Probablement avant qu’il ne puisse changer d’avis , supposa-t-elle.
Pendant un bref moment, elle pensa avec tristesse à leur ancienne maison d’Alexandria, là où elle avait vécu avec Sara et leur père avant que toute cette folie ne débute. À l’époque, elles croyaient encore que leur père était professeur d’histoire, avant qu’elles ne découvrent qu’il était agent sous couverture à la CIA, avant qu’elles ne soient kidnappées par un assassin psychopathe qui les avait vendues à des trafiquants d’êtres humains. Elles pensaient alors que leur mère était morte d’une attaque puissante et soudaine, tandis qu’elle retournait à sa voiture après sa journée de travail, alors qu’elle avait été assassinée par un homme qui avait sauvé la vie des filles à plus d’une occasion.
Maya secoua la tête et chassa les mèches sur son front, comme si elle essayait de repousser ces pensées. Il était temps de prendre un nouveau départ ou, au moins, d’essayer sincèrement.
Elle se retrouva devant la porte de l’appart de son père, quand elle réalisa qu’elle n’avait pas la clé et qu’elle aurait peut-être dû appeler avant pour s’assurer qu’il était chez lui. Mais après deux brefs coups frappés à la porte, le verrou sauta et la porte s’ouvrit. Maya se retrouva alors pendant plusieurs secondes étranges à observer un visage relativement étranger.
Elle devait bien admettre qu’elle n’avait pas vu Sara depuis trop longtemps, et c’était plus que clair en voyant maintenant le visage de sa jeune sœur. Sara se transformait rapidement en jeune femme, avec des traits bien définis… ou plutôt les traits de Katherine Lawson, leur défunte mère.
Ça va être plus dur que je ne le pensais . Alors que Maya ressemblait de plus en plus à son père, Sara avait toujours tenu de leur mère, que ce soit au niveau de la personnalité, des centres d’intérêt ou de l’apparence. Le teint de sa sœur cadette était plus pâle aussi que dans les souvenirs de Maya, même si elle ne savait pas si c’était sa mémoire qui lui jouait des tours ou le résultat de la cure de désintoxication. Ses yeux semblaient plus ternes, et il y avait de gros cernes bien visibles en dessous, même si Sara avait tenté de les camoufler avec du maquillage. Elle s’était teint les cheveux en rouge à un moment, au moins deux mois plus tôt et, maintenant, les premiers centimètres des racines dévoilaient sa blondeur naturelle. Elle les avait également fait raccourcir récemment, au niveau du menton, dans une coupe qui encadrait joliment son visage, mais qui lui donnait deux ans de plus. En fait, Maya et elle auraient très bien pu prétendre qu’elles avaient le même âge.
“Hello,” dit simplement Sara.
“Salut.” Une fois passée la surprise initiale de voir sa sœur autant changée, Maya sourit. Elle posa au sol son sac vert kaki pour étreindre Sara, qui la serra elle aussi à son tour, comme si elle avait attendu de voir comment sa grande sœur allait réagir. “Tu m’as manqué. Je voulais rentrer immédiatement à la maison quand Papa m’a dit ce qui s’était passé…”
“Je suis contente que tu ne l’aies pas fait,” répondit honnêtement Sara. “Je m’en serais vraiment voulu si tu avais quitté l’école à cause de moi. D’ailleurs, je ne voulais pas que tu me voies… comme ça.”
Sara quitta les bras de sa sœur et attrapa son sac avant que Maya ne puisse protester. “Entre,” dit-elle. “Bienvenue à la maison, si je puis dire.”
Bienvenue à la maison . Mais elle se sentait bien peu chez elle ici. Maya la suivit à l’intérieur de l’appartement. C’était un endroit assez joli, moderne, avec beaucoup de lumière naturelle, mais assez austère toutefois. S’il n’y avait pas eu un peu de vaisselle dans l’évier et la télévision allumée dans le salon à faible volume, Maya n’aurait jamais cru que quelqu’un vivait ici. Il n’y avait pas de photos aux murs, aucune décoration indiquant le moindre style ou personnalité.
Un peu comme un tableau vierge. Mais elle devait bien admettre qu’un tableau vierge correspondait parfaitement à leur situation.
“Voilà, c’est tout,” annonça Sara, comme si elle lisait dans la tête de Maya. “Du moins, pour le moment. Il n’y a que deux chambres, donc on devra partager la mienne…”
“Je peux prendre le canapé, ça ne me dérange pas,” proposa Maya.
Sara sourit timidement. “Et ça ne me dérange pas de partager. Ce sera comme quand on était petites. Ce sera… cool de t’avoir près de moi.” Elle se râcla la gorge. Même si elles s’étaient souvent parlé au téléphone, c’était douloureusement évident que ça faisait bizarre d’être réunies à nouveau dans la même pièce.
“Où est Papa ?” demanda soudain Maya, et peut-être d’une voix un peu trop forte dans sa tentative de se débarrasser de la tension qu’elle ressentait.
“Il va rentrer d’une minute à l’autre. Il s’est arrêté faire quelques courses après le boulot, histoire d’acheter des trucs qui manquaient pour demain.”
Après le boulot. Elle avait dit ça de manière tellement naturelle, comme s’il sortait d’un simple bureau, et non du QG de la CIA à Langley.
Sara se hissa sur un tabouret de bar au comptoir qui séparait la cuisine et la petite salle à manger. “Comment ça se passe à l’école ?”
Maya appuya ses coudes contre le comptoir. “L’école, c’est…” Elle s’interrompit. Même si elle n’avait que dix-huit ans, elle était en deuxième année à West Point, à New York. Elle avait passé les tests précoces au lycée et avait été acceptée à l’académie militaire grâce à une lettre de l’ancien Président Eli Pierson, dont la tentative d’assassinat avait été déjouée par l’Agent Zéro. À présent, elle était première de sa classe, peut-être même de toute l’académie. Mais une récente brouille avec son pseudo ex petit ami Greg Calloway avait tourné en une sorte de bizutage et d’intimidation. Maya refusait de céder, mais elle devait avouer que ça lui pourrissait la vie ces derniers temps. Greg avait beaucoup d’amis, et c’étaient tous des garçons plus âgés de l’académie que Maya avait rencontrés une fois ou deux au moins.
“L’école, ça va bien,” finit-elle par dire en se forçant à sourire. Sara avait assez de problèmes comme ça. “Mais c’est un peu ennuyeux. Et toi alors, raconte-moi.”
Sara soupira, puis écarta les bras sur les côtés dans un grand geste pour montrer tout l’appart. “Comme tu vois. Je suis ici toute la journée, tous les jours. Je mate la télé. Je ne vais nulle part. Je n’ai pas d’argent. Papa m’a donné un téléphone sur son forfait, donc il peut garder un œil sur mes appels et messages.” Elle haussa les épaules. “C’est comme l’une de ces prisons pour cols blancs où ils envoient les politiciens et les célébrités.”
Maya sourit tristement à cette comparaison, puis demanda avec hésitation : “Mais, tu es… clean ?”
Sara acquiesça. “Autant que je puisse l’être.”
Maya fronça les sourcils. Elle savait beaucoup de choses sur beaucoup de sujets, mais pas sur la consommation de drogues à des fins récréatives. “Qu’est-ce que ça veut dire ?”
Sara regardait le comptoir en granit et faisait des petits ronds avec son index sur la surface lisse. “Ça veut dire que c’est dur,” avoua-t-elle à voix basse. “Je pensais que ce serait plus facile après les premiers jours, une fois que tout le poison aurait quitté mon corps. Mais ce n’est pas le cas. C’est comme si… comme si mon cerveau se souvenait de la sensation et qu’il la réclamait toujours. L’ennui n’aide pas. Papa ne veut pas que je trouve un boulot tout de suite, parce qu’il ne veut pas que je gagne de l’argent jusqu’à ce que j’aille mieux.” Elle haussa les épaules et ajouta, “Il me pousse à étudier pour passer mon équivalence.”
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