Le portail de chargement était suffisamment large pour laisser passer sans problème le camion jaune qui était garé dehors, et une porte d'entrée ordinaire était pratiquée dedans. Il s'approcha de celle-ci, appuya sur la poignée et ouvrit. Il se retrouva dans un grand entrepôt éclairé par quelques ampoules, rempli de fatras, de cartons déchirés et de matériel en désordre.
MIRIAM WU SENTAIT LES LARMES couler sur ses joues. Ce n'était pas tant la douleur que la détresse qui la faisait pleurer. Pendant le trajet, le géant l'avait totalement ignorée. Il avait arraché le ruban adhésif de sa bouche quand la fourgonnette s'était arrêtée. Il l'avait soulevée et portée sans le moindre effort, et jetée sur le sol en ciment sans prêter attention à ses suppliques et ses protestations. Quand il la regardait, ses yeux étaient de glace.
Miriam Wu comprit tout à coup qu'elle allait mourir dans cet entrepôt.
Il lui tourna le dos, s'approcha d'une table, ouvrit une bouteille d'eau minérale et but de longues goulées. Il ne lui avait pas entravé les jambes et Miriam Wu commença à se lever.
Il se tourna vers elle et sourit. Il se trouvait plus près de la porte qu'elle. Elle n'aurait pas la moindre chance de lui passer devant. Résignée, elle s'arrêta sur les genoux et s'emporta contre elle-même. Tu verras si je vais me rendre sans me battre. Elle se mit debout et serra les dents. Allez, vas-y, connard de Terminator !
Les mains ainsi menottées dans le dos, elle se sentit maladroite et déséquilibrée mais, quand il s'approcha d'elle, elle commença à tourner en rond et à chercher une brèche. Elle lui allongea un coup de pied dans les côtes, pivota et lui allongea un autre coup de pied dans l'aine. Elle le toucha à la hanche, recula d'un mètre et changea de jambe pour le coup suivant. Les mains dans le dos, elle n'avait pas assez d'équilibre pour atteindre son visage, mais elle lui balança un puissant coup de pied dans la poitrine.
Il tendit une main, la saisit par l'épaule et la retourna comme si elle avait été une feuille de papier. Il lui donna un seul coup de poing, pas particulièrement fort, dans les reins. Miriam Wu hurla comme une folle lorsqu'une douleur paralysante lui vrilla le diaphragme. Elle retomba à genoux. Il lui flanqua encore une gifle et elle s'effondra par terre. Il leva le pied et lui asséna un coup de pied dans le flanc. Elle eut le souffle coupé et entendit des côtes se briser.
PAOLO ROBERTO NE VIT RIEN du passage à tabac, mais il entendit soudain Miriam Wu hurler de douleur, un cri fort et strident qui s'arrêta tout de suite. Il tourna la tête en direction du son et serra les dents. Il y avait une autre pièce derrière une cloison de séparation. Il traversa le local sans un bruit et jeta un regard prudent par l'entrebâillement de la porte au moment où le géant blond repoussait Miriam Wu sur le dos. Le géant disparut de son champ de vision pendant quelques secondes et revint soudain avec une tronçonneuse qu'il posa par terre devant elle. Paolo Roberto haussa les sourcils.
— Je veux une réponse à une question simple.
Il avait une voix bizarrement fluette, presque comme s'il n'avait pas encore mué. Paolo nota un accent étranger.
— Où se trouve Lisbeth Salander ?
— Je ne sais pas, murmura Miriam Wu.
— Ce n'est pas la bonne réponse. Je te donne une deuxième chance avant de démarrer ce truc.
Il s'accroupit sur les talons et tapota la tronçonneuse.
— Où se cache Lisbeth Salander ?
Miriam Wu secoua la tête.
Paolo hésita. Mais lorsque le géant blond tendit la main pour prendre la tronçonneuse, il fit trois enjambées résolues dans la pièce et plaça un sérieux crochet du droit dans ses reins.
Paolo Roberto n'était pas devenu un boxeur mondialement célèbre en faisant preuve de tendresse sur les rings. Il avait à son actif 33 matches dans sa carrière de professionnel et il en avait gagné 28. Quand il frappait quelqu'un, il s'attendait à une réaction. Cette réaction serait, par exemple, que l'objet de l'exercice tombe à genoux et qu'il ait mal quelque part. Mais là, Paolo eut l'impression d'avoir plongé sa main dans un mur de béton. Jamais il n'avait vécu une chose semblable pendant toutes les années où il avait fréquenté les rings. Il regarda stupéfait le colosse devant lui.
Le géant blond se retourna et regarda Paolo Roberto avec la même stupeur.
— Qu'est-ce que tu dirais de te mesurer plutôt à quelqu'un de ta catégorie ? dit Paolo Roberto.
Il frappa une série de droite-gauche-droite en direction du diaphragme et il y mit du muscle. De vrais coups de massue. Il eut l'impression de frapper un mur. Le seul effet fut que le géant recula d'un demi-pas, plus surpris que bousculé par la force des coups. Et brusquement son visage s'illumina d'un sourire.
— Tu es Paolo Roberto ! dit le géant blond.
Paolo s'arrêta, interloqué. Il venait de placer quatre coups qui, selon les règles, auraient dû expédier le géant blond par terre et lui-même aurait dû être en train de rejoindre son coin du ring tandis que l'arbitre commençait à compter. Pas un seul de ses coups ne semblait avoir eu le moindre effet.
Bon Dieu. Ça, c'est pas normal.
Ensuite, il vit presque au ralenti le crochet droit du blondinet fendre l'air. Le type était lent et son coup prévisible. Paolo esquiva et para partiellement avec l'épaule gauche. Il eut l'impression d'avoir été frappé par un tuyau en fer.
Paolo Roberto recula de deux pas, plein d'un nouveau respect pour son adversaire.
Il a quelque chose qui cloche. Personne cogne comme ça, bordel.
Il para machinalement un crochet du gauche avec l'avantbras et sentit tout de suite une douleur fulgurante. Il n'eut pas le temps de parer le crochet du droit qui arriva de nulle part et atterrit sur son front.
Comme ivre, Paolo tituba à reculons par la porte. Il s'effondra bruyamment contre une pile de tabourets en bois et secoua la tête. Il sentit tout de suite le sang couler à flots sur son visage. Il m'a arraché l'arcade. Il va falloir me recoudre. Encore une fois !
L'instant d'après, le géant arrivait dans son champ de vision et Paolo se jeta instinctivement de côté. Il évita d'un cheveu un nouveau coup de massue de l'énorme poigne. Il recula rapidement de trois-quatre pas et réussit à lever les bras en position de défense. Paolo Roberto était secoué.
Le géant blond le contempla avec des yeux qui exprimaient de la curiosité et presque de l'amusement. Puis il adopta la même position de défense que Paolo Roberto. C'est un boxeur. Ils commencèrent lentement à se tourner autour.
LES CENT QUATRE-VINGTS SECONDES qui suivirent furent le match le plus bizarre que Paolo Roberto ait jamais livré. Il n'y avait ni cordes, ni gants. Les seconds et l'arbitre n'existaient pas. Pas de gong qui interrompait le match et envoyait les deux combattants chacun dans son coin du ring pour quelques secondes de pause, avec de l'eau, des sels d'ammoniac et une serviette pour essuyer le sang des yeux.
Paolo Roberto comprit soudain qu'il se battait pour sa vie. Tout l'entraînement, toutes les années où il avait cogné sur des sacs de sable, tout le sparring et toute son expérience de tous les matches furent concentrés dans l'énergie qu'il développa soudain tandis que l'adrénaline circulait comme jamais avant il ne l'avait ressenti.
A présent, il ne mettait plus de sourdine à ses coups. Lui et son adversaire s'affrontèrent dans un échange où Paolo investissait toute sa force et tous ses muscles. Gauche, droite, gauche, gauche encore et un jab avec le droit sur le visage, s'abaisser pour le crochet gauche, un pas en arrière, attaque du droit. Chaque coup que Paolo Roberto décocha toucha son adversaire.
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