Peter et Cathy sont déjà couchés, mais comme ils ne dorment pas, le moniteur Hobson autorise le téléphone à sonner. Peter cherche le combiné à tâtons dans l’obscurité (bien entendu, la chambre n’est pas équipée d’un visiophone).
— Allô ?
— Oh, Peter ! Peter ! fait une femme en larmes.
— Bunny ?
En entendant le nom de sa mère, Cathy se dresse dans le lit.
— Lumière ! appelle-t-elle.
L’ordinateur allume les deux lampes de plancher.
— Peter… Rod est mort.
— Ô mon Dieu !
— Qu’est-ce qu’il y a ? fait Cathy d’un ton inquiet.
— Comment est-ce arrivé ? demande Peter, le cœur battant.
— En rentrant de mon cours, je l’ai trouvé étendu par terre dans la salle à manger.
— Vous avez appelé une ambulance ?
— Qu’est-ce qu’il y a ? répète Cathy, cette fois paniquée.
Bunny a tant pleuré qu’elle doit se moucher avant de pouvoir répondre :
— Oui. Elle est en route.
— On arrive dès que possible, dit Peter avant de raccrocher.
— Qu’est-ce qui se passe, à la fin ?
Peter regarde sa femme et lit la terreur dans ses yeux immenses. Comment lui annoncer la nouvelle ?
— C’était ta mère, commence-t-il, histoire de gagner du temps. Ton père… Elle pense que ton père est mort.
L’horreur se peint sur le visage de Cathy. Elle secoue lentement la tête, l’air abasourdi.
— Habille-toi, fait Peter d’une voix douce. Il faut qu’on y aille.
INFO-NET
Selon une enquête réalisée par Gallup, la fréquentation des églises américaines serait en hausse de 13,75 % par rapport à la même période l’an dernier.
L’hôpital Christian Barnard de Mandelaville (Azanie) a fait savoir aujourd’hui qu’il se baserait désormais sur la fuite de l’onde vitale pour déterminer l’heure des décès.
Le réalisateur Jon Tchobanian travaille actuellement sur un nouveau film produit par ordinateur. Celui-ci, Chasseur d’âmes , raconte l’histoire d’un infirmier psychiatrique qui emprisonne des âmes dans des flacons magnétiques afin de réclamer une rançon à leurs propriétaires. « Comme il se doit pour un film sur la vie après la mort, a déclaré Tchobanian, la distribution est entièrement composée de clones informatiques d’acteurs morts. » Les premiers rôles sont tenus respectivement par Boris Karloff et Peter Lorre.
Life Unlimited (San Rafael, Californie) a enregistré ce mois-ci un nombre de commandes record pour son procédé d’immortalité par nanotechnologie. À en croire la psychanalyste Gudrun Mungay, ce phénomène serait lié à la découverte de l’onde vitale : « Certaines personnes, a-t-elle commenté, redoutent à l’évidence d’être un jour confrontées à leur Créateur. »
Justice : Gordon Spitz, le violeur en série dont le procès vient de s’ouvrir à Oshkosh (Wisconsin), a annoncé qu’il plaiderait non coupable. Spitz (qui a déclaré voyager hors des limites de son corps depuis l’âge de douze ans) prétend que son âme était absente au moment des viols et que, par conséquent, il ne saurait être tenu pour responsable des crimes commis par son corps.
Décembre 2011
Des fois, rien ne vaut un bon vieux clavier. On n’a encore rien inventé de mieux pour bidouiller à son aise. Sandra Philo tire vers elle le clavier de son ordinateur de table et entre tous les noms ayant un rapport avec le meurtre de Hans Larsen, y compris ceux de la rue où il vivait, de la société qui l’employait et de tous ses voisins, parents, amis et collègues. Elle entre également un certain nombre de termes liés à la mutilation qui lui a été infligée.
Le tout constitue une liste d’environ deux cents mots. Elle lance ensuite sa requête pour recouper ceux des dossiers de tous les homicides commis dans la région de Toronto durant l’année écoulée. Une indication de travail en cours défile sur l’écran, indiquant que la machine travaille. Quelques secondes lui suffisent pour s’acquitter de sa tâche : rien de significatif.
Sandra n’est pas autrement surprise. Si un meurtre comparable s’était déjà produit, elle s’en souviendrait. Ce n’est pas tous les jours qu’on trouve un cadavre le pénis tranché. L’ordinateur lui propose d’élargir sa recherche à tout l’Ontario, au Canada et même au continent nord-américain. Il lui suggère aussi de remonter dans le temps.
À supposer qu’elle choisisse l’option la plus large (les homicides commis en Amérique du Nord au cours des dix dernières années), la recherche prendra plusieurs heures. Elle penche pour l’option « Ontario » mais au dernier moment, elle se ravise et inscrit dans la fenêtre de dialogue : « morts RT > 01062011 » – c’est-à-dire, tous les décès survenus dans la région de Toronto depuis le 1er juin de l’année en cours.
La ligne de points recommence son manège et quelques secondes plus tard, les mots suivants s’affichent sur l’écran :
Nom : Larsen, Hans
Date : 14 nov. 2011
Cause du décès : homicide
Terme commun : Hobson, Catherine R. (collègue)
Nom : Churchill, Roderick B.
Date : 30 nov. 2011
Cause du décès : mort naturelle
Terme commun : Hobson, Cathy (fille)
Catherine Hobson… La jolie brune qui, d’après Toby Bailey, a été la maîtresse de Hans Larsen. Son père vient juste de mourir.
Sans doute une coïncidence. Pourtant… Sandra appelle le registre de l’état civil de Toronto. Il n’y a qu’une Catherine Hobson dans l’agglomération et son nom de jeune fille est bien Churchill… Juste ciel ! Elle est mariée à Peter G. Hobson, ingénieur biomédical. Le type qui a découvert l’onde vitale – Sandra l’a vu à la télé. Ces deux-là doivent nager dans le fric… Assez pour s’offrir les services d’un tueur à gages.
Sandra rappelle la base de données de la police et demande des détails sur la mort de Roderick Churchill. Celui-ci (un prof de gym de lycée) est décédé chez lui en dînant seul. Le médecin légiste Warren Chen a noté que la mort était due à un « anévrisme (?) ». Intriguée par le point d’interrogation, Sandra se saisit de son visiophone.
— Salut, Warren, dit-elle en voyant apparaître le visage rond de Chen.
— Salut, Sandra, répond Chen avec un large sourire. Qu’y a-t-il pour ton service ?
— Je t’appelle au sujet d’un certain Roderick Churchill, mort il y a deux jours.
— Le prof de gym qui rabattait ses cheveux par-dessus sa calvitie ? Qu’est-ce que tu veux savoir ?
— Tu as indiqué que la mort était due à un anévrisme.
— Mmh ?
— Mais pourquoi le point d’interrogation ?
— Tu sais, il n’y a jamais de certitude absolue. Quand le bon Dieu a décidé de te rappeler, il n’a que l’embarras du choix quant au moyen. Clac ! Anévrisme. Dans le cas qui nous occupe, c’est ce qui semble s’être produit. Ce type avait un traitement pour le cœur.
— Tu n’as rien remarqué d’anormal ?
Chen émet alors le gloussement caractéristique qui lui sert de rire.
— Hélas, non, Sandra. Il n’y a rien de scandaleux à ce qu’un vieux de soixante et quelques piges passe en cinq sec – surtout un prof de gym. Ces types se croient en pleine forme quand ils se contentent le plus souvent de regarder les autres suer. Il est mort en s’enfilant un plat préparé.
— Tu as pratiqué une autopsie ?
Le médecin légiste glousse à nouveau.
— Tu sais aussi bien que moi ce que coûte une autopsie… Non, j’ai juste effectué quelques tests sur place avant de signer le certificat. La veuve – elle s’appelle Bunny, figure-toi. Je te demande un peu ! En bref, c’est elle qui a trouvé le corps. Sa fille et son gendre étaient déjà là quand on est arrivés, sur le coup de 1 h 30. Mais au fait, pourquoi toutes ces questions ?
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