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STEFAN WUL: RETOUR A «0»

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STEFAN WUL RETOUR A «0»

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Stefan Wul est un écrivain de Science Fiction français né en 1922 (c'est donc maintenant un vieux monsieur de presque 80 ans). Il se mit assez tard à la SF, vers 1950. Il avait écrit avant cette date, mais se lance dans le genre presque par hasard. Son premier roman "Retour à 0" propose l'idée de médecins réduits en taille introduits dans le corps du patient... idée qui sera reprise dans le film "Le voyage fantastique".

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CHAPITRE VIII

Il courut longtemps dans un dédale de voies compliquées et finit par s'arrêter sur une route en corniche surplombant un abîme. Il se pencha sur le vide et constata que, deux cents mètres plus bas, le fond du gouffre était toujours constitué par la même masse spongieuse. La chute ne pouvait pas être dangereuse pour quelqu'un ayant supporté sans dommages un plongeon de plusieurs centaines de kilomètres. Les gôrs pouvaient arriver d'un instant à l'autre.

Il sauta, creva le fond du gouffre et s'engloutit sous vingt mètres d'éponge avec la sensation de se retrouver chez lui, couché dans un lit familier. Il s'accorda une douche de détergène pour chasser la sueur d'angoisse dont sa peau était huilée sous le scaphandre, prit deux pastilles et aspira goulûment par deux fois dans le tube à Drinil.

La bulle ovoïde dans laquelle il avait élu domicile était à demi-pleine du liquide sale de sa douche. Et quoique le fait n'eût aucune importance, en raison du scaphandre, Jâ en ressentit un malaire, une sensation d'étouffement. «Je vais vider mon bain, pensa-t-il». Il creva le fond de la bulle d'un coup de poing et le liquide s'écoula comme d'une baignoire. «Très pratique», sourit-il en s'allongeant dans zone position confortable. Il éteignit son phare et ferma les yeux.

Il entendit un lointain «gôr» qui lui donna le frisson: «cherchez, cherchez, mes agneaux», grogna-t-il en se tournant sur le côté pour dormir. Mais aussitôt un bruit de «ploc!» lui parvint, puis un autre, puis plusieurs à la fois, enfin une grêle de chocs frappa la surface et Jâ comprit que les gôrs sautaient à sa suite. Il alluma son phare, entendit aussitôt des hurlements et comprit trop tard qu'il avait commis une faute. La lueur du phare devait porter assez loin à travers les bulles translucides pour guider ses poursuivants. Ceux-ci, du haut de la route en corniche, avaient certainement remarqué au fond du ravin une vague lueur et avaient repris l'offensive. Ils devaient être résolus à ne plus perdre leur sang-froid.

Déjà, le jeune homme entendait des bruits de ballons crevés se rapprocher. Il n'attendit pas, fendit largement le fond de son alcôve et tomba trois bulles plus bas.

Les vides, à cet endroit, étaient très rapprochés, chaque cellule n'étant séparée de la précédente que par une mince membrane qui apparentait l'ensemble à une gigantesque mousse de savon. Il renouvela plusieurs fois son geste qui l'éloignait du danger par chutes successives, de cinq mètres en cinq mètres. Dans cette fuite, il avait sur les gôrs l'avantage du poids.

Il s'apprêtait à descendre encore, mais son bras armé d'une lame resta levé; quelque chose d'étrange avait lieu: une lueur diffuse l'environnait. Il entendit quelques cris de gôrs qui lui parurent tout proches mais sous lui, cette fois. Il attendit un peu et se décida à pratiquer une ouverture minuscule dans la paroi pour jeter un regard dans la bulle inférieure: celle-ci était vide. Il y descendit avec précaution et tailla encore une mince meurtrière un peu plus bas. Il s'aperçut alors qu'il surplombait une salle semblable à celle qu'il avait eu tant de mal à quitter. D'autres gôrs l'occupaient, assemblés autour de leur feu.

Mais ceux-ci n'avaient pas la même teinte que les autres. Ils étaient un peu plus gros et d'une blancheur de neige… Jâ frémit à l'idée qu'il aurait pu crever le plafond et refaire le même cauchemar. Une membrane fragile le séparait de ce nouveau danger. Il se mit lentement debout pour tenter une remontée, mais par mégarde, il posa sa lourde semelle sur la fente et toute sa jambe passa au travers; la matière résista un peu pendant qu'il se débattait, puis se déchira davantage. Les cris des gôrs blancs éclatèrent sous lui, tandis qu'il se retrouvait suspendu, tournoyant comme un pantin au-dessus de l'énorme feu.

Il serrait à pleins bras les lambeaux qui tenaient encore. Il regarda vers le bas et vit des centaines de gueules tendues vers lui. Jouant le tout pour le tout, il se laissa aller et chut au milieu des flammes. Il renouvela la méthode qui lui avait déjà réussi et dispersa des masses de braises aux quatre points de la salle. Les gôrs blancs s'enfuirent dans toutes les directions. Jâ sortit du feu et s'avança rapidement vers un tunnel, mais il s'immobilisa d'un seul coup. Des gôrs blancs obstruaient fermement toutes les issues et le fixaient dans les yeux tandis que quelques gôrs verts paraissaient leur dicter la conduite à suivre en, tapotant leurs pattes sur le sol, suivant un rythme compliqué.

«Ils connaissent une espèce d'alphabet morse, ces vermines, constata Jâ. Les blancs ont l'air de comprendre qu'ils ne doivent pas s'énerver.» Il voulut reculer vers le feu; en vain! Il injuria les gôrs. Ceux-ci découvrirent un peu les dents, mais sans le lâcher du regard. Au fond de leurs noires orbites, les petites étincelles brillaient de haine. «Ils veulent, ils veulent que… murmura Jâ.» Doucement, son bras gauche monta sous son aisselle droite. Il essaya désespérément de résister, mais fut contraint de saisir avec le polyaimant la clef logée sous son aisselle.

Il porta cette clef au cou du scaphandre et, lentement, commença à déboulonner son casque. Dans le silence hostile, quelques gôrs tapèrent des pattes. Un boulon roula sur le sol.

A cet instant, un bruit de tonnerre emplit la salle, tout un pan de la paroi fut fauché par une espèce de tentacule titanesque, large comme un pilier, qui tâtonna parmi les gôrs hurlant. Jâ fit un saut en arrière au moment où la chose passa près de lui en sifflant comme un fouet géant. Il se renfonça le plus loin possible dans une bulle et, paralysé de stupeur, regarda les événements.

La chose n'était pas un tentacule, mais plutôt un tuyau, une trompe qui gobait les gôrs comme un aspirateur avale des brins de poussière. D'après les dimensions, Jâ pensa qu'il y passerait facilement, scaphandre compris. Une deuxième, puis troisième trompe percèrent bruyamment le plafond de la salle, puis une longue patte cornée se posa sans paraître en souffrir au milieu du brasier. Retrouvant son sang-froid, Jâ se précipita dans un couloir sans s'occuper des gôrs qu'il piétinait. Car il savait ce qu'était la chose, il en avait vu des reproductions dans les jardins du muséum, à Staleve. L'animal avait démantelé la cité des gôrs avec la même facilité qu'un tamanoir disperse une fourmilière. C'était le plus gros animal lunaire, et le plus dangereux: un monstre.

Il courut plusieurs kilomètres et perça une cloison pour s'introduire profondément dans le sol élastique. Choisissant une bulle confortable, il s'empressa de remplir toutes les cavités voisines de détergène, constituant ainsi un barrage problématique aux investigations des gôrs. Il prit!a précaution d'éteindre son phare et s'endormit, terrassé de fatigue.

CHAPITRE IX

Une chaleur étouffante l'éveilla. Il régla son réfrigérateur et s'inquiéta de voir qu'il faisait très clair. Machinalement, il voulut éteindre son phare et s'aperçut que celui-ci n'était pas allumé. Jetant les yeux autour de lui, il ne reconnut pas l'endroit où il s'était endormi. La bulle paraissait beaucoup plus vaste. Il lui sembla même qu'elle grossissait encore. Il s'apprêtait à se lever quand la bulle explosa brusquement et il se vit rouler sur la pente abrupte de la montagne. Il rebondit de loin en loin, provoquant une explosion d'oxygène à chaque contact avec la masse élastique et se retrouva sur le sol dur sans trop de mal. La lumière intense l'empêchait de rien distinguer autour de lui et le força à mettre en place son écran antisolaire.

Il leva la tête vers la montagne à laquelle il venait d'échapper et comprit le pourquoi des explosions. L'oxygène dilaté par la chaleur et le vide ambiant distendait les minces enveloppes élastiques et s'échappait brusquement au dehors. Partout, on voyait des bulles crever en silence. La montagne avait l'air de bouillir. Mais là où se trouvait Jâ, il était impossible d'entendre les explosions, car l'espace était vide de tout gaz.

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