Son cœur cognait sa poitrine quand elle descendit. Elle évita de justesse une toile d’araignée. Et fit de son mieux pour ignorer la sensation d’avoir des bestioles grouillant partout sur son corps.
Une fois arrivée sur le sol en béton, elle prit une grande respiration pour se calmer. Après tout, ce n’était qu’une cave vide dans une maison abandonnée. Qui ressemblait à n’importe quelle cave. Il restait quelques étagères ici, et un vieil établi qui avait été celui de Vladek, mais sans les outils. À côté était posé un bidon vide, et quelques journaux froissés étaient jetés dans un coin. Rien de sensationnel. Mis à part un détail : la chaîne longue de trois mètres vissée au mur.
Les mains d’Erica tremblaient violemment quand elle chercha les photographies correspondantes. La chaîne était la même, juste un peu plus rouillée. Il manquait les menottes. La police les avait emportées. Elle avait lu dans le dossier de l’enquête qu’on avait été obligé de les scier parce qu’on n’avait pas trouvé de clé. Elle s’accroupit, toucha la chaîne, la soupesa dans sa main. Lourde et incassable, elle aurait résisté à une personne bien plus grande qu’une enfant de sept ans maigre et sous-alimentée. C’était ahurissant, ce qui pouvait se passer dans la tête des gens.
Erica sentit la nausée monter. Il lui faudrait sûrement suspendre ses visites à Laila quelque temps. Elle aurait le plus grand mal à supporter un tête-à-tête avec elle après avoir vu de ses propres yeux ce dont elle avait été capable. Les photographies, c’était une chose mais, accroupie ici avec la lourde et froide chaîne dans ses mains, elle se représentait encore plus nettement la scène que les policiers avaient eue sous les yeux ce jour-là, en mars 1975. Elle ressentit l’horreur qu’ils avaient dû éprouver lorsqu’ils avaient descendu l’escalier et découvert une enfant enchaînée au mur.
Il y eut un léger cliquetis dans un coin et Erica se redressa vivement. Son cœur se remit à tambouriner. La lumière s’éteignit et elle poussa un cri. La panique la saisit de toute sa force, elle respira par saccades superficielles tandis que, la gorge nouée, elle cherchait à rejoindre l’escalier. Partout elle entendait des petits bruits bizarres, et lorsque quelque chose frôla son visage, elle poussa de nouveau un cri hystérique. Elle fit de gros moulinets désordonnés avec les bras, avant de réaliser qu’elle avait foncé droit dans une toile d’araignée. Dégoûtée, elle se lança dans la direction où devait se trouver l’escalier et prit la rampe en plein ventre. La lumière clignota puis revint. La terreur la tenait dans ses griffes, l’empêchant de respirer. Elle saisit la main courante, monta l’escalier en trébuchant, loupa une marche et se cogna le tibia, puis parvint malgré tout à grimper et à débouler dans la cuisine.
Soulagée, elle tomba à genoux après avoir claqué la porte derrière elle. Sa jambe et son ventre lui faisaient mal, mais elle ignora la douleur et se concentra sur son souffle. Il fallait à tout prix qu’elle respire plus calmement pour surmonter la panique. Elle se sentit un peu ridicule, ainsi agenouillée. La peur du noir de l’enfance semblait ne jamais vouloir la quitter et, en bas, dans la cave, elle avait été presque paralysée par l’épouvante. Pendant quelques instants elle avait vécu un fragment de ce que Louise avait vécu ici. Mais elle avait pu se précipiter vers la lumière et la liberté, tandis que Louise était restée là, dans l’obscurité.
L’horreur du sort de la fillette la frappa pour la première fois de plein fouet, et Erica appuya sa tête contre ses genoux et se mit à pleurer. Elle pleura pour Louise.
Martin observa Marta préparer le café. Il ne l’avait jamais rencontrée auparavant mais, comme tout le monde dans la région, il connaissait l’existence du vétérinaire de Fjällbacka et de sa femme. Les gens avaient raison : elle était belle, mais d’une beauté pour ainsi dire inaccessible, et cette sorte de froideur était renforcée par sa pâleur saisissante.
— Vous devriez peut-être parler avec quelqu’un, suggéra-t-il.
— Avec un pasteur, vous voulez dire ? Ou un psychologue ? Ce n’est pas moi qu’il faut plaindre. Je suis juste un peu… bouleversée.
Elle secoua la tête, le regard rivé au sol, mais releva rapidement les yeux pour fixer Martin.
— Je pense sans cesse à la famille de Victoria. Alors qu’ils la retrouvent enfin, ils la perdent à nouveau. Elle était si jeune, si douée…
— Oui, c’est effroyable.
Martin examina la cuisine. Elle n’était pas désagréable, mais il devina que l’aménagement intérieur n’était pas la tasse de thé des occupants de la maison. Les objets paraissaient posés là par hasard, et même si le ménage était fait, une faible odeur de cheval flottait dans la pièce.
— Est-ce que vous avez une idée de qui a pu lui faire ça ? Est-ce que d’autres filles pourraient être en danger ? demanda Marta.
Elle servit le café avant de s’installer en face de lui.
— Nous ne pouvons pas nous prononcer là-dessus.
Il aurait aimé avoir une meilleure réponse à lui fournir, et son ventre se noua quand il pensa à l’inquiétude que devaient ressentir tous les parents de jeunes filles. Il s’éclaircit la gorge. S’engluer dans ce genre de considérations était improductif. Il devait se concentrer sur son boulot et trouver ce qui était arrivé à Victoria. C’était la seule façon de les aider.
— Parlez-moi de ce qui s’est passé hier, dit-il, avant d’avaler une gorgée de café.
Marta sembla réfléchir quelques secondes. Puis, d’une voix basse, elle raconta sa promenade à cheval, comment elle avait vu la jeune fille surgir de la forêt. Elle bafouilla à quelques reprises, et Martin ne chercha pas à la presser, il la laissa raconter à son rythme. Il ne pouvait même pas imaginer à quel point la vision avait dû être épouvantable.
— Quand je me suis rendu compte que c’était Victoria, je l’ai appelée plusieurs fois. Je lui ai crié qu’il y avait une voiture, mais elle n’a pas réagi. Elle continuait d’avancer, comme un robot.
— Vous n’avez pas vu d’autres voitures dans les parages ? Quelqu’un dans la forêt ou tout près ?
Marta secoua la tête.
— Non. J’ai essayé de passer en revue ce qui s’est passé, mais je n’ai réellement rien vu d’autre, ni avant ni après l’accident. Il n’y avait que moi, et le conducteur. Tout est allé si vite, et j’étais tellement concentrée sur Victoria.
— Vous étiez proches, avec Victoria ?
— Ça dépend du sens que vous donnez au mot “proche”, répondit Marta en passant son doigt sur le bord de sa tasse. J’essaie d’être proche de toutes les filles du club, et Victoria y venait depuis des années. Nous sommes comme une grande famille ici, même si elle est un peu dysfonctionnelle parfois. Victoria faisait partie de cette famille.
Elle détourna le regard. Martin vit un scintillement dans ses yeux et lui tendit une serviette en papier d’une boîte sur la table. Elle la prit et se tamponna les paupières.
— Vous rappelez-vous quelque chose de suspect qui aurait eu lieu autour du centre équestre, quelqu’un qui semblait surveiller les filles ? Un ancien employé peut-être que nous devrions regarder de plus près ? Je sais que nous avons déjà posé ces questions, mais elles ressurgissent forcément maintenant que Victoria a été retrouvée dans le secteur.
— Je comprends, mais je ne peux que répéter ce que j’ai déjà dit. On n’a pas eu de problèmes de ce genre, et on n’a pas d’employés. Notre école d’équitation est située loin de tout et on remarquerait immédiatement quelqu’un qui rôderait dans les parages. Le coupable a dû repérer Victoria ailleurs. Elle était mignonne.
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