Boileau-Narcejac - Les pistolets de Sans Atout

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Invité à passer un mois de vacances à Londres chez son ami Bob Skinner, Sans Atout craignait de trouver le temps long ! Les événements vont vite le rassurer. D'abord, en mettant Tom, un automate obéissant à la voix, sur son chemin ; ensuite, en faisant disparaître le père de Bob, l'inventeur de Tom ; puis en faisant apparaître un mystérieux visiteur. Mais au fait, que sont devenus les pistolets de duel qui appartenaient au grand-père de Bob ? Et quel étrange rôle peut jouer Miss Mary ? Les vacances de Sans Atout promettent d'être riches en péripéties…

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– Ah! Parce qu'il possède aussi la parole?

– Pourquoi pas. Ce n'est pas cela le plus difficile. J'ai enregistré la voix de Bob.

Boudeur, Bob haussa les épaules.

– Ce n'est pas ma voix, grogna-t-il. Ça nasille, comme un vieux phono.

– Allons, mon garçon, dit M. Skinner, sois «fair play»… Savez-vous, mon cher François… Bob est un peu jaloux de M. Tom. Et c'est vrai que je m'occupe souvent plus de M. Tom que de ce pauvre Bob… Mais tout va rentrer dans l'ordre, maintenant que je touche au but.

Il donna une petite tape sur le genou de son fils.

– Promis! Et maintenant, à la maison!

Il fit coulisser la vitre de séparation et murmura quelques mots à l'oreille du conducteur, puis, s'adressant à François:

– Ce n'est pas votre Neuilly, mais c'est quand même très agréable. Peut-être un peu à l'écart. Bob préférerait qu'on habite moins loin du centre, mais j'ai besoin de tranquillité pour mon travail… Pourtant, n'allez pas croire que nous vivons comme des ermites. N'est-ce pas, Bob? Déjà, ce soir, si vous n'êtes pas fatigué, nous irons entendre un concert au Festival Hall. Bob m'a dit que vous aimez beaucoup la musique, et Karajan sera au pupitre. Les jours suivants, malheureusement, je ne serai pas souvent des vôtres. Vous m'excuserez… J'ai des rendez-vous très importants.

Les rues se succédaient, monotones, avec leurs maisons toutes pareilles, derrière d'identiques jardinets. Puis il y eut, de loin en loin, des demeures plus importantes, entourées de verdures. Le taxi vira dans un chemin privé, et François découvrit une belle propriété qui se montrait à demi, au bout d'une allée de marronniers.

– Nous y sommes, dit M. Skinner. François et Bob descendirent.

– C'est magnifique, dit François. Vous avez la chance d'entendre les oiseaux. Et comme c'est encore vert!

Mais déjà une personne assez âgée, tout de noir vêtue, venait au-devant d'eux.

– Voici mon ami François… Mrs. Humphrey! s'écria Bob.

Mrs. Humphrey fit un petit salut plein de réserve et prit la valise des mains de M. Skinner.

– Eh bien, dit celui-ci, choisissez: ou bien nous passons à table dans un quart d'heure, car je vois que Mrs. Humphrey s'inquiète déjà pour son rôti, ou bien nous allons rendre tout de suite une courte visite à mes marionnettes…

– Très courte, s'il vous plaît, supplia la gouvernante.

– Vous voyez, plaisanta l'ingénieur, Mrs. Humphrey a deviné du premier coup d'œil que vous alliez choisir les automates. Allons-y!

Ils traversèrent un vaste vestibule orné de meubles anciens et prirent un corridor qui les amena dans une pièce à la destination incertaine. C'était un bureau, à en juger par la bibliothèque et l'immense table encombrée de livres, de papiers, de classeurs, mais c'était aussi une sorte d'atelier, puisqu'il y avait, près des deux fenêtres donnant sur le jardin, un établi supportant une foule d'outils minuscules, semblables à ceux des horlogers. Et, dans une vitrine, s'alignaient les fameuses marionnettes. – Voici monsieur Tom, dit l'ingénieur.

Il présenta à François un petit garçon, habillé en écolier et mesurant une cinquantaine de centimètres de hauteur; le visage de l'automate rappelait celui d'une poupée, par sa matière brillante, mais il avait été traité d'une manière beaucoup moins conventionnelle. Les yeux, un peu trop fixes, avaient un regard doué d'une inquiétante perspicacité, comme si un adulte plein de ruse avait réussi à se cacher sous ce masque puéril. Les cheveux étaient longs et emmêlés, et faisaient très «étudiant». La bouche, légèrement entrouverte, laissait voir de vraies dents. La main gauche était enfoncée dans la poche du pantalon; la droite tenait négligemment des lunettes aux épaisses montures d'écaillé, de véritables lunettes d'intellectuel.

M. Skinner, d'un revers de bras, débarrassa un coin de la table sur lequel il mit debout l'étrange; mannequin. Il se recula de quelques pas.

– N'est-ce pas qu'il est réussi? demanda-t-il. Et encore ce n'est rien. Vous allez voir.

Il s'adressa à l'automate, d'un ton presque respectueux.

– Monsieur Tom?… Avez-vous passé une bonne nuit?… Vous sentez-vous capable de travailler avec moi?

– Très volontiers, répondit la figurine.

Et François sursauta, en entendant cette voix qui ressemblait à celle de Bob, mais qui paraissait venir de loin, comme une voix perçue au téléphone. D'un geste lent, l'automate porta les lunettes à ses yeux.

– Extraordinaire! murmura François, enthousiasmé.

– Ce sera tout, monsieur Tom, dit l'ingénieur. C'est la phrase-clef, expliqua-t-il à François. Elle ramène le mécanisme à zéro.

Pendant qu'il parlait, l'automate abaissa ses lunettes et reprit sa position d'attente.

– Essayez vous-même, François. Appliquez-vous à bien articuler.

– Monsieur Tom, dit François, avez-vous passé une bonne nuit? Vous sentez-vous capable de travailler avec moi?

L'automate ne bougea pas. M. Skinner sourit.

– La preuve est faite, mon cher François… Vous prononcez vos voyelles à la française. M. Tom ne vous comprend pas.

Bob tira son père par la manche.

– Papa…, Mrs. Humphrey s'impatiente. Son rôti va être brûlé.

– Ah! C'est vrai, fit l'ingénieur avec regret. Eh bien, allons déjeuner, puisque telle est la volonté de Mrs. Humphrey.

Il remit l'automate à sa place, dans la vitrine, auprès d'un horse guard en grande tenue et d'un juge solennel sous sa perruque d'un autre âge. Puis, tirant de sa poche un trousseau de clefs, il ouvrit une armoire, dont la porte était doublée d'acier. Il en sortit un épais classeur à couverture rouge, débordant de fiches.

– Cinq années de recherches, dit-il, en le frappant du plat de la main. Cinq années de tâtonnements, d'erreurs et de succès… Je ne pourrais plus recommencer. J'ai passé des moments trop difficiles. Bon. Ne nous laissons pas aller… A table!

Il remit le dossier dans l'armoire, qu'il referma, regarda l'heure à sa montre, et réprima un mouvement de contrariété.

– Vous m'excuserez, François. Il est plus tard que je ne pensais. Je serai obligé de vous quitter avant la fin du déjeuner à cause d'un rendez-vous que j'allais oublier.

Il poussa les deux garçons devant lui et ils entrèrent dans une salle à manger très simple, mais cossue, avec ses boiseries patinées, ses chaises à haut dossier, son buffet de style. M. Skinner fit asseoir François à sa droite.

– Voyez-vous, mon cher François, ce n'est pas le tout d'inventer… C'est même le plus facile. Ce qui donne vraiment du souci, c'est de négocier l'invention, d'obtenir un résultat avant ses concurrents, car je ne suis pas le seul à travailler sur des automates. J'ai un peu d'avance et je ne dois pas la perdre.

Ce n'était pas là un simple propos de circonstance. Il y avait de l'anxiété dans les paroles de l'ingénieur. François le sentit et s'efforça, par ses questions, d'aiguiller la conversation sur un autre sujet. Mais M. Skinner restait distrait, et Bob n'était pas bavard. Mrs. Humphrey assurait un service discret et efficace. «Au fond, pensa François, ce qui rend un peu lugubre cet excellent repas, c'est l'absence d'une maîtresse de maison. Le pauvre Bob ne doit pas s'amuser tous les jours!»

M. Skinner n'attendit pas le dessert. Il se leva et tendit la main à François.

– Il faut que je file. Je suis attendu par M. Merrill, mon bailleur de fonds. Mais je rentrerai vers dix-sept heures. Ici, les spectacles commencent beaucoup plus tôt qu'en France… A ce soir.

Il sortit. Mrs. Humphrey apporta une tarte aux prunes et la découpa en silence. Les deux garçons restèrent en tête à tête, et soudain ils furent comme deux étrangers réunis par le hasard.

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