— Allô ?
— Raheema ? C’est Peter.
— Peter ! Ça me fait plaisir de t’entendre.
— Merci. Est-ce que Sarkar est là ?
— Il est en bas, en train de regarder un match de hockey.
— Est-ce que je pourrais lui parler ? C’est très important.
Raheema pousse alors un soupir rêveur.
— Moi, je ne me risque jamais à lui parler quand il est devant un match. Une seconde…
Enfin, il entend la voix de Sarkar au bout du fil.
— On en est à six tirs au but de part et d’autre. J’espère que tu ne me déranges pas pour rien…
— Désolé. Dis-moi, est-ce que tu as entendu parler d’un meurtre accompagné de mutilation ? C’était il y a un peu plus d’un mois.
— Ça me dit quelque chose, en effet.
— La victime était un collègue de Cathy.
— Ah !
— Et…
— Oui.
C’est ton meilleur ami, se répète Peter. Ton meilleur ami… Il ressent comme un haut-le-cœur. Tous ces dîners en tête à tête, ces occasions manquées, pour finir par tout lui déballer au téléphone…
— Cathy avait eu une liaison avec lui.
— C’est vrai ? dit Sarkar d’un ton choqué.
— Oui, parvient à articuler Peter.
— Ah ! ça…
— Et comme tu le sais, le père de Cathy est récemment décédé.
— En effet. J’en ai été très peiné.
— Je n’en dirais pas autant, confesse Peter en s’arrêtant au feu rouge.
— Que veux-tu dire ?
— La police prétend qu’il a été assassiné.
— Assassiné ?
— Oui. Tout comme le collègue de Cathy.
— A’udhu billah.
— Ce n’est pas moi qui l’ai fait.
— Bien sûr que non.
— Mais dans un sens, leur mort m’arrangeait. Et…
— C’est toi qu’on soupçonne ?
— Plus ou moins.
— Et tu n’es pas coupable ?
— Non. Du moins, pas dans ma version courante.
— Dans ta ver… Oh !
— Tu m’as compris.
— Rendez-vous à Mirror Image, dit Sarkar avant de raccrocher.
Peter habite plus près du siège de Mirror Image que Sarkar. Comme en plus il avait une longueur d’avance, il doit patienter une bonne demi-heure sur le parking vide.
Enfin, la Toyota de Sarkar se gare près de sa Mercedes. Peter l’attendait dehors, adossé à une portière.
— Les Leaves ont gagné, annonce Sarkar. Je l’ai entendu à la radio en venant.
Peter opine, comprenant le besoin qu’a son ami de se raccrocher à la réalité.
— Comme ça, tu crois que… Tu crois qu’un des clones… commence Sarkar, redoutant d’exprimer tout haut sa pensée.
— Je crains que oui.
Tout en parlant, ils ont atteint les portes vitrées de Mirror Image. Sarkar présente son pouce au scanner de la serrure électronique.
— On a établi que quelqu’un s’est servi du nom d’un type que j’ai connu à la fac pour consulter le dossier médical de mon beau-père.
Ils empruntent un couloir.
— Comment avait-il eu son mot de passe ?
— À l’université, chacun se crée une adresse en juxtaposant les initiales de ses nom et prénoms. Quant au mot de passe… Lors du premier cours, tout le monde utilise son patronyme à l’envers, pour parer au plus pressé. On te conseille d’en changer par la suite, mais tu as toujours des idiots qui oublient de le faire. Si un de mes clones a réellement cherché à s’introduire dans une base de données, il est probable qu’il a essayé les noms de tous les étudiants en médecine que j’ai connus à l’époque, histoire de vérifier si l’un d’eux n’avait pas conservé son ancien mot de passe.
Arrivé à la porte du labo, Sarkar présente son pouce à un second scanner. La porte coulisse sans bruit.
— Il ne nous reste plus qu’à débrancher les clones, remarque-t-il. Qu’est-ce qu’il y a ? ajoute-t-il en voyant l’expression défaite de Peter.
— Je ne suis pas d’accord. D’abord, il est probable qu’il n’y a qu’un coupable. Pourquoi les autres devraient-ils payer pour lui ?
— On n’a pas le temps de jouer les détectives. Il est urgent de tout arrêter avant que l’assassin ne frappe à nouveau.
— Mais qui te dit qu’il en a l’intention ? Je sais pourquoi Hans est mort et, pour être franc, je ne l’en plains pas. Même le meurtre de mon beau-père, j’arrive à le comprendre. Mais je ne vois personne d’autre dont je puisse souhaiter la mort. Il y a bien des gens qui m’ont fait du mal, mais je ne leur en veux pas assez pour ça.
— Réveille-toi, Peter, reprend Sarkar en faisant mine de gifler son ami. Ce qui serait criminel, ce serait de les conserver.
— Tu as raison, bien sûr, acquiesce Peter d’un air sombre. Il faut agir sans attendre.
Sarkar fait craquer ses phalanges, tire un tabouret devant l’ordinateur principal puis attaque :
— Ouvrir session !
— Identification ?
— Sarkar.
— Bienvenue, Sarkar. Instruction ?
— Supprimer sous-répertoires Témoin, Esprit, Ambrotos.
— Confirmer ?
— Confirmé.
— Illégal : fichiers en lecture seule. Instruction ?
— Autoriser accès répertoires indiqués.
— Illégal, protection mot de passe. Instruction ?
— Abu Yusuf.
— Incorrect. Instruction ?
— C’est pourtant le seul que j’utilise, dit Sarkar en se tournant vers Peter.
— Essaie encore.
— Confirmé.
— Incorrect. Instruction ?
— Utilisateur ? interroge Sarkar.
— Hobson, Peter G. Instruction ?
Le cœur de Peter se met à battre à coups redoublés.
— Merde !
— Afficher Session Hobson, Peter G., demande Sarkar.
Une liste de dates et d’heures apparaît sur l’écran.
— Tu as vu ? s’exclame Sarkar. Point neuf-neuf-neuf : c’est le mode Aide. Les connexions ont eu lieu à l’intérieur même du système.
— Bordel ! gronde Peter en se penchant vers le micro. Ouvrir session !
— Identification ?
— Fobson.
— Bienvenue, Peter. Fermer précédentes sessions ?
— Localisations ?
— Extensions « .001 » et « .999 ».
— Fermer extension « .999 ».
— Illégal.
— Nom de Dieu ! Se peut-il que l’extension .001 l’emporte sur celle-ci ? demande Peter à Sarkar.
— Non. La session la plus récente est prioritaire.
— O.K. ! fait Peter en se frottant les mains. Administrateur, Inhibition, Verrouillage.
— Mot de passe ?
— Mugato.
— Incorrect. Instruction ?
— Sybok.
— Incorrect. Instruction ?
— Merde ! Je n’en ai pas d’autres.
Sarkar pousse un profond soupir.
— Ils n’ont pas l’intention de se laisser effacer.
— Et si on mettait le système off-line ?
Sarkar s’approche du micro.
— Éteindre !
— Travaux en cours, confirmer ?
— Confirmé.
— Mot de passe ?
— Abou…
Le voyant du micro s’éteint brusquement.
— Ils ont court-circuité la saisie vocale ! s’écrie Sarkar en abattant le poing sur la console.
— Seigneur !
— C’est idiot, bougonne Sarkar en s’emparant du téléphone. Il reste la solution de tout débrancher.
— Service de maintenance, fait une voix de femme au bout du fil.
— Ici le Dr Muhammed. Je sais qu’il est tard, mais on a, hum… un petit problème. Il faudrait que vous mettiez notre équipement hors tension.
— Que je coupe le courant ?
— C’est ça.
— D’accord. C’est l’affaire de quelques minutes. Mais n’oubliez pas que le matériel informatique continuera de fonctionner sur batteries.
— Pendant combien de temps ?
— Entre six à sept minutes, soit le temps moyen d’une panne de secteur.
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