Charles Dickens - David Copperfield – Tome I
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«Silence! cria M. Mell en se levant tout à coup, et en frappant sur son pupitre avec le livre qu'il tenait à la main. Qu'est-ce que cela veut dire? Ça n'est pas tolérable. Il y a de quoi devenir fou. Pourquoi vous conduisez-vous ainsi envers moi, messieurs?»
C'était mon livre qu'il tenait en ce moment; j'étais debout à côté de lui; lorsqu'il promena ses yeux autour de la chambre, je vis tous les élèves s'arrêter subitement, les uns un peu effrayés, les autres peut-être repentants.
La place de Steerforth était au bout de la longue salle. Il était appuyé contre le mur, l'air indifférent, les mains dans les poches; toutes les fois que M. Mell jetait les yeux sur lui, il faisait mine de siffler.
«Silence, monsieur Steerforth! dit M. Mell.
– Silence vous-même, dit Steerforth en devenant très-rouge, à qui parlez-vous?
– Asseyez-vous, dit M. Mell.
– Asseyez-vous vous-même, dit Steerforth, et mêlez-vous de vos affaires!»
Il y eut quelques chuchotements, même quelques applaudissements; mais M. Mell était d'une telle pâleur que le silence se rétablit immédiatement, et, un élève qui s'était précipité derrière la chaise de notre maître d'études dans le but de contrefaire encore sa mère, changea d'idée et fit semblant d'être venu lui demander de tailler sa plume.
«Si vous croyez, Steerforth, dit M. Mell, que j'ignore l'influence que vous exercez sur tous vos camarades, et ici il posa la main sur ma tête (sans savoir probablement ce qu'il faisait), ou que je ne vous ai pas vu, depuis un moment, exciter les enfants à m'insulter de toutes les façons imaginables, vous vous trompez.
– Je ne me donne seulement pas la peine de penser à vous, dit froidement Steerforth; ainsi vous voyez que je ne cours pas le risque de me tromper sur votre compte.
– Et quand vous abusez de votre position de favori, monsieur, continua M. Mell, les lèvres tremblantes d'émotion, pour insulter un gentleman .
– Un quoi? Qu'est-ce qu'il a dit? cria Steerforth.»
Ici quelqu'un, c'était Traddles, s'écria:
«Fi donc! Steerforth! C'est mal!»
Mais M. Mell lui ordonna immédiatement de se taire.
«En insultant quelqu'un qui n'est pas heureux en ce monde, monsieur, et qui ne vous a jamais fait le moindre tort; quelqu'un dont vous n'avez ni assez d'âge ni assez de raison pour pouvoir apprécier la situation, dit M. Mell d'une voix toujours plus tremblante, vous commettez une bassesse et une lâcheté. Maintenant, monsieur, vous pouvez vous asseoir ou rester debout, comme bon vous semble. Copperfield, continuez.
– Copperfield, dit Steerforth en s'avançant au milieu de la chambre, attendez un instant. Monsieur Mell, une fois pour toutes, entendez-moi bien. Quand vous avez l'audace de m'appeler un lâche, ou de me donner quelque autre nom de ce genre, vous n'êtes qu'un impudent mendiant. Vous êtes toujours un mendiant en tout temps, vous le savez bien, mais dans le cas présent, vous êtes un impudent mendiant.»
Je ne sais ce qui se préparait. Steerforth allait peut-être sauter au collet de M. Mell, ou peut-être M. Mell allait-il commencer les coups. Mais en une seconde tous les élèves semblèrent changés en blocs de pierre; M. Creakle était au milieu de nous, Tungby debout à côté de lui; mistress Creakle et sa fille passaient la tête à la porte d'un air effrayé. M. Mell s'accouda sur son pupitre, la tête cachée dans ses mains, sans prononcer une seule parole.
«Monsieur Mell, dit M. Creakle, en le secouant par le bras; et sa voix généralement si faible avait pris assez de vigueur pour que Tungby jugeât inutile de répéter ses paroles; vous ne vous êtes pas oublié, j'espère?
– Non, monsieur, non, répondit le répétiteur en relevant la tête et en se frottant les mains avec une sorte d'agitation convulsive. Non, monsieur, non. Je me suis souvenu… je… Non, monsieur Creakle… je ne me suis pas oublié… je… je me suis souvenu, monsieur… je… j'aurais seulement voulu que vous vous souvinssiez un peu plus tôt de moi, monsieur Creakle. Cela aurait été plus généreux, monsieur, plus juste, monsieur. Cela m'aurait épargné quelque chose, monsieur.»
M. Creakle, les yeux toujours fixés sur M. Mell, s'appuya sur l'épaule de Tungby, et, montant sur l'estrade, il s'assit devant son pupitre. Après avoir, du haut de ce trône, contemplé quelques instants encore M. Mell qui continuait à branler la tête et à se frotter les mains, dans son agitation, M. Creakle se tourna vers Steerforth:
«Puisqu'il ne daigne pas s'expliquer, voulez-vous me dire, monsieur, ce que tout ceci signifie?»
Steerforth éluda un moment la question; il se taisait et regardait son antagoniste d'un air de colère et de dédain. Je ne pouvais en ce moment, il m'en souvient, m'empêcher d'admirer la noblesse de sa tournure, et de le comparer à M. Mell, qui avait l'air si commun et si ordinaire.
«Eh bien! alors, dit enfin Steerforth, qu'est-ce qu'il a voulu dire en parlant de favori?
– De favori? répéta M. Creakle, et les veines de son front se gonflaient de colère. Qui a parlé de favori?
– C'est lui, dit Steerforth.
– Et qu'entendiez-vous par là, monsieur, je vous prie? demanda M. Creakle en se tournant d'un air irrité vers M. Mell.
– J'entendais, monsieur Creakle, répondit-il à voix basse, ce que j'ai dit, c'est qu'aucun de vos élèves n'avait le droit de profiter de sa position de favori pour me dégrader.
– Vous dégrader? dit M. Creakle. Bon Dieu! Mais permettez-moi de vous demander, monsieur je ne sais qui (et ici M. Creakle croisant ses bras et sa canne sur sa poitrine, fronça tellement les sourcils que ses petits yeux disparurent presque absolument), permettez-moi de vous demander si, en osant prononcer le mot de favori, vous montrez pour moi le respect que vous me devez? Que vous me devez, monsieur, dit M. Creakle en avançant tout à coup la tête, puis la retirant aussitôt: à moi, qui suis le chef de cet établissement, et dont vous n'êtes que l'employé.
– C'était peu judicieux de ma part, monsieur, je suis tout prêt à le reconnaître, dit M. Mell; je ne l'aurais pas fait, si je n'avais pas été poussé à bout.»
Ici Steerforth intervint.
«Il a dit que j'étais lâche et bas; alors je l'ai appelé un mendiant. Peut-être ne l'aurais-je pas appelé mendiant, si je n'avais pas été en colère; mais je l'ai fait, et je suis tout prêt à en supporter les conséquences.»
Je me sentis tout glorieux de ces nobles paroles, sans probablement me rendre compte que Steerforth n'avait pas grand'chose à redouter. Tous les élèves eurent la même impression que moi, car il y eut un murmure d'approbation, quoique personne n'ouvrît la bouche.
«Je suis surpris, Steerforth, bien que votre franchise vous fasse honneur, dit M. Creakle, certainement, elle vous fait honneur; mais cependant je dois le dire, Steerforth, je suis surpris que vous ayez prononcé une semblable épithète en parlant d'une personne employée et salariée dans Salem-House, monsieur.»
Steerforth fit entendre un petit rire.
«Ce n'est pas une réponse, monsieur, dit M. Creakle, j'attends de vous quelque chose de plus, Steerforth.»
Si un moment auparavant M. Mell m'avait paru bien vulgaire auprès de la noble figure de mon ami, je ne saurais dire combien M. Creakle me semblait plus vulgaire encore.
«Qu'il le nie! dit Steerforth.
– Comment! qu'il nie être un mendiant, Steerforth? s'écria M. Creakle. Est-ce qu'il mendie par les chemins?
– S'il ne mendie pas lui-même, alors c'est sa plus proche parente, dit Steerforth, n'est-ce pas la même chose?»
Il jeta les yeux sur moi, et je sentis la main de M. Mell se poser doucement sur mon épaule. Je le regardai le coeur plein de regrets et de remords, mais les yeux de M. Mell étaient fixés sur Steerforth. Il continuait à me caresser affectueusement l'épaule, mais c'était Steerforth qu'il regardait.
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