1 ...6 7 8 10 11 12 ...15 Pour Kat, qui avait été Ranger de l’armée américaine en Afghanistan et ignorait fièrement ses cicatrices, les internes comme les externes, c’était au moins la sixième fois. Elle avait finalement consenti à passer un bilan quand les maux de tête et les sifflements dans les oreilles n’avaient pas diminué au bout de deux semaines complètes. Elle devait encore rester cinq jours en Arizona, puis elle reviendrait ce week-end.
– Kat est une vétérane de l’armée qui souffre de troubles de stress post-traumatique, de troubles liés à des engins explosifs improvisés et probablement d’encéphalopathie traumatique chronique, lui dit Jessie. Moi, j’ai juste quelques brûlures.
Garland lui sourit d’un air paternel.
– Quels mots barbares ! Certes, ton amie doit affronter des problèmes potentiellement graves, mais toi aussi. Tu as subi plusieurs commotions cérébrales et tu as plus de cicatrices, physiques et émotionnelles, que la plupart des soldats. Combien de ces hommes ont été torturés par leur propre père biologique après l’avoir regardé assassiner leur mère ?
– Probablement quelques-uns, répondit sèchement Jessie.
– Et combien ont dû affronter ce même père dans un combat jusqu’à la mort ? Et plus tard tuer son protégé tueur en série ? Et affronter un ex-mari sociopathe et assassin ? Et …
– Je comprends, Garland, interrompit Jessie.
Il resta assis en silence pendant un moment.
– Je dis seulement que tu dois prendre soin de toi. Si tu ne veux pas le faire pour toi-même, pense à ta petite sœur et à ce bel inspecteur que tu aimes. Si tu ne ralentis pas ton activité, ces relations vont inévitablement en souffrir. Si tu fais attention à toi, cela t’aide à faire attention à eux.
Elle hocha la tête et prit une autre petite bouchée du muffin qui ne l’intéressait plus.
– J’ai remarqué que tu avais changé de sujet, toi aussi, signala-t-elle.
– Quoi ?
– L’affaire ? L’as-tu résolue ?
– Ça ne devrait pas tarder, dit-il avec ironie.
– Comptes-tu me dire quoi que ce soit sur cette affaire ? demanda-t-elle, agacée.
– On a trouvé une femme morte dans la maison d’une voisine, dit-il d’un ton neutre. Nous avons exclu le mari de la liste des suspects. Ça m’a déçu parce que c’est un homme vraiment déplaisant. J’aurais adoré le coincer pour ce crime mais, au moins, comme ça, je n’aurai plus besoin d’interagir avec lui. Il me faisait penser à un ulcère sur pattes doué de la parole.
– Quoi d’autre ? demanda-t-elle.
Il la regarda avec une expression bizarre, comme s’il voulait lui demander quelque chose mais ne trouvait pas comment aborder au mieux le sujet.
– Te considères-tu comme une gravure de mode ? demanda-t-il finalement.
La question prit Jessie au dépourvu.
– Je sais m’habiller, dit-elle, mais je ne suis pas abonnée à Vogue . Pourquoi ?
Il commença à parler, puis s’arrêta et prit une gorgée de café.
– C’est tout ? demanda-t-elle. Tu ne pourrais pas expliquer ?
– Je ne crois pas, lui dit-il. J’en ai déjà dit plus que je n’aurais dû. Je crains que, si j’en dis plus, tu ne sois tentée d’en demander encore plus. Tu es supposée récupérer et je ne veux pas t’en empêcher. Si tu veux vraiment les détails, demande-les à Hernandez.
– Beurk, dit Jessie. C’était la seule raison pour laquelle je t’avais demandé de me retrouver ici.
– Et moi qui croyais que tu voulais juste jouir de ma compagnie ! Ça fait très mal.
Garland avait l’air blessé, mais Jessie voyait un sourire commencer à se former aux coins de sa bouche.
– Tu es très déplaisant, dit-elle. Tu le sais, n’est-ce pas ?
Il prit une autre gorgée de café et se permit de sourire entièrement, cette fois-ci.
– Voulais-tu parler de sujets non liés à l’affaire ? demanda-t-il. J’ai l’impression que tu te retiens de dire quelque chose.
– Qu’est-ce que je me retiens de dire ? répondit-elle d’un ton plus acerbe que prévu.
– Cela fait longtemps que nous n’avons pas parlé de Hannah. Comment va-t-elle ?
Jessie expira profondément.
– Parfois, elle est adorable. Parfois, morose. Parfois, désopilante. Parfois, vache. Parfois, muette. C’est un cauchemar ordinaire.
– Mais sans meurtres, n’est-ce pas ? dit Garland.
– Quoi ?
– La demi-sœur que tu crains de voir se transformer en tueuse en série sociopathe débutante n’a encore assassiné personne, n’est-ce pas ?
– Pas que je sache, répondit Jessie.
– Dans ce cas, si elle est morose, par rapport à ça, ce n’est pas si grave, fit-il remarquer.
Jessie haussa les épaules pour signifier son approbation.
– Vu comme ça, d’accord.
– Tu devrais peut-être apprécier ta bonne fortune, dit-il doucement. Vu la vie que tu mènes, tout pourrait être largement pire.
Jessie ne pouvait pas le nier. Elle allait lui demander ce qu’il pensait sur un autre sujet quand son téléphone sonna. Elle baissa les yeux. C’était son ami agent du FBI Jack Dolan, qui avait demandé à ses hommes de surveiller son ex-mari, Kyle.
– Il faut que je réponde, dit-elle.
– Pas de problème, dit Garland en posant un billet de cinq dollars sur la table. De toute façon, il faut que j’aille au bureau. Je manque probablement à ton petit copain.
– Tu veux que je t’emmène ?
– Non. Tu as ton appel. En outre, tu sais que j’aime marcher.
– OK, dit-elle en répondant au téléphone. Bonjour, Dolan.
– Hé, Jessie, ajouta Garland à voix basse en se levant.
– Une seconde, Dolan, dit-elle dans le téléphone avant de lever les yeux vers l’homme bourru qui se tenait devant elle. Oui, Garland ?
– Souviens-toi seulement que tu es en charge de ta vie, pas de celle de Decker, de Hannah, de Hernandez ou d’un quelconque tueur en série. Parfois, il est difficile de voir les choses comme ça, mais tu as toujours le choix.
– Merci, Confucius, dit-elle en lui envoyant un clin d’œil. On en reparlera, c’est d’accord. Il faut que je réponde. C’est à propos de Kyle.
Garland sourit, baissa légèrement la tête et partit. Sa touffe de cheveux blancs mal coiffés disparut au loin quand il se mêla nonchalamment à la foule des personnes qui se ruaient vers leur destination.
– Je suis là, dit Jessie. Qu’as-tu pour moi, Jack ?
– De mauvaises nouvelles. C’est à propos de ton ex-mari.
– Attends un peu, dit Jessie tout en sentant le découragement l’envahir. Il faut que je trouve un endroit tranquille pour parler.
Jessie regretta presque d’attendre. Les trois minutes qu’il lui fallut pour payer sa consommation, quitter le café-restaurant et entrer dans sa voiture lui parurent interminables. Dolan était un cynique endurci dont l’attitude ne s’adoucissait que lors de ses séances de surf de début de matinée. Il n’était pas connu pour aimer les exagérations. S’il disait que la situation était grave, elle était en général encore pire que ça. Jessie se dit qu’elle allait peut-être vomir le quart de muffin qu’elle avait mangé.
– Raconte-moi tout, dit-elle brusquement quand elle reprit la conversation.
– En bref, nous n’avons rien.
– Cela fait plus de trois semaines, protesta-t-elle. Tu me dis qu’il a été un citoyen modèle pendant tout ce temps-là ?
– Ouais, dit Dolan, et c’est louche. Il n’a même pas brûlé un feu rouge. Bien sûr, il sait parfaitement bien qu’on le surveille. Quand il passe devant nos agents, il leur fait signe de la main.
– Ils n’essaient pas de rester discrets ?
– Au début, ils l’ont fait, mais il est très malin, comme tu le sais. Comme il a repéré notre camionnette dès la première semaine, nous avons pensé qu’il serait inutile de s’en servir après ça. Depuis, nous employons des berlines banalisées. En fait, mes patrons pensent que je gaspille des ressources. Ils ne tarderont pas à me réduire à un seul agent. Si nous ne trouvons rien avant la fin de la semaine, je ne serais pas surpris qu’ils abandonnent complètement la surveillance. Ce jour-là, nous aurons passé un mois sans trouver quoi que ce soit.
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