— Mais si l'homme qu'on appelle Zala est un coupable possible...
— C'est avec Mikael que vous devez en parler, répéta Malou. Je peux vous aider à sortir des informations du travail de Dag Svensson, mais rien sur notre propre enquête.
Sonja Modig soupira.
— Je comprends le principe. Qu'est-ce que vous pouvez me dire au sujet des personnes sur cette liste ?
— Seulement ce que Dag Svensson écrit, rien sur les sources. Mais je suppose que je peux révéler que Mikael a contacté une douzaine de ces personnes et qu'il les a éliminées de sa liste. Ça pourrait vous aider.
Sonja Modig hocha la tête avec hésitation. Non, ça ne va pas m'aider. La police doit quand même frapper à leur porte et entreprendre un interrogatoire formel. Un juge. Trois avocats. Plusieurs politiciens et journalistes... et des collègues. Ça va faire un joyeux manège. Sonja Modig se dit que la police aurait dû s'attaquer à cette liste dès le lendemain des meurtres.
Son regard tomba sur un nom de la liste. Gunnar Björck.
— Il n'y a pas d'adresse pour cet homme-là.
— Non.
— Pourquoi ?
— Il travaille à la Säpo, son adresse est top secret. Mais il est en congé de maladie en ce moment. Dag Svensson n'avait pas réussi à le trouver.
— Et vous, est-ce que vous avez réussi à le trouver ? sourit Sonja Modig.
— Demandez à Mikael.
Sonja Modig contempla le mur au-dessus du bureau de Dag Svensson. Elle réfléchit.
— Est-ce que je peux vous poser une question personnelle ?
— Je vous en prie.
— Vous ici, qui pensez-vous coupable du meurtre de vos amis et de maître Bjurman ?
Malou Eriksson ne dit rien. Elle aurait aimé que Mikael Blomkvist soit là pour se charger de ces questions. C'était désagréable d'être questionnée ainsi, même si elle était parfaitement innocente. Encore plus désagréable de ne pas pouvoir expliquer où exactement en était Millenium dans ses conclusions. Puis elle entendit la voix d'Erika Berger dans son dos.
— Nous partons du principe que les meurtres ont eu lieu pour empêcher la diffusion d'une des révélations sur lesquelles travaillait Dag Svensson. Mais nous ne savons pas qui a tiré. Mikael focalise sur la personne inconnue qui est appelée Zala.
Sonja Modig se retourna et contempla la patronne de Millenium. Erika Berger tendit deux mugs de café à Malou et à Sonja. Ils portaient les logos du syndicat des fonctionnaires et des démocrates-chrétiens. Erika Berger sourit poliment. Ensuite, elle retourna dans son bureau.
Elle revint trois minutes plus tard.
— Modig. Votre chef vient d'appeler. Vous avez coupé votre portable. Il faut le rappeler.
L'INCIDENT A LA MAISON DE CAMPAGNE de Bjurman déclencha une activité fébrile durant tout l'après-midi. Une alerte nationale fut lancée, diffusant l'information qu'enfin Lisbeth Salander avait refait surface. L'alerte indiquait qu'elle se déplaçait probablement sur une Harley Davidson appartenant à Magge Lundin. On précisait que Salander était armée et qu'elle avait tiré sur une personne devant une maison de campagne près de Stallarholmen.
La police installa des barrages aux entrées de Stràngnâs et de Mariefred, et à toutes les entrées de Södertälje. Les trains de banlieue entre Södertälje et Stockholm furent fouillés le soir pendant plusieurs heures. Aucune fille de petite taille, avec ou sans Harley Davidson, ne put cependant être trouvée.
Ce ne fut que vers 19 heures qu'une voiture de police avisa une Harley abandonnée garée devant le parc des Expositions de Stockholm à Älvsjö, ce qui déplaça les investigations de Södertälje à Stockholm. D'Älvsjö on reçut également le rapport qu'un morceau d'un blouson de cuir portant le logo du MC Svavelsjö avait été retrouvé. Cette trouvaille amena l'inspecteur Bublanski à repousser ses lunettes sur le front et à contempler d'un air boudeur l'obscurité dehors sur Kungsholmen.
Cette journée avait viré en une obscurité totale. Un enlèvement de l'amie de Salander, une intervention de Paolo Roberto, puis un incendie criminel et des voyous enterrés dans les forêts de Södertälje. Et pour finir, un chaos incompréhensible à Stallarholmen.
Bublanski se rendit dans la grande pièce de travail et examina un plan de Stockholm avec les environs. Son regard passa de Stallarholmen à Nykvarn, puis à Svavelsjö pour s'arrêter à Älvsjö, les quatre localités qui pour des raisons complètement différentes étaient venues sur le tapis. Il déplaça le regard sur Enskede et soupira. Il avait le sentiment désagréable que la police se trouvait à des kilomètres à la traîne dans le déroulement des événements. Il ne comprenait absolument rien. Quels que fussent les dessous des meurtres à Enskede, ils étaient bien plus complexes que ce qu'ils avaient initialement pensé.
MIKAEL BLOMKVIST IGNORAIT tout des événements dramatiques à Stallarholmen. Il quitta Smådalarö vers 15 heures. Il s'arrêta à une station-service prendre un café tout en essayant de cerner le problème.
Mikael était profondément frustré. Björck lui avait donné tant de détails qu'il en était stupéfait, mais il avait aussi catégoriquement refusé de lui donner le dernier morceau du puzzle concernant l'identité suédoise de Zalachenko. Mikael se sentait floué. Tout à coup, l'histoire prenait fin et Björck s'était entêté à refuser de raconter le dénouement.
— Nous avons un accord, insista Mikael.
— Et j'en ai rempli ma part. J'ai raconté qui est Zalachenko. Si tu veux davantage d'informations, nous devons formuler un nouvel accord. Il me faut des garanties que mon nom sera totalement laissé en dehors et qu'il n'y aura pas de suite.
— Comment pourrais-je te donner de telles garanties ? Je ne suis pas maître de l'enquête de police, et tôt ou tard ils vont remonter jusqu'à toi.
— Ce n'est pas l'enquête de police qui m'inquiète. Ce que je veux, ce sont des garanties que jamais tu ne m'épingleras au sujet des putes.
Mikael nota que Björck semblait plus soucieux de dissimuler son lien avec le commerce du sexe que d'avoir livré des données classées secret-défense. C'était révélateur de sa personnalité.
— Je t'ai déjà promis de ne pas écrire un mot sur toi dans ce contexte.
— Mais maintenant il me faut des garanties que tu ne me mentionneras jamais en rapport avec Zalachenko.
Mikael n'avait aucune intention de donner ce genre de garanties. Il pouvait aller jusqu'à traiter Björck comme une source anonyme dans la trame du fond, mais il ne pouvait pas garantir un anonymat complet. Finalement, ils s'étaient mis d'accord pour réfléchir à la chose pendant un jour ou deux avant de reprendre la conversation.
Mikael buvait son gobelet de café dans la station-service quand il sentit que quelque chose était là, à sa portée. Si près que ça pouvait devenir une silhouette mais sans qu'il réussisse à mettre l'image au point. Puis l'idée le frappa qu'il y avait peut-être une autre personne en mesure de jeter pas mal de lumière sur l'histoire. Mikael se trouvait assez près du centre de rééducation d'Ersta. Il regarda l'heure, se leva vivement et partit rendre visite à Holger Palmgren.
GUNNAR BJÖRCK ÉTAIT INQUIET. Après la rencontre avec Mikael Blomkvist, il était complètement épuisé. Son dos lui faisait plus mal que jamais. Il prit trois cachets d'analgésique et alla s'allonger sur le canapé du séjour. Les pensées tournaient dans sa tête. Au bout d'une heure, il se leva, mit de l'eau à chauffer et sortit des sachets de thé. Il s'assit à la table de la cuisine et rumina.
Pouvait-il faire confiance à Blomkvist ? Il avait joué toutes ses cartes et maintenant il était livré au bon vouloir de ce journaliste de malheur. Mais il avait conservé l'information la plus importante. L'identité de Zala et son véritable rôle dans les événements. Une carte décisive qu'il gardait dans sa manche.
Читать дальше