J’aimerais en voir un de plus près.
Sans relever la tête, Naxa siffla sourdement. Jason fut certain que ce n’était pas audible de l’extérieur. Et pourtant, quelques instants plus tard, l’un des chiens pyrrusiens entra dans la grange. Le parleur gratta la tête de l’animal, lui murmura quelques mots pendant que l’animal fixait intensément son regard sur lui.
Le chien devint nerveux lorsque Naxa reprit son travail. Il fit le tour de la grange, en reniflant, puis se dirigea rapidement vers la porte ouverte. Jason le rappela.
Du moins en eut-il l’intention. Au dernier moment, il ne dit rien. Une impulsion soudaine lui ferma la bouche. Il pensa très fort Viens ici, en dirigeant l’impulsion vers l’animal avec toute la force et la puissance de direction qu’il eût jamais utilisées pour manipuler les dés. Ce faisant, il se rendit compte qu’il y avait très longtemps qu’il n’avait pas utilisé son pouvoir psi.
Le chien s’arrêta et se tourna vers lui.
Il hésita, regarda Naxa, puis revint vers Jason.
Vue d’aussi près, cette bête était un chien de cauchemar. La corne de protection, les petits yeux bordés de rouge et les dents innombrables, la bave qui s’écoulait de ses babines n’inspiraient qu’une confiance limitée. Pourtant, Jason ne ressentit aucune peur. Il existait une entente tacite entre l’homme et l’animal. Presque inconsciemment, il se pencha et flatta le chien sur le dos, à l’endroit où il savait que cela grattait.
— Savais pas que vous étiez parleur, dit Naxa d’un ton presque amical.
— Je ne le savais pas non plus, jusqu’à cet instant, dit Jason.
Il regarda l’animal dans les yeux, lui fit une dernière caresse et commença à comprendre.
Les parleurs devaient avoir des dons de rayonnement développés, cela devenait évident. Il n’existe plus de barrières de race ou de forme de vie lorsque deux créatures partagent les mêmes émotions. Les parleurs devaient avoir été les premiers à briser la barrière de haine sur Pyrrus et à avoir appris à vivre avec la vie originelle. D’autres pouvaient avoir suivi leur exemple et cela pouvait expliquer la formation de la communauté des grubbers.
Maintenant qu’il se concentrait, Jason avait conscience d’un doux va-et-vient de pensées autour de lui. La conscience du dorym s’accordait à d’autres formes semblables au fond de la grange. Il sut sans y aller voir qu’il y avait de grands animaux dans le champ voisin.
— Cela est très nouveau pour moi, dit Jason. Y avez-vous jamais réfléchi, Naxa ? Quel effet cela vous fait-il d’être parleur ? Je veux dire, savez-vous pourquoi vous pouvez faire obéir les animaux alors que d’autres personnes n’y arrivent pas ?
Cette question troubla Naxa. Il passa ses doigts dans son épaisse chevelure et esquissa une grimace.
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