Mac Intosh plongea derrière son bureau et sortit trois verres crasseux d’un tiroir, les disposa en triangle puis déboucha une bouteille bleu sombre sur laquelle était simplement écrit : ENCRE.
Il en versa une bonne rasade pour Hawkes, puis une seconde. Mais comme il poussait le verre vers Alan, celui-ci secoua la tête.
— Je suis désolé mais je ne bois pas d’alcool. Le règlement à bord des vaisseaux nous interdit d’en avoir.
— Oh ! Allons, pour l’instant, vous n’êtes pas en service !
Alan, de nouveau, refus de la tête. Mac Intosh, haussant les épaules, remit alors le troisième verre à sa place et s’empara du second.
— À la santé de Steve Donnell ! déclama-t-il. Et à son bon sens, si celui-ci l’a poussé à s’inscrire chez nous.
Alan les regardait boire lorsqu’un timbre retentit au moment où un tube jaillissait du terminal.
Tout son être se crispa tandis que Mac Intosh traversait à nouveau la pièce ; le gros bonhomme dégagea le message du cylindre, les regarda… et son visage se fendit d’un énorme sourire.
— Toi, Spacio, t’as du pot ! Ton frère s’est bien fait inscrire ici. Voici la photocopie de sa fiche.
Alan examina le papier qui portait la mention :
« Demande d’admission au Régime des Citoyens Autonomes. » Immédiatement, il reconnut l’écriture familière de Steve : effrontée mais broussailleuse, les lettres un peu penchées en arrière.
Il avait donné son nom, Steve Donnell, comme année de naissance 3576 et son âge réel : 17 ans. Dans la rubrique « métier précédent », il avait écrit « spacio ». Le formulaire était daté du 4 juin 3867 et une annotation, en marge, indiquait que sa demande avait été entérinée le 11 juin de la même année, lui conférant dès lors le statut d’Autonome.
— Ainsi, il s’est bien fait inscrire ? fit Alan. Bon ! Mais maintenant, comment le localiser ?
Hawkes se saisit de la photocopie.
— Un instant ! Faites voir ça ?
Il dut plisser les yeux pour déchiffrer les caractères minuscules puis, hochant la tête, il inscrivit quelque chose.
— Son numéro de biocode est du coin. Jusqu’ici, ça va !
Puis retournant l’imprimé, il examina la reproduction de la photo de Steve ; il releva alors les yeux pour les poser sur Alan et le dévisager.
— Deux vraies gouttes d’eau ces deux-là ? Mais il y a fort à parier que celui-ci n’a pas la même tête à l’heure actuelle. Après neuf ans de Statut Autonome… ! Il n’y a vraiment que pour les rares veinards que ça nourrit son homme, hein, Max ! fit Mac Intosh, mi-amer, mi-ironique.
— Nous sommes quelques-uns à tirer notre épingle du jeu, en effet… Mais, il faut avoir le truc, c’est sûr… Sinon, c’est la famine assurée ! Allez, mon gars ! On va monter quelques étages ! Maintenant, il nous faut aller à la salle des terminaux TV. Merci bien pour le coup de main, Hines. T’es un vrai pote !
— Boah !… Je fais mon boulot, c’est tout ! répondit Mac Intosh. On te voit ce soir, comme d’habitude ?
— Sans doute pas ! Je crois que je vais me payer une soirée tranquille ! Une envie, comme ça…
— Ouah ! Ça laisse du champ libre aux amateurs, ça ! P’têt bien qu’c’est moi qui vais tenir le pompon, ce soir !
— J’espère pour toi, répliqua Hawkes avec un sourire glacé… Allons-y, mon gars !
L’ascenseur extérieur les emporta jusqu’au dernier étage. Là, il s’ouvrait directement sur la salle la plus immense qu’Alan ait jamais vue. Elle était plus colossale encore que le hall du fichier central, au rez-de-chaussée, et faisait bien trente mètres de haut sur cent vingt mètres de côté.
Et chaque pouce de terrain était occupé par des batteries d’ordinateurs.
— Vous avez sous les yeux le centre nerveux de la planète, expliqua Hawkes, tandis qu’ils entraient. Si vous savez programmer vos demandes comme il faut, vous pouvez immédiatement découvrir n’importe quel individu au monde, où qu’il puisse se trouver, à l’instant même.
— Mais comment ?
Hawkes donna une pichenette à un petit anneau métallique incrusté dans la bague qui ornait son doigt.
— Grâce à ceci. C’est mon émetteur biocode. Quiconque détient une carte de travail ou bien le Statut Autonome en porte un, soit sous forme de bague, soit en médaillon, pendu au cou ou bien ailleurs. Certaines personnes se le font même greffer sous la peau. Ils émettent une certaine onde, absolument spécifique à chacun ; la probabilité statistique pour que deux biocodes soient identiques serait de une sur un milliard de milliard. Tous ces appareils que vous voyez là, sont capables d’identifier un biocode donné et de déterminer avec une rigoureuse exactitude la situation géographique de celui auquel il appartient.
— Alors, retrouver Steve ne devrait pas présenter de grandes difficultés ?
— Probablement pas. (Hawkes se rembrunit.) Mais j’ai également entendu dire qu’une fois, on avait retrouvé un type grâce à son biocode. Seulement, cela faisait déjà cinq ans qu’il dormait au fond de la mer… Enfin, inutile de vous alarmer pour rien. Steve est sans doute en pleine forme…
Il se saisit de la feuille de papier sur laquelle il avait griffonné le numéro de biocode de Steve et l’inscrivit sur un formulaire vierge.
— En somme, avec ce système, demanda Alan, personne ne peut se cacher où que ce soit sur Terre, à moins de se débarrasser de son émetteur personnel ?
— Oui, mais il est impossible de s’en défaire. C’est absolument illégal ! Que quelqu’un s’en éloigne de plus de quinze centimètres et aussitôt une alarme se déclenche, il est considéré comme suspect et arrêté. Pas question de faire l’imbécile avec son émetteur ! Ou alors, c’est la confiscation immédiate de la carte de travail, et pour un Autonome, une belle amende de dix mille crédits !
— Et si vous ne pouvez pas la payer ?
— Dans ce cas, le gouvernement vous condamne à travailler pour lui jusqu’à épuisement de la dette, à raison de mille crédits par an, et vous allez casser des cailloux dans un pénitencier de l’Antarctique… Le système n’admet aucun écart, et cela doit en être ainsi. Sur une Terre aussi démesurément surpeuplée comme la nôtre, il est indispensable qu’il existe une méthode efficace permettant de localiser les individus, sinon la criminalité serait dix fois plus élevée que maintenant.
— Parce que malgré cela, le crime existe toujours ?
— Pour ça, oui ! Vous trouverez toujours quelque pauvre type assez affamé pour chiper un peu de nourriture, même sachant pertinemment que cela signifie l’arrestation à coup sûr ! Mais les meurtres sont moins fréquents.
Hawkes glissa l’imprimé de recherche dans une fente.
— Vous seriez surpris de constater l’efficacité dissuasive de cette mesure, poursuivit-il. Pas facile d’aller se planquer en Amérique du Sud, par exemple, alors que n’importe qui peut venir ici et vous débusquer avec une implacable certitude.
Un moment s’écoula, puis l’appareil émit un bruit métallique, et la fente cracha une bande de papier glacé rose.
Alan l’examina. On pouvait y lire :
FICHIER DU BIOCODE
21 mai 3876
Localisation de Donnell Steve, YC 83 – 10j6490K37618
Heure : 1643 21
Suivait une carte détaillée d’une partie de la ville couvrant environ une quinzaine de blocs d’immeubles, portant, au centre, un rond rouge vif.
Hawkes, après avoir jeté un coup d’œil sur le plan, sourit.
— Je me doutais bien que c’était dans ce coin-là qu’on le trouverait.
— Où est-ce ?
— Au coin de la 68 eAvenue et de la 423 eRue.
— Et c’est là qu’il habite ?
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