— Un cas que j'ai trouvé. Je ne sais pas combien j'en ai loupé.
— Parle-m'en.
— Février 1966 à Uppsala. La victime la plus jeune était une lycéenne de dix-sept ans qui s'appelait Lena Andersson. Elle a disparu après une fête de sa classe et on l'a retrouvée trois jours plus tard dans un fossé dans la plaine d'Uppsala, assez loin de la ville. Elle avait été tuée ailleurs et transportée après sa mort.
Mikael hocha la tête.
— Ce meurtre a beaucoup fait jaser les médias, mais les circonstances exactes autour de sa mort n'ont jamais été rendues publiques. La fille avait été atrocement torturée. J'ai lu le rapport du légiste. On l'avait torturée avec du feu. Ses mains et ses seins étaient grièvement brûlés, et tout son corps était couvert de brûlures à différents endroits. Ils ont trouvé des taches de stéarine sur elle qui démontraient qu'on a dû utiliser une bougie, mais ses mains étaient tellement carbonisées qu'elles ont dû être maintenues dans un feu plus important. Pour finir, le meurtrier a scié sa tête et l'a lancée à côté du corps.
Mikael pâlit.
— Mon Dieu, dit-il.
— Je n'ai aucune citation biblique qui colle, mais il y a plusieurs passages qui parlent d'immolation et de sacrifice pour le péché, et à quelques endroits il est préconisé que l'animal de sacrifice — en général un taureau — soit dépecé de la sorte que la tête soit séparée de la graisse. L'utilisation de feu rappelle aussi le premier meurtre, celui de Rebecka ici à Hedestad.
QUAND LES MOUSTIQUES commencèrent leur danse du soir, Mikael et Lisbeth débarrassèrent la table de jardin et s'installèrent dans la cuisine pour continuer à parler.
— Que tu n'aies pas trouvé de citation biblique exacte ne veut pas dire grand-chose. Il ne s'agit pas de citations mais d'une parodie grotesque de ce que dit la Bible — ce sont plutôt des associations à des versets épars.
— Je sais. Ça manque même de logique, prends par exemple la citation comme quoi tous deux doivent être exterminés si un homme fait l'amour à une fille qui a ses règles. Si on interprète ça littéralement, le meurtrier aurait dû se suicider.
— Et tout ça nous mène à quoi ? demanda Mikael.
— Soit ta Harriet avait un drôle de hobby qui consistait à collectionner des citations bibliques pour les associer ensuite aux victimes de meurtres dont elle avait entendu parler... soit elle savait qu'il y avait un lien entre les meurtres.
— Entre 1949 et 1966, et peut-être aussi avant et après. Il y aurait donc eu un fou furieux de meurtrier sadique qui a rôdé avec une Bible sous le bras et tué des femmes pendant dix-sept ans sans que personne ait fait le rapprochement entre les meurtres. Ça paraît incroyable.
Lisbeth Salander repoussa sa chaise et alla chercher le café sur la cuisinière. Elle alluma une cigarette et souffla la fumée tout autour d'elle. Mikael jura intérieurement et lui vola encore une cigarette.
— Non, ce n'est pas du tout incroyable, dit-elle en dressant le pouce. Nous avons plusieurs douzaines de meurtres de femmes non résolus en Suède au XX esiècle. J'ai entendu un jour Persson, ce professeur en criminologie, dire à Recherché que les tueurs en série sont très rares en Suède, mais que nous en avons sûrement eu qui n'ont jamais été repérés.
Mikael hocha la tête. Elle leva un deuxième doigt.
— Ces meurtres ont été commis sur une très longue période et à des endroits très dispersés dans le pays. Deux ont eu lieu successivement en 1960, mais les circonstances étaient relativement différentes — une paysanne à Karlstad et une fille de vingt-deux ans dingue des chevaux à Stockholm.
Trois doigts.
— Il n'y a pas de schéma clair et net. Les meurtres ont été commis de façons différentes et il n'y a pas de véritable signature, par contre certains éléments reviennent à chaque fois. Des animaux. Du feu. Violences sexuelles aggravées. Et, comme tu l'as dit, une parodie de connaissances bibliques. Mais aucun enquêteur de la police n'a apparemment interprété les meurtres en partant de la Bible.
Mikael hocha la tête. Il l'étudia en douce. Avec son corps frêle, son débardeur noir, les tatouages et les anneaux sur la figure, Lisbeth Salander faisait vraiment désordre dans la maison des invités à Hedeby. Lorsqu'il essaya d'être sociable au cours du dîner, elle resta taciturne et répondit à peine. Mais quand elle travaillait, elle était pro jusqu'au bout des ongles. Son appartement à Stockholm avait un air de ruine après un bombardement, mais Mikael se devait de reconnaître que Lisbeth Salander était particulièrement bien ordonnée dans sa tête. Etrange !
— On a du mal à voir le rapport entre une prostituée à Uddevalla assassinée derrière un conteneur dans une friche industrielle et l'épouse du pasteur à Ronneby étranglée et victime d'un incendie criminel. A moins d'avoir la clé que Harriet nous a donnée, s'entend.
— Ce qui mène à la question suivante, dit Lisbeth.
— Comment Harriet a-t-elle bien pu être mêlée à cette merde ? Elle, une fille de seize ans qui vivait dans un milieu plutôt protégé.
— Il n'y a qu'une réponse, dit-elle.
Mikael hocha la tête de nouveau.
— Il y a forcément un lien avec la famille Vanger.
VERS 23 HEURES, ils avaient ressassé la série de meurtres et discuté des relations et des détails curieux au point que les pensées tournoyaient dans la tête de Mikael. Il se frotta les yeux et s'étira, et demanda à Lisbeth si elle avait envie de faire un tour dehors. Elle avait l'air de considérer ce genre d'exercice comme un gaspillage de temps, mais elle fit oui de la tête après avoir réfléchi un bref instant. Mikael suggéra qu'elle mette plutôt un pantalon à cause des moustiques.
Ils firent le tour par le port de plaisance, passèrent sous le pont en direction du promontoire de chez Martin Vanger. Mikael indiqua les différentes maisons et raconta qui habitait où. Il avait du mal à formuler ses pensées quand il montra la maison de Cécilia Vanger. Lisbeth le regarda en douce.
Ils passèrent devant le yacht tape-à-l'œil de Martin Vanger et arrivèrent sur le promontoire où ils s'assirent sur un rocher et partagèrent une cigarette.
— Il y a un autre lien entre les victimes, dit Mikael soudain. Tu y as peut-être déjà pensé.
— Quoi ?
— Les prénoms.
Lisbeth Salander réfléchit un moment. Puis elle secoua la tête.
— Toutes ont des prénoms bibliques.
— Ce n'est pas vrai, répondit Lisbeth vivement. Il n'y a ni Liv ni Lena dans la Bible.
Mikael secoua la tête.
— Il se trouve que si. Liv signifie « vivre », c'est-à-dire le sens biblique du prénom Eve. Et cogite un peu, Lisbeth — Lena, c'est une abréviation de quoi ?
Lisbeth Salander serra si fort les yeux qu'elle fut irritée et elle jura intérieurement. Mikael avait pensé plus vite qu'elle. Elle n'aimait pas ça.
— De Magdalena tout comme Magda. Autrement dit Madeleine, dit-elle.
— La pécheresse, la première femme, la Vierge Marie... les voilà toutes rassemblées. Cette histoire est suffisamment dingue pour faire péter les plombs à un psy. Mais en fait c'est à autre chose que je pense par rapport aux prénoms.
Lisbeth attendit patiemment.
— Ce sont également des prénoms féminins juifs traditionnels. La famille Vanger a eu plus que sa part d'antisémites cinglés, de nazis et de théoriciens de la conspiration. Harald Vanger, là-haut, a plus de quatre-vingt-dix ans et il était au meilleur de sa forme dans les années 1960. La seule fois où je l'ai rencontré, il a craché que sa fille était une putain. Il a manifestement des problèmes avec les femmes.
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