Dan Simmons - La chute d'Hypérion

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L'Hégémonie gouverne plus de trois cents mondes. Quant aux Extros, ils ont pris le large après l'Hégire. Reviendront-ils ?
Un de leurs essaims, depuis trois cents ans, se rapproche d'Hypérion. Les habitants de cette planète ont fini par devenir nerveux, ils réclament l'évacuation. Pour l'Hégémonie, le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Mais, sur la même planète, on annonce l'ouverture prochaine des Tombeaux du Temps. Le Techno-Centre n'arrive pas à produire des prévisions fiables à ce sujet. Alors, l'Hégémonie agit : elle envoie sept pèlerins sur Hypérion.
Drôles de pèlerins ! Celui-ci n'arrive pas à se débarrasser d'un parasite de résurrection ; celui-là écrit un poème qui, selon lui, infléchira le cours des événements. Deux d'entre eux veulent tuer le gritche ; un autre hésite à lui sacrifier sa propre fille, qui naîtra dans trois jours.
Et le dernier semble trahir tout le monde, ce qui étrangement ne trouble personne. Bref, l'Hégémonie en fait le minimum ; qu'est-ce qui se cache là-dessous ?

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Le consul secoua la tête. Il caressa machinalement le vieux tapis hawking.

— Il pourrait peut-être emporter deux personnes. Duré et vous, vous parviendriez sans peine à l’endroit où le Bénarès est ancré.

Sol secoua la tête. Il berça doucement le bébé en lui tenant la nuque.

— Rachel n’a plus que deux jours. Ma place est ici.

Le consul regarda autour de lui. Une immense douleur se lisait dans ses yeux.

— La mienne aussi est ici. Le gritche va…

Le père Duré se pencha en avant. La lumière du tombeau derrière lui faisait jouer des reflets sur son front et sur ses pommettes osseuses.

— Si vous voulez rester ici, mon fils, c’est uniquement parce que vous cherchez à vous suicider. En ramenant votre vaisseau, vous aiderez Lamia et le Templier.

Le consul se frotta la joue. Il était extrêmement las.

— Il y a de la place pour vous sur le tapis, mon père.

Duré eut un sourire.

— Quel que soit le sort qui m’est destiné, je sais que c’est ici que je devrai l’affronter. J’attendrai votre retour avec les autres.

Le consul secoua de nouveau la tête. Il prit cependant place, les jambes croisées, sur le tapis, tirant son gros sac à côté de lui. Il compta les rations et les gourdes que Sol y avait rangées.

— Il y en a trop, dit-il. Ces provisions risquent de vous manquer.

— Nous en avons largement assez pour quatre jours, grâce à H. Lamia, répliqua le père Duré en souriant. Après cela, si nous sommes obligés de jeûner, ce ne sera pas nouveau pour moi.

— Mais si Kassad et Silenus reviennent ?

— Il y aura assez d’eau pour tout le monde. Et rien ne nous empêche de retourner chercher des rations à la forteresse, en cas de besoin.

Le consul soupira.

— Très bien, dit-il.

Il manipula les fils de commande appropriés, et les deux mètres de tapis se raidirent et se soulevèrent de dix centimètres au-dessus de la roche. S’il y avait une modulation dans les champs magnétiques incertains, elle n’était pas discernable.

— Vous allez avoir besoin d’oxygène pour la traversée des montagnes, lui dit Sol.

Le consul tira le masque à osmose de son paquetage.

Sol lui tendit le pistolet automatique de Lamia.

— Je ne peux pas…

— Vous savez bien qu’il ne nous sert à rien contre le gritche, murmura le vieil érudit. Mais il vous permettra peut-être d’arriver entier à Keats.

Le consul hocha la tête et rangea l’arme dans son sac. Il serra la main du prêtre, puis celle de Sol. Les petits doigts de Rachel lui frôlèrent le bras.

— Bonne chance, lui souhaita Duré. Que Dieu vous accompagne.

Le consul inclina la tête, tira sur les fils de commande et se pencha en avant tandis que le tapis hawking grimpait de cinq mètres, oscillant à peine, et glissait en avant comme sur des rails invisibles.

Il inclina le tapis sur la droite à l’entrée de la vallée, passa à dix mètres au-dessus des dunes, puis vira sur la gauche, en direction des terres désertiques. Les quatre silhouettes, deux debout et deux couchées, en haut de l’escalier du Sphinx, paraissaient minuscules. Il ne distinguait même pas le bébé dans les bras de Sol.

Comme prévu, il se dirigea d’abord vers l’ouest, où se trouvait la Cité des Poètes, dans l’espoir de repérer Martin Silenus. Son intuition lui disait que leur irascible compagnon avait dû faire un détour par là. Les lumières des combats dans le ciel étaient un peu moins fréquentes, et le consul fut obligé de descendre à une vingtaine de mètres pour explorer les zones d’ombre parmi les tours et les dômes en ruine de la cité. Mais il ne vit aucun signe de présence du poète. Si Brawne et lui étaient passés par là, même les traces de leurs pas avaient été effacées par les vents de la nuit qui faisaient maintenant voler les cheveux clairsemés du consul et claquer ses vêtements.

Il faisait froid à cette altitude. Le tapis hawking était agité de vibrations et de trépidations tandis qu’il traversait des lignes de forces instables. Entre le champ magnétique sournois d’Hypérion et l’âge des commandes de vol EM, il y avait de fortes chances pour que le tapis dégringole avant qu’il ne soit en vue de la capitale.

Il cria plusieurs fois le nom de Martin Silenus, mais n’eut aucune autre réponse que l’envol affolé des colombes qui nichaient sous le dôme fracassé de l’une des anciennes galeries marchandes. Il secoua la tête et vira vers le sud, en direction de la Chaîne Bridée.

Par son grand-père Merin, le consul connaissait l’histoire du tapis hawking qu’il montait. C’était l’un des premiers qu’avait fabriqués Vladimir Cholokov, maître lépidoptériste et ingénieur systèmes EM renommé dans le Retz tout entier. Cette pièce était peut-être celle-là même qu’il avait offerte à sa jeune nièce. L’amour qu’il lui portait était devenu légendaire, de même que le fait que la jeune fille avait dédaigné son présent.

D’autres, cependant, avaient adoré cette idée. Il avait fallu bientôt interdire les tapis hawking sur les mondes où l’on voulait maintenir une réglementation efficace de la circulation aérienne. Mais ils étaient toujours utilisés sur les planètes coloniales, et c’était ce tapis qui avait permis au grand-père du consul de rencontrer sa grand-mère Siri sur Alliance-Maui.

Il leva les yeux pour voir les premiers pics montagneux. En dix minutes de vol, il avait déjà traversé un espace qu’ils avaient mis deux heures à parcourir à pied. Les autres lui avaient demandé de ne pas s’arrêter à la forteresse de Chronos pour y chercher Silenus. S’il était arrivé là-bas quelque chose au poète, le consul pourrait y subir le même sort avant que son voyage n’eût commencé. Il se contenta donc de survoler les bâtiments qui surplombaient le vide de deux cents mètres, et d’opérer un passage tout près de la terrasse d’où ils avaient contemplé la vallée, trois jours plus tôt.

Il cria de nouveau le nom du poète, mais seul l’écho lui répondit, répercuté dans les corridors noirs et les salles de banquet de la forteresse. Il s’agrippait fermement aux bords du tapis, se sentant vulnérable à cause de la proximité des falaises. Il poussa un soupir de soulagement quand il laissa la forteresse derrière lui pour gagner de l’altitude en direction des cols où la neige brillait sous la clarté des étoiles.

Il suivit les câbles du téléphérique reliant à travers le vide des pics qui culminaient à neuf mille mètres d’altitude. Le froid était vif, et le consul se félicita d’avoir pris le manteau chauffant de rechange que lui avait donné Kassad. Il faisait très attention de ne pas exposer ses mains ni ses joues à l’air libre. Le gel du masque à osmose lui couvrait le visage comme un symbiote affamé, happant le peu d’oxygène que l’atmosphère raréfiée pouvait fournir.

C’était cependant suffisant. Il respirait par petites gorgées très lentes tout en volant à une dizaine de mètres au-dessus des câbles enrobés de glace. Aucune cabine de téléphérique n’était en vue. La sensation d’isolement, au-dessus des pics nus, des glaciers et des vallées plongées dans l’ombre, était à la limite du supportable. Le consul était cependant heureux d’avoir entrepris ce voyage, qui lui permettait d’admirer, peut-être pour la dernière fois, la terrible beauté d’Hypérion, que ne gâtait ici ni la menace du gritche ni celle de l’invasion extro.

Le téléphérique avait mis douze heures pour traverser les montagnes du sud au nord. Malgré la faible vitesse du tapis hawking, qui n’évoluait guère à plus de vingt kilomètres à l’heure, le consul accomplit le voyage en six heures. Il survolait encore les sommets lorsque le soleil se leva. Il se réveilla en sursaut, réalisant avec effroi qu’il s’était endormi, perdu dans ses rêves, alors que le tapis se dirigeait vers un pic qui dépassait d’au moins cinq mètres son altitude de vol. Il distinguait, cinquante mètres plus loin, les champs de neige et les rochers. Un oiseau noir de trois mètres d’envergure, un de ceux que les autochtones appelaient des augures, quitta son perchoir de glace et décrivit des courbes dans l’air raréfié, observant le consul de ses yeux noirs et ronds. Ce dernier sentit soudain que quelque chose lâchait dans les commandes de vol du tapis. Il perdit trente mètres avant de pouvoir le redresser.

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