— Je veux en savoir plus sur ces deux hommes. Ce qu’ils font, quand ils vont quitter la Sierra Leone et comment. Ils ont besoin de papiers, de passeports. On doit pouvoir s’en procurer ici.
— Bien sûr, approuva Eddie, avec très peu d’argent… Mais si Mr Labaki apprenait ce que je fais, il me ferait renvoyer du ministère de l’Information et je n’aurais plus de job… Enfin, je vais essayer. Dès que j’ai quelque chose, je vous laisse un message au Mammy Yoko .
Malko le regarda regagner sa voiture. Profitant de la douceur délicieuse de l’air, écoutant le bruit de la mer, il aurait aimé se trouver là avec Alexandra et partir se baigner dans ces vagues tièdes. Seulement, il était confronté à une machination mortelle, et traqué par les gens les plus puissants du pays. Avec comme seule aide un fou comme Wild Bill Hodges.
La lutte contre la montre avait commencé. Il fallait débusquer les deux Chiites libanais et les neutraliser. Seul moyen de réussir sa mission puisqu’il ignorait tout de leur opération. Son cœur battit soudain plus vite. Une voiture approchait très lentement. Elle stoppa à quelques mètres de lui. Ses phares s’éteignirent mais personne n’en sortit. Il demeura figé, s’attendant à chaque seconde à en voir jaillir des tueurs.
Lentement, il s’accroupit derrière la 505 et tira de sa sacoche le Colt 45, armant le chien. Le cliquetis lui parut faire un bruit d’enfer.
Le cœur battant, Malko guettait le véhicule arrêté. Un bruit de moteur dans son dos : une autre voiture arrivait en sens inverse. Elle fit demi-tour et se gara derrière lui. De nouveau, les phares s’éteignirent, mais personne ne sortit.
Un picotement de peur parcourut la colonne vertébrale de Malko. Il essuya contre son pantalon sa paume moite, puis, lentement, pointa le Colt 45 sur le véhicule le plus proche. Si c’était une embuscade, autant frapper le premier. Il se trouvait à un bon kilomètre de la civilisation et ne pouvait espérer d’aide de personne. Le bruit du ressac continuait, monotone et rassurant. Il essaya de distinguer une cible à travers le pare-brise de la voiture arrêtée en face de lui.
Impossible. Ses yeux étaient accoutumés à l’obscurité, et il était presque certain que la place du chauffeur était vide. Ce véhicule n’était quand même pas conduit par un fantôme !
Son arme toujours braquée sur le pare-brise de la mystérieuse voiture, il se retourna et éprouva un nouveau choc l’autre voiture semblait également vide ! Il n’avait pourtant entendu aucun bruit de portière et se serait aperçu d’une sortie quelconque. Il scruta la plage autour de lui sans rien apercevoir. Impossible de prolonger cette situation étrange. Il se redressa et glissa le long de la 505 jusqu’à la portière demeurée ouverte.
Aucune réaction.
D’un bond, il fut à l’intérieur et mit le contact. Courbé sur la banquette afin d’offrir une cible minima.
Il enclencha la première, assura le Colt dans sa main droite et mit plein phares au moment où il démarrait, le pouls en folie.
Le faisceau blanc balaya l’avant de l’autre voiture, l’éclairant comme en plein jour. Le bras tenant le Colt 45 retomba brusquement, et Malko explosa d’un fou rire nerveux. Béat, le conducteur était étalé sur son siège, la main appuyée sur une tête crépue qui montait et descendait entre ses jambes. Malko était encore secoué par son fou rire quand il se gara dans le parking du Mammy Yoko . Surprise : Jim Dexter l’attendait dans un des fauteuils du hall. Visiblement soucieux. L’Américain le prit par le bras.
— Allons au bar.
Malko lui fit le récit de sa fausse peur et de l’information communiquée par Connolly. L’Américain se détendit à peine.
— Lumley Beach, c’est la chambre d’amour des Libanais. Ça coûte moins cher que le Mammy Yoko et quelquefois, ils balancent la fille sur la plage et filent sans payer… Mais n’y allez pas trop. C’est plein de voyous, la nuit, qui détroussent les amoureux.
— Pourquoi êtes-vous là ?
— Sheka Songu est passé me voir. Il m’a raconté ce qui est arrivé. Vous l’avez échappé belle, et cela pose un problème. Personne ne peut rien contre Karim Labaki, à Freetown. Et ce type est un vrai tueur.
— Je m’en rends compte, fit remarquer Malko. D’abord Charlie, et maintenant cette malheureuse Seti. Nous avons levé un gros lièvre… Sinon, il ne prendrait pas le risque de s’attaquer à un Blanc.
— Vous avez sûrement raison, approuva le chef de station. Mais je me trouve devant un problème moral. Le « finding » du Président donne l’ordre de lancer une action préventive, mais j’ai l’impression que nous n’en avons pas les moyens. Je n’ai pas envie de vous enterrer en Sierra Leone.
— Un homme prévenu en vaut deux, dit Malko. Mon enquête avance. Eddie Connolly travaille sur ces deux terroristes chiites et j’espère obtenir d’autres informations.
Il devait également revoir Wael Afner, l’israélien, mais, cela, Jim Dexter n’avait pas à le savoir.
— Il faudrait connaître quelle est l’articulation exacte entre Forugi et Labaki, fit l’Américain. Pour ma part, je suis persuadé que c’est Forugi qui tire les ficelles. Pour le compte des Services Spéciaux de Téhéran. Seulement, à ce jour, je n’ai rien pu obtenir sur lui. On ne le voit pratiquement jamais, il n’a aucun contact avec personne… Même Songu n’a pas d’informations à son sujet. Son chauffeur est iranien et habite dans leur résidence de Hillcot Road.
— Il y a une petite chance avec l’histoire de la standardiste sierra-leonaise qui serait sa maîtresse, lui rappela Malko. Si ce n’est pas un simple racontar. Mais les Intégristes iraniens ne sont pas aussi ascètes qu’ils le prétendent. J’en sais quelque chose [28] Voir La veuve de l’ayatollha .SAS n 78.
. Je revois Rugi demain soir. Si elle me mène à la maîtresse d’Hussein Forugi, cela peut constituer un levier intéressant…
Jim Dexter semblait sceptique. Et inquiet.
— J’espère que Rugi la trouvera, fit-il. En attendant, faites bigrement attention. Freetown, c’est le Far West. Un type comme Labaki est plus puissant que la police.
Malko tapota sa sacoche, qui ne le quittait plus.
— Sans votre Colt, je serais déjà mort. J’ai un avantage sur Hussein Forugi : il ignore comment je vais essayer de l’attaquer. Maintenant, je vais prendre une douche et dormir.
* * *
Hussein Forugi contemplait d’un air morose la brume de chaleur qui flottait sur Freetown. Il allait encore faire une chaleur d’enfer, avec 100 % d’humidité. Il fallait vraiment vouloir servir la Révolution islamique pour venir s’enterrer dans ce coin pourri. Et encore, en haut de Hillcot Road, où il se trouvait la température était un peu plus clémente… La glace lui renvoya l’image de son visage blafard et mal rasé, de ses cheveux collés à son front par la transpiration. Ses petits yeux noirs enfoncés respiraient la méchanceté et la ruse… Ancien informateur de la Savak – la police politique du Shah – il avait dû se montrer particulièrement méritant dans l’ignominie, pour avoir le douteux honneur de se dépasser ensuite dans le même domaine au service des Ayatollahs. On l’avait quand même mis en pénitence dans cet endroit oublié d’Allah afin qu’il puisse s’y perfectionner dans la connaissance du Coran et monter une petite opération bien sanglante. S’il réussissait, il regagnerait Téhéran, promis à un avenir radieux…
Comme chaque matin, il prit la tondeuse munie d’un sabot qui lui permettait d’avoir toujours une barbe de trois jours, conforme à la volonté des Mollahs, puis égalisa soigneusement ses poils noirs. Il posa ensuite sa tondeuse et se débarrassa de son pyjama. Son corps, à la peau très blanche semée de touffes de poils noirs, était plein de bourrelets.
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