— Je ne comprends pas comment il peut être con au point de garder toutes les données concernant ses affaires véreuses sur un disque dur, dit Mikael. Si jamais ça devait se retrouver chez les flics...
— Les gens ne sont pas rationnels. Je dirais qu'il n'imagine même pas que la police pourrait avoir l'idée de saisir son ordinateur.
— Au-dessus de tout soupçon. Je suis d'accord que c'est un fumier arrogant, mais il doit bien être entouré de consultants en sécurité qui lui disent comment s'y prendre avec son ordinateur. J'ai vu des dossiers qui datent de 1993.
— L'ordinateur est assez récent. Il a été fabriqué il y a un an, mais Wennerström semble avoir transféré toute sa vieille correspondance et des choses comme ça sur le disque dur plutôt que de sauvegarder sur des CD-ROM. Cela dit, il utilise quand même des programmes de cryptage.
— Précaution parfaitement inutile puisque tu te trouves à l'intérieur de son ordinateur et lis les mots de passe chaque fois qu'il les tape.
ILS ÉTAIENT DE RETOUR à Stockholm depuis quatre jours quand Christer Malm appela sur le portable de Mikael et le réveilla vers 3 heures du matin.
— Henry Cortez était sorti faire la fête avec une amie ce soir.
— Ah oui, répondit Mikael encore tout endormi.
— Avant de rentrer, ils ont atterri au bar de la Gare centrale.
— Ce n'est pas le meilleur endroit pour draguer.
— Ecoute. Janne Dahlman est en vacances. Henry le voit soudain à une table en compagnie d'un homme.
— Et ?
— Henry a reconnu l'homme à sa signature. Krister Söder.
— Le nom me dit quelque chose, mais...
— Il travaille à Finansmagasinet Monopol dont le propriétaire est le groupe Wennerström, poursuivit Malm.
Mikael se redressa dans le lit.
— Tu es encore là ?
— Je suis là. Cela ne signifie pas forcément quelque chose. Söder n'est qu'un simple journaliste, ça peut être un vieux copain de Dahlman.
— OK, je suis parano. Il y a trois mois, Millenium a acheté le reportage d'un free-lance. La semaine avant qu'on publie, Söder a publié une révélation presque identique. C'était le même sujet sur un fabricant de téléphones portables. Il avait étouffé un rapport révélant qu'ils utilisent un composant foireux qui peut provoquer des courts-circuits.
— J'entends ce que tu dis. Mais ce sont des choses qui arrivent. Tu en as parlé avec Erika ?
— Non, elle est toujours en voyage, elle ne rentre que la semaine prochaine.
— Ça ne fait rien. Je te rappelle, dit Mikael, et il coupa le portable.
— Des problèmes ? demanda Lisbeth Salander.
— Millenium, dit Mikael. Je dois aller y faire un tour. Tu as envie de venir ?
LA RÉDACTION ÉTAIT DÉSERTE à 4 heures du matin. Il fallut environ trois minutes à Lisbeth Salander pour venir à bout du code d'accès de l'ordinateur de Janne Dahlman et deux minutes de plus pour en transférer le contenu sur l'iBook de Mikael.
La plupart des mails se trouvaient cependant dans l'ordinateur portable personnel de Janne Dahlman, auquel ils n'avaient pas accès. Mais son ordinateur de Millenium permit à Lisbeth Salander de trouver qu'à part son adresse Internet millenium.se, Dahlman avait une adresse hotmail personnelle. Il lui fallut six minutes pour entrer sur son compte et télécharger sa correspondance de l'année passée. Cinq minutes plus tard, Mikael avait des preuves que Janne Dahlman avait laissé filtrer des informations sur la situation de Millenium et qu'il avait tenu le rédacteur de Finansmagasinet Monopol au courant des reportages qu'Erika Berger projetait de publier dans les différents numéros. L'espionnage durait depuis au moins l'automne dernier.
Ils arrêtèrent les ordinateurs et retournèrent à l'appartement de Mikael pour dormir quelques heures. Il appela Christer Malm vers 10 heures.
— J'ai des preuves que Dahlman travaille pour Wennerström.
— J'en étais sûr. OK, je vire ce salopard aujourd'hui même.
— Ne fais pas ça. Ne fais absolument rien.
— Rien ?
— Christer, fais-moi confiance. Il est en vacances jusqu'à quand, Dahlman ?
— Il reprend lundi matin.
— Il y a combien de personnes à la rédaction aujourd'hui ?
— Ben, c'est à moitié vide.
— Est-ce que tu peux annoncer une réunion pour 14 heures ? Ne dis pas à quel sujet. J'arrive.
SIX PERSONNES ÉTAIENT ASSISES autour de la table de conférence devant Mikael. Christer Malm avait l'air fatigué. Henry Cortez affichait l'air béat de l'amoureux que seuls les jeunes de vingt-quatre ans peuvent avoir. Monika Nilsson semblait s'attendre à Dieu sait quelles révélations extraordinaires ; Christer Malm n'avait pas dit un mot sur le sujet de la réunion, mais elle était là depuis suffisamment longtemps pour savoir que quelque chose d'inhabituel se tramait, et elle était énervée d'avoir été tenue à l'écart du scoop. La seule à garder une attitude normale était Ingela Oskarsson, employée à temps partiel chargée de l'administration, de l'enregistrement des abonnements et autres tâches de ce genre deux jours par semaine, et qui n'avait pas eu l'air vraiment détendue depuis qu'elle était devenue maman deux ans auparavant. L'autre employée à temps partiel était la journaliste free-lance Lotta Karim, sous un contrat similaire à celui de Henry Cortez et qui venait de reprendre le travail après ses congés. Christer avait aussi réussi à rameuter Sonny Magnusson qui se trouvait pourtant en vacances.
Mikael commença par saluer tout le monde et s'excusa d'avoir été à tel point absent au cours de l'année.
— Ni Christer ni moi n'avons eu le temps d'informer Erika de ce qui nous préoccupe aujourd'hui, mais je peux vous assurer que dans cette affaire je parle en son nom. Aujourd'hui nous allons décider de l'avenir de Millenium.
Il fit une pause et laissa les mots produire leur effet. Personne ne posa de questions.
— Cette année a été lourde. Je suis surpris qu'aucun de vous n'ait choisi d'aller chercher du boulot ailleurs. Je dois en conclure que vous êtes soit complètement fous, soit exceptionnellement loyaux et que vous aimez travailler dans ce journal. C'est pourquoi je vais mettre quelques cartes sur la table et vous demander une dernière contribution.
— Une dernière contribution, s'étonna Monika Nilsson. On dirait que tu as l'intention de démanteler Millenium.
— Exactement, répondit Mikael. Après les vacances, Erika va nous réunir tous pour une bien triste réunion de rédaction au cours de laquelle elle nous annoncera que Millenium cessera de paraître à Noël et que vous êtes tous licenciés.
Cette fois, une certaine inquiétude se répandit dans l'assemblée. Même Christer Malm crut pendant une seconde que Mikael était sérieux. Puis il remarqua son sourire satisfait.
— Au cours de cet automne, vous allez jouer un double jeu. Je dois vous dire que notre cher secrétaire de rédaction Janne Dahlman se fait des extras comme informateur pour Hans-Erik Wennerström. Ce qui veut dire que l'ennemi est informé en continu et très exactement de ce qui se passe ici, ce qui explique pas mal des revers que nous avons subis cette année. Surtout toi, Sonny, puisque certains annonceurs qui semblaient positifs se sont subitement retirés.
— Merde alors, ça ne m'étonne pas, dit Monika Nilsson.
Janne Dahlman n'avait jamais été très populaire à la rédaction et la révélation ne fut apparemment un choc pour personne. Mikael interrompit le murmure ambiant.
— La raison pour laquelle je vous raconte ceci, c'est que j'ai une entière confiance en vous. Voilà plusieurs années qu'on bosse ensemble et je sais que vous avez le cerveau bien en place, raison pour laquelle je sais aussi que vous jouerez le jeu quoi qu'il arrive cet automne. Il est d'une importance capitale que Wennerström soit amené à croire que Millenium est en train de s'effondrer. Et votre boulot sera de le lui faire croire.
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